Revue de presse

M. Bock-Côté : « Dans la tête des censeurs de Finkielkraut » (Le Figaro, 27-28 av. 19)

Mathieu Bock-Côté, docteur en sociologie, chroniqueur au "Journal de Montréal" et au "Figaro". 27 avril 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Mathieu Bock-Côté, L’Empire du politiquement correct, Cerf, 2019, 304 p., 20 e.

"Invité par l’association « Critique de la raison européenne » à faire une conférence devant les étudiants de Sciences Po, Alain Finkielkraut a été la cible d’un groupuscule d’extrême gauche résolu à empêcher l’événement. Pour ces militants, le philosophe ne serait qu’un polémiste raciste, sexiste et réactionnaire ne méritant aucune considération intellectuelle. On notera que de telles controverses se multiplient depuis un temps déjà sur les campus nord-américains. Les conférenciers désinvités sont de plus en plus nombreux. Ainsi s’allonge la liste des mauvais penseurs. La tendance traverse actuellement l’Atlantique. Heureusement, en France, on ne s’habitue toujours pas à la présence d’une police de la pensée au cœur des institutions vouées au savoir et à la libre discussion des idées.

Mais l’indignation ne suffit pas. Il faut surtout comprendre à partir de quel arrière-fond théorique se déploie cette nouvelle censure, pour mieux la combattre. Car nous ne sommes pas devant des militants généreux mais égarés, auxquels il faudrait simplement expliquer les vertus de la civilité libérale, pour les ramener dans le droit chemin. Au contraire, cette extrême gauche diversitaire et identitaire comprend les codes de la démocratie libérale et les combat ouvertement, en prétendant dévoiler les mécanismes d’oppression sur laquelle reposerait la liberté d’expression, qui ne servirait qu’à normaliser la parole des dominants, comme hier, les droits formels étaient dénoncés par les marxistes qui n’y voyaient qu’une illusion juridique masquant les intérêts de la bourgeoisie.

Car il suffit de lire la littérature militante produite par la gauche radicale pour comprendre son hostilité fondamentale à la liberté d’expression, qui ne devrait pas permettre l’expression d’idées prétendument racistes, sexistes, ou associées aux nombreuses phobies contre lesquelles elle pense se battre. Elle se croit naturellement seule en droit de définir ces concepts. La société libérale masquerait un système discriminatoire. Il ne faudrait plus discuter avec ses représentants mais les attaquer ouvertement, dans l’esprit d’une lutte à finir entre les forces de l’oppression et celles de l’émancipation. C’est la logique de la guerre civile. À terme, on créera un espace public où les discours contribuant à la supposée marginalisation des « minorités » ne seront plus entendus ni autorisés. La gauche radicale espère transformer l’université en « safe space ».

Le conservatisme ne serait rien d’autre que la réaction du vieux monde contre la déconstruction des privilèges qu’il consacrait. Pourquoi pleurer le mauvais sort réservé à ses penseurs ? Le véritable problème en matière de liberté d’expression serait l’accès inégal à la parole publique des « minorités ». De manière orwellienne, on soutiendra que la censure des conservateurs contribuerait même à la mise en place d’une véritable liberté d’expression, permettant aux voix étouffées de se faire entendre. Faire taire Finkielkraut, ce serait donner la parole aux victimes de ses idées. Les plus culottés dans la sottise soutiendront même que les « dominés », en perturbant la prise de parole d’un infréquentable, exerceraient leur liberté d’expression. Ce serait une violence inadmissible que d’entraver leur droit à la protestation. Le problème dépasse l’université. Quand certains médias se demandent s’il faut continuer d’inviter tel écrivain ou tel essayiste, pour ne l’accueillir finalement qu’en lui collant une étiquette infamante justifiant les pires soupçons, comme s’il fallait mettre en garde à l’avance le public contre ses idées, ils participent à cette dégradation de la vie publique. Une nouvelle tentation totalitaire revient hanter la modernité, cette fois au nom de la diversité, qui révolutionnerait l’ordre social en faisant table rase du vieux monde. Les défenseurs de la démocratie libérale auraient tout avantage à prendre au sérieux les théoriciens progressistes les plus radicaux car leurs extravagances idéologiques se présenteront demain comme des innovations sociétales auxquelles tous devraient se rallier.

Les appels à la censure se banaliseront dans les temps à venir, où la violence politico-idéologique est réhabilitée par un antifascisme carnavalesque qui sert de défouloir à une jeunesse militante qui n’a pour seule culture qu’une bouillie idéologie toxique. L’interdit de la violence s’est liquéfié. Une logique sectaire s’empare du domaine public. La vie des idées devient étouffante. La passion de la délation reprend ses droits. Les conditions culturelles nécessaires à la démocratie libérale se décomposent. La vie philosophique de Finkielkraut pourrait ici être méditée. Depuis plus de trente ans, dans le cadre de « Réplique », il a su incarner une certaine idée de l’espace public, sous le signe de la controverse féconde. Ses censeurs devraient se mettre à son école. Ils y apprendraient la beauté du désaccord civilisé."

Lire Mathieu Bock-Côté : « Dans la tête des censeurs de Finkielkraut ».



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