Tribune libre

Lettre d’un directeur d’école à sa hiérarchie sur l’essentialisation des élèves en REP

29 janvier 2019

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Monsieur,

Pour donner suite au récent Comité de pilotage du REP (réseau d’éducation prioritaire), je me permets de partager avec vous une analyse qui me tient à cœur sur ce que j’ai entendu. Vous connaissez mon engagement sur la laïcité. Je travaille depuis 21 ans dans cette école et j’ai pu affiner ma perception des difficultés que nous rencontrons en matière d’échec scolaire, en particulier l’échec des élèves dits « issus de l’immigration », même si ce terme n’a plus trop de sens.

En effet, la quasi-totalité de ces élèves sont nés en France, parfois même de parents nés en France eux-mêmes. Très vite à mes débuts, alors que je découvrais la ZEP (j’ai fait une partie de ma carrière à l’étranger, ignorant la situation en France), je fus convaincu, aidé en cela par une équipe militante et politisée, qu’il fallait porter un regard particulier sur ces élèves dont les parents étaient majoritairement issus de l’Afrique du Nord et de l’Afrique sub-saharienne. L’idée était qu’au travers de projets et spectacles divers, nous établissions un rappel permanent aux origines supposées pour mieux appréhender les apprentissages et respecter de ce fait les « cultures » d’origine. Ainsi, on avait un large éventail de travaux sur l’Afrique, de spectacles où venaient des griots, des danseurs africains... Nous organisions chaque année un repas (dit international) où les familles apportaient des plats de leurs pays (c’est d’ailleurs toujours le cas). Je me rappelle que notre inspectrice de l’époque m’avait demandé d’inclure dans le libellé de la fête "repas international et régional" m’expliquant qu’il était important de mettre également en valeur les régions françaises. Elle avait déclenché un tollé. Mon équipe de militantes y voyait bien entendu du mépris et du racisme. J’étais, je dois le dire, dans le même état d’esprit, même si effectivement quelque chose me disait que cette inspectrice n’avait pas tort.

Au fil des années, j’ai pu constater avec amertume une constante dans l’échec scolaire, constante révélée par les piteux résultats et les comportements de nos élèves au collège. La réputation du collège de secteur n’est pas tombée du ciel et les élèves qui « l’alimentent » sont en majorité issus de l’école que je dirige. Nous ne pouvions éternellement désigner comme coupables les professeurs du secondaire, la société ou la politique. Il fallait aussi balayer devant notre porte et constater que notre « vision » avait sa part de responsabilité.

Sans prétendre inverser un constat aux causes bien plus profondes, je me suis peu à peu posé la question de cette essentialisation que nous favorisions au sein de l’école. Par notre vision, nos projets et nos actions, nous maintenions ces enfants dans leurs origines supposées et, tout en prétendant respecter leur « culture », nous les enfermions dans ces dernières, leur refusant de fait l’accès aux codes régissant le pays dans lequel ils étaient nés et où ils devaient vivre. Nous leur refusions l’accès à des savoirs dont inconsciemment nous ne les jugions pas capables. J’ai finalement vu cela comme une faute et un manquement à l’idéal républicain et universaliste que doit porter notre École. Les élèves que nous avons ont, certes, des origines familiales mais ils sont avant tout des enfants de notre République. J’ai donc, au fil des ans, au fur et à mesure de l’évolution de mon équipe, tenté de faire passer un message aux jeunes enseignants qui la composent. Le message était : 

« Vous êtes en ZEP, vous faites le constat qu’il y a dans vos classes 80 % des élèves qui viendraient d’un autre pays avec des familles en difficultés sociales, restez-en au constat car c’est en partie faux. Il y a des difficultés sociales certes mais ce n’est pas la misère et il y en a, au plus, 5 % voire aucun élève qui viennent d’un autre pays (il y a depuis longtemps peu de primo arrivants). Enseignez comme vous enseigneriez dans un quartier dit « favorisé » mais avec plus d’exigences et surtout plus de cadre, de rigueur, d’autorité et de respect des règles. Oubliez les différences pour vous centrer sur ce qu’ils ont en commun, en premier lieu la chance d’avoir cette École. Orientez vos projets sur leur lieu de vie, leur ville, leur pays la France et oubliez un peu les contes africains ou autres, faites confiance aux familles pour leur en parler ».

Alors, bien sûr, il n’y a pas eu de miracle mais très vite le constat a été fait d’une école apaisée sans avoir eu recours à une « sous-traitance » extérieure pour nous dire comment faire et, surtout, les équipes se sont stabilisées avec de jeunes enseignants qui n’ont pas peur « d’affronter » nos élèves.

Tout cela pour vous dire que lors du récent Comité de pilotage du REP, je suis resté très dubitatif sur l’intervention d’une personne invitée. Il s’agit de la personne « Chargée du développement local Éducation » dans l’équipe de développement local de la mairie. Un partenaire institutionnel donc, qui travaille beaucoup avec le REP. Elle nous a parlé avec assez de passion du thème de son master et de son travail avec l’association « Ethnologues en herbe ». Rien de répréhensible bien sûr et, après avoir consulté les objectifs de cette association, j’ai trouvé beaucoup d’idées intéressantes liées à l’ethnologie. Ce qui m’a interpellé, c’est la vision qui en est faite pour nos quartiers. J’ai retrouvé, dans son discours, cette volonté de revenir aux origines en axant ses propos essentiellement sur les enfants issus de l’Afrique sub-saharienne avec le sempiternel désir d’orienter notre travail, voire notre formation sur la compréhension des codes ethniques qui régiraient les vies de nos élèves. Elle a fait une opposition nette entre notre monde et « le leur », en citant 2 exemples :

  • celui d’une jeune fille malienne qui arriverait en France avec ses parents qui ont fait le choix de l’émigration et subirait le choc de vivre dans l’ex-pays colonisateur (mot prononcé) et pour qui il est nécessaire de comprendre son ressenti (donc d’avouer notre culpabilité) ;
  • celui des enfants nés en France mais qui vivraient à cheval sur deux cultures, d’où l’importance pour nous (sous-entendu les Français ?) d’assimiler ces cultures, de les valoriser et de nous adapter en conséquence.

Il est bien sûr à chaque fois question de la violence de l’institution à l’égard de ces enfants et de ces familles. Nous ne sommes pas loin du racisme d’État. Ce discours est clairement celui des partis indigénistes et je le trouve très inquiétant bien qu’enrobé de bonnes intentions. Bien sûr, je ne dis pas que cette personne appartient à un tel parti (c’est d’ailleurs son droit) mais son discours s’y apparente.

En parallèle, un des projets du collège de secteur est que nombre d’élèves se réapproprient leur langue d’origine. Il est donc proposé en inter-degrés un travail commun de lecture d’histoires, de contes ou autres en wolof, bambara, soninké, tamoul... On est et on reste, hélas à mon sens, dans cette dynamique d’enfermement que je qualifierai de communautariste. C’est une vision essentiellement multiculturelle en opposition totale avec l’universalisme bâti autour de valeurs communes.

En conseil des maîtres aujourd’hui, j’en débattrai avec mon équipe. Chacun sera libre de s’inscrire dans ce projet mais je ferai part de mon point de vue.

Avec mes salutations et en vous remerciant de votre confiance.


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