Note de lecture

J. Ziegler : une lumière crue sur les "hot spots" pour migrants (G. Durand)

par Gérard Durand. 24 février 2020

Jean Ziegler, Lesbos, la honte de l’Europe, Seuil, 2020, 144 p., 14 €.

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Jean Ziegler est Suisse, mais c’est un Suisse un peu particulier, un Suisse de gauche internationaliste, longtemps correspondant et ami de Ché Guevarra, c’est à la demande de ce dernier qu’il est resté à Genève au lieu de le rejoindre en Amérique du Sud. Et c’est tant mieux pour nous car être au cœur d’une grande institution internationale lui permet de bien connaître le fond de leur fonctionnement et de nous le décrire à travers ses nombreux livres, La Haine de l’Occident, Une Suisse au dessus de tout soupçon ou L’Empire de la honte, pour ne parler que des plus connus.

Il a fait toute sa carrière au sein des institutions de l’ONU et c’est en qualité de membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qu’il a décidé de voir ce qui se passait réellement aux frontières de l’Europe et de nous en rendre compte dans ce dernier ouvrage Lesbos, la honte de l’Europe.

Chacun sait la peur des gouvernements européens et d’une partie de leurs peuples de voir déferler sur l’Europe des hordes de réfugiés venus du Sud pour de multiples raisons, les guerres qui ravagent leur pays parfois depuis de longues années mais aussi les dictatures et la faim. Il faut faire le tri entre ces différents types de réfugiés et se protéger d’éventuels terroristes dissimulés dans cette foule. Il y a cinq ans, en 2015, fut décidée la création de « hot spots », de leur vrai nom first reception facilities dont le but est de faire ce tri aux frontières de l’espace Schengen et la même année un accord fut signé entre la Commission européenne et le gouvernement grec pour créer cinq de ces centres sur les îles les plus proches de l’Asie mineure, Lesbos, Kos, Leros, Samos et Chios. Et c’est du plus grand de ces centres, celui de Lesbos dont nous parle Jean Ziegler

Au départ le haut commissariat aux réfugiés estime à 34 500 le nombre de personnes se trouvant dans ces centres dont les deux tiers de femmes et d’enfants. Comme il ne sont équipés que pour héberger 6 400 personnes on imagine le surpeuplement et les conditions de vie. Le pire est que des nouveaux arrivent tous les jours, alors on met en place différentes méthodes pour limiter le nombre des arrivées, malgré cela chaque matin des policiers grecs armés inspectent les côtes. Ils arrêtent les réfugiés cachés tant bien que mal derrière les rochers et les menottent, y compris les enfants, pour les conduire dans des autobus bleus à Moria, un camp installé près de Mytilène ou ils attendront les premiers interrogatoires par des fonctionnaires de l’une des agences de l’ONU.

Ceux qui atteignent les côtes grecques sont des survivants, car les méthodes utilisées pour repousser leurs bateaux sont féroces. La technique la plus employée est le push back. Le bateaux de Frontex, qui ne sont pas des bateaux de secours mais des bateaux militaires, dépourvus de médecins et de matériel médical, comme les gardes côtes grecs ou turcs, n’hésitent pas à les repousser au risque de faire chavirer leurs embarcations, ce qui se produit souvent, sans l’espoir du moindre secours. Certains ont décrit les gardes turcs leur tapant dessus avec de longues perches en fer pour les faire rebrousser chemin, une autre méthode consiste avec ces mêmes perches prolongées de couteaux à crever l’enveloppe des zodiacs et personne ne parle des tirs à la mitrailleuse visant les fragiles embarcations de plus en plus près afin qu’elles fassent demi tour ou encore de ceux qui tournent à grande vitesse autour des zodiacs afin de générer des vagues qui les font chavirer. Mais tout cela porte ses fruits : en 2016, 172 450 personnes sont arrivées et en 2017 à peine 30 000. Ce qui réjouit la Commission, qui va financer massivement ce beau système, 150 millions à la marine grecque, plus de 20 millions pour la seule formation des marins turcs.

Les trafics fleurissent aussi dans ces belles régions. Derrière les policiers grecs on peut voir des camionnettes qui cherchent les tas de gilets de sauvetage et les zodiacs échoués dont les réfugiés se sont débarrassés lors de leur arrivée, ils seront revendus par des bateaux de pèche aux trafiquants turcs pour de nouveaux départs de désespérés. Les camps légaux sont quant à eux bien protégés, entourés de barbelés « OTAN » constitués de fils de fer incassables et de pointes coupantes comme des lames de rasoir ; en essayant de passer dessous on a toutes les chances de se couvrir d’entailles parfois très profondes. Mais ce n’est encore rien car en d’autres endroits, par exemple à la frontière syrienne, les Turcs ont installé des mitrailleuses à tir automatique : si un être humain s’approche à moins de 300 m des hauts parleurs lui disent de s’éloigner et s’il ne le fait pas le tir se déclenche, il n’y a plus qu’à ramasser les cadavres.

L’ensemble de ces équipements coûte une fortune au plus grand plaisir des fabricants et marchands d’armes, les dotations aux deux postes intitulés « sécurité des frontières » et « migrations » sont en augmentation constante et vont atteindre en 2027 la somme colossale de 34,9 milliards d’Euros, soit un triplement depuis 2019.

Mais revenant à son sujet de départ, l’auteur nous décrit l’horreur de ces camps surpeuplés, les installations de fortune dans les oliveraies balayées par les premières pluies, au grand dam des locaux dont l’huile d’olive est la principale ressource, la nourriture avariée jetée à peine reçue car dangereuse mais fournie par des traiteurs choisis par les militaires grecs chargés de l’approvisionnement, les logements de familles entières dans un demi container ou il ne fait parfois pas plus de 1° l’hiver, les délais insensés pour obtenir le premier entretien, celui qui va décider si vous avez ou non droit au statut de demandeur d’asile, parfois plus de deux ans car les différents pays ne fournissent pas assez de fonctionnaires. La corruption massive qui fait disparaître la majorité des subventions et dont ont profité des ministres y compris certains du gouvernement Tsipras, les enfants déscolarises etc... Arrêtons nous la !

Jean Ziegler démontre clairement et nous fait comprendre le fonctionnement de cette bureaucratie Européenne qui s’ajoute à celle des institutions internationales. Son but n’est pas de nous demander d’accepter tout migrant mais de mettre en place un système humain et rapide de traitement de ceux qui parviennent à franchir les obstacles et arrivent sur nos territoires. Il souligne aussi le gâchis que la politique actuelle représente pour l’Europe et pas seulement en termes financiers car beaucoup de ces réfugiés pourraient trouver chez nous une place utile, il sont médecins, ingénieurs, enseignants et les laisser pourrir dans ces camps de l’horreur au lieu de les former à nos langues, nos institutions et nos règles est d’une totale stupidité et ne peut avoir comme résultat que la haine de l’occident.

A lire absolument

Gérard Durand


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