Revue de presse

M. Gauchet : La "politique des droits de l’homme", "un marché politique arbitré par le prix que les médias attachent à l’une ou l’autre de ces causes" (Revue des deux mondes, fév.-mars 18)

Marcel Gauchet, historien et philosophe, directeur d’études à l’EHESS, rédacteur en chef de "Le Débat". 12 février 2018

"Marcel Gauchet livra, dans les années 1980, l’une des premières réflexions sur les droits de l’homme. La thématique ne l’a jamais quitté depuis. Le philosophe voit dans la revendication des droits individuels une profonde modification de l’esprit et du contenu de la vie démocratique.

[...] Cette politique des droits de l’homme qui commençait à se dessiner était le moyen de recycler le gauchisme imbécile sous la forme, non plus du révolutionnarisme, mais du révoltisme. Il n’était pas difficile d’observer les premières manifestations de ce recyclage en voyant l’enthousiasme de vieux gauchistes découragés qui se requinquaient à l’idée d’avoir un élixir de jouvence à leur disposition.

Les révolutionnaires, eux, avaient au moins un mérite, le seul : nourrir un projet cohérent. Ils essayaient d’avoir une vision de l’histoire, de la société, toujours fausse, mais parfois très intelligemment fausse. Alors que dans le révoltisme, la protestation se suffit à elle-même. Pas besoin d’intelligence de la situation ni d’anticipation des résultats. On peut suivre le fil conducteur qui a conduit du révoltisme à l’indignationnisme – la version la plus récente et le sommet du crétinisme politique.

En remplaçant le Manifeste du Parti communiste par la brochure de Stéphane Hessel, on ne gagne pas vraiment au change. Certes, on n’enferme et on ne tue personne, mais du point de vue de la compréhension du mouvement de la société, on ne peut pas dire qu’on a fait un grand pas. C’est le progrès politique dans la régression intellectuelle. Le progrès politique, c’est le respect de la liberté ; la régression intellectuelle, c’est l’absence de réflexion sur le contenu de cette liberté.

À l’opposé du maximalisme par rupture révolutionnaire, la politique des droits de l’homme déplaçait l’accent vers des causes particulières, des domaines spécifiques. Ce que l’on s’est mis à appeler « les mouvements sociaux ». Il n’était plus question du capitalisme en général mais du nucléaire, du féminisme, de l’écologie. Ces causes ponctuelles permettaient de recycler une protestation radicale, avec un objectif maximaliste, mais dans un domaine limité. [...]

On se dirige vers un marché politique arbitré par le prix que les médias attachent à l’une ou l’autre de ces causes, ce qui est, à mon sens, le contraire de la démocratie. [...]

La logique des droits individuels nous ramène vers l’irresponsabilité protestataire. [...]"

Lire "Marcel Gauchet : « Que faire des droits de l’homme ? »".


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