Revue de presse

M. Sorel : le rapport Benbassa-Lecerf "est un réquisitoire contre la France" (marianne.net , 24 nov. 14)

24 novembre 2014

"Les sénateurs Esther Benbassa (EELV) et Jean-René Lecerf (UMP) ont récemment présenté un rapport intitulé "La lutte contre les discriminations : de l’incantation à l’action". Malika Sorel, ancienne membre du Haut conseil à l’intégration, nous a accordé un entretien afin de décortiquer ce texte aux analyses et propositions très polémiques.

Marianne : Le rapport Benbassa-Lecerf propose d’« introduire dans le recensement une question sur le pays de naissance des parents et la nationalité antérieure ». Pensez-vous que de telles informations ont un intérêt pour lutter contre les discriminations ? N’y a-t-il pas un risque de dérive vers des statistiques ethniques ?

Malika Sorel : Tout d’abord, il est important de préciser que ce rapport indique très clairement, et dès le tout début, son orientation et son parti pris. En effet, il pose d’emblée que « les préjugés et les stéréotypes ancrés dans nos mentalités, qui fabriquent les discriminations, sont à la fois nombreux et prégnants ».
Quant à la collecte d’informations qu’il préconise, elles n’apporteraient strictement rien à une lutte contre des discriminations dont le rapport lui-même laisse entendre qu’il n’en sait, au final, pas grand-chose mais qu’il subodore qu’elles existent, et qu’elles seraient nombreuses. C’est dire la précision des éléments de réflexion sur lesquels le rapport s’est fondé pour demander des statistiques ! Il se fonde sur la perception personnelle qui a été transmise par des auditionnés, qu’il cite d’ailleurs un à un au fil de ses assertions et propositions.
Le rapport est d’une telle naïveté qu’il va donc jusqu’à dire exactement sur qui et sur quoi il fonde cette demande. Il faut le lire, car cela vaut vraiment le détour. Quant aux statistiques par la nationalité que le rapport propose, ce serait un jeu d’enfants que de reconstituer ensuite des statistiques ethno-raciales. Mais pour qui prend-on les Français ?

Ce rapport aimerait donc faire en sorte que l’on prouve statistiquement qui sont les victimes de discriminations, mais a-t-on vraiment besoin de cela pour savoir qui est victime et comment lutter contre ?

Il y a des passages de ce rapport où il est même question de faire prendre conscience à ceux qui n’en auraient pas conscience qu’ils seraient discriminés ou qu’ils sont de potentielles victimes des Français de souche culturelle européenne. De nouveau, j’engage les lecteurs à aller lire ce rapport sénatorial pour bien cerner de quoi il s’agit. Je l’ai écrit depuis mes premières publications : le fait de répéter sans cesse aux enfants issus de l’immigration extra-européenne qu’ils seraient potentiellement les victimes des Français de souche culturelle européenne est particulièrement grave. Cela concourt à instiller dans leur cœur la haine anti-France et anti-Français. Cette approche, qui s’est diffusée au sein de notre société depuis des années, a largement participé à faire détester la France à une partie d’entre eux et à les dresser contre elle. Cela met en danger la paix.

Le cadre juridique actuel en matière de lutte contre les discriminations n’est-il pas suffisamment clair et efficace selon vous ?

Non seulement il est clair, mais il est, de surcroît, déjà très conséquent. Ce que le rapport rappelle d’ailleurs avec insistance. Cela montre une certaine forme d’incohérence. Il faut également rappeler ici que l’on doit à Rachida Dati d’avoir, sous le gouvernement de François Fillon et la présidence de Nicolas Sarkozy, créé des pôles anti-discriminations au sein de chaque Tribunal de grande instance — excusez du peu ! Une idée dont j’avais à l’époque dénoncé l’idéologie sous-jacente, comme je dénonce aujourd’hui celle de ce rapport qui est, en creux, un réquisitoire contre la France et sa république. À noter que le président de la Commission des lois, l’UMP Philippe Bas, a déclaré en conférence de presse que ce rapport n’engageait que ses auteurs.
La réalité, c’est qu’un rapport d’activité de la Halde, entre autres, avait conduit à établir que sur plus de 10 000 plaintes en discrimination, 177 dossiers avaient donné lieu à un règlement à l’amiable et seulement 8 avaient conduit à une transaction pénale. Le rapport sénatorial dit lui-même que les plaintes sont peu nombreuses, et c’est au demeurant pour cela qu’il propose d’importer les actions de groupes d’individus, ou class actions, pour encourager les gens à porter plainte : « Une telle action pourrait faire tomber les barrières psychologiques : l’union fait la force ! » Quelle est la signification mais aussi la portée, ici, du terme d’« union » ? Union entre qui ?
C’est un comble que dans la France républicaine, des membres d’une assemblée d’élus en viennent à vouloir instituer le communautarisme. Sommes-nous encore dans une démocratie ? Aux États-Unis, la class action empoisonne par ailleurs la vie des entreprises, qui préfèrent transiger en versant de fortes sommes d’argent plutôt que de prendre le risque de voir leur image dégradée par de tels procès. En somme, cette proposition, c’est tout pour améliorer le climat social en France !

Que pensez-vous de la proposition de créer des carrés musulmans dans les cimetières ?

La seule question qui vaille, c’est de s’interroger sur le fondement de la volonté des personnes pratiquantes de confession juive ou musulmane de ne pas vouloir reposer en paix aux côtés de Français non croyants ou aux côtés de Français chrétiens. Pourquoi faudrait-il des espaces séparés ? Les rites pourraient être respectés, y compris avec des tombes placées les unes à côté des autres. Le fait de vouloir être séparés même dans la mort m’apparaît comme extrêmement violent. Seuls les chrétiens, les non-croyants ou encore les musulmans et les juifs qui sont dans une pratique apaisée de leur religion, acceptent, finalement, de se « mélanger ».

L’enseignement du fait religieux peut-il réellement permettre de lutter contre les discriminations ?

Au Haut conseil à l’Intégration, nous avions travaillé sur la question de l’école. Plusieurs des recommandations de ce rapport sénatorial m’apparaissent comme dangereuses, car travaillant à l’exacerbation des tensions sur notre territoire, tensions qui atteignent déjà des niveaux fort élevés, y compris au sein de l’école.
Il existe déjà un enseignement du fait religieux à l’école et il n’en faut absolument pas davantage. Dans certaines écoles, cet enseignement, qui s’en tient pourtant à la transmission d’un savoir neutre et de très bonne qualité, est malheureusement déjà suffisant pour donner prétexte à des élèves pour perturber les cours et en profiter pour asséner les vérités qui leur ont été transmises au sein de leur environnement familial, et qui ne sont pas nécessairement en harmonie avec l’ensemble des principes républicains.
Aujourd’hui, il est fondamental que l’école de la République s’en tienne aux principes qui ont toujours été les siens. L’école doit de nouveau permettre aux enfants de n’être que des élèves dans son enceinte, et participer ainsi à leur émancipation. C’est la seule façon de créer les conditions d’une possibilité de vivre ensemble sur la durée. [...]

Ne pensez-vous pas qu’un tel rapport atteint l’objectif inverse de celui qui est censé être recherché en pointant plus les différences entre les cultes et les origines que les ressemblances entre citoyens français ?

Il y a, de plus en plus, et pas seulement dans ce rapport, une remise en cause des fondements de la société française. La laïcité se trouve remise en cause, mais aussi la liberté individuelle, la liberté de construire sa propre identité. Si ce rapport était traduit en lois, le caractère d’indivisibilité de la République française en serait anéanti.
Le principe d’égalité, qui est déjà fortement mis à mal par la multitude de plans dits « d’égalité des chances » disparaîtrait totalement car, il ne faut pas se voiler la face, l’objectif visé est l’instauration officielle, à terme, de la discrimination positive. Si telle n’est pas l’intention des rédacteurs du rapport, d’autres s’en chargeront car, dans les faits, c’est l’étape naturelle qui vient à la suite de ce rapport. [...]
Ce rapport sénatorial s’inscrit dans la droite ligne du rapport du conseiller d’État Thierry Tuot et des cinq rapports sur la refonte des politiques d’intégration qui avaient, à juste titre, déclenché un tollé en décembre 2013 au sein d’une partie du monde politique ainsi que dans l’ensemble de notre société. On pensait que le message avait été reçu. Manifestement, ce n’est pas encore le cas."

Lire Malika Sorel-Sutter : "Ce rapport est un réquisitoire contre la France".


Malika Sorel-Sutter. Dernier ouvrage paru : Immigration, intégration : le langage de vérité, Editions Fayard / Mille et une nuits, avril 2011, 288 pages.


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