Revue de presse

"Lettre aux Occidentaux : Dieu n’est pas mort !" (J. Haddad, Libération, 30 jan. 15)

Joumana Haddad est écrivain et journaliste libanaise. 30 janvier 2015

"Chers Occidentaux,

Vos intellectuels, vos hommes scientifiques et vos philosophes vous ont trop longtemps dupé, mais il est temps de remettre les choses au point : voyez-vous, Dieu n’est pas mort.

Vous ne me croyez pas ? Demandez-le à Sarah-Lou, la plus jeune fille de Tignous, et à ses trois sœurs. Elles vous diront que Dieu a été tellement « chagriné » par les dessins de leur papa, qu’Il a personnellement ordonné à deux de Ses fidèles disciples d’Al-Qaeda de le tuer. Or un Dieu mort, nous le savons tous, ne peut pas sentir de chagrin. Preuve numéro un !

Dieu n’est pas mort. Réveillez-vous, merde ! Demandez-le à Raef Badaoui, l’activiste saoudien qui a récemment osé le critiquer. Même pas, en fait : il a juste critiqué quelques-uns de ses représentants. Raef vous dira que Dieu a été tellement « blessé » par ses mots, qu’Il a supplié Ses gentils wahhabites de le flageller.

Or un Dieu mort ne peut pas se sentir blessé. Preuve numéro deux !

Dieu n’est certainement pas mort. Ouvrez bien les oreilles ! Demandez-le à Amir, le garçon pakistanais de 12 ans, et à ses 131 camarades, qui ont commis le crime d’aller à l’école dans la ville de Peshawar. Ils vous diront que Dieu a été tellement « peiné » par leur soif d’apprendre, qu’Il a dû implorer Ses cléments talibans de les abattre tous. Or un Dieu mort ne peut ressentir de peine. Preuve numéro trois !

Dieu n’est pas mort, je vous dis ! Demandez-le à Afaf, la femme yézidi qui a eu l’insolence de ne pas être née musulmane. Elle vous dira que Dieu a été tellement « déçu » par cette identité qu’elle n’a pas choisie, qu’Il a commandé Ses charmants militants de l’Etat islamique de la violer au moins 30 fois par jour. Or un Dieu mort ne connaît pas le goût amer de la déception. Preuve numéro quatre !

Vous en voulez encore, des preuves ? Tenez, j’en ai plein : demandez-le à Malala Yousafzai en Afghanistan. Demandez-le à Reyhaneh Jabbari en Iran. Demandez-le aux 2 000 victimes nigérianes de Boko Haram entre le 3 et le 7 janvier 2015 ; à toutes les femmes qui n’ont pas le droit de conduire une voiture en Arabie Saoudite ; à toutes les jeunes filles dont on sectionne le clitoris en Egypte ; à toutes les sœurs et épouses qui sont assassinées par des crimes dits d’honneur en Jordanie ; à toutes les mineures qu’on marie au Yémen ; à tous les homosexuels qui sont jetés du haut des immeubles en Syrie ; à toutes les minorités qui sont exterminées en Irak. Et j’en passe.

Non, Dieu n’est pas mort. Il est bel et bien vivant, un peu partout sur la planète, mais surtout chez nous, dans ce bon vieux monde arabo-musulman, et ce, grâce à Ses « braves élèves » qui abondent ici. Vous me direz que vous en avez vous aussi, des types comme ça. Et vous aurez raison. Vous avez même encouragé leur prolifération, par vos politiques injustes, vos intérêts économiques, votre prostitution aux pays du Golfe : si les fanas sont prêts à tout pour leur Dieu, vous, vous êtes prêts à tout pour l’argent. Un ministre saoudien dans la marche républicaine, alors ça, c’est une caricature offensive !

Bref. Dieu n’est pas mort, et il revient aux fanatiques de vous prouver qu’Il est bien en vie. Vous, les Occidentaux, qui lui avez largement tourné le dos. Vous, qui Le contrariez continuellement, le pauvre. Vous, qui ne faites que Le vexer, Le contester et Le dépiter. Vous, qui Le provoquez, vous moquez de Lui, Le désenchantez. D’ailleurs il commence à y en avoir chez nous aussi, des mécréants comme vous, et de plus en plus nombreux : chrétiens et musulmans, croyants et athées. Ils luttent pour un monde arabe laïque et attendent impatiemment la fin de cette époque qu’ils disent « ténébreuse » ; mais on les tient en laisse. On les emprisonne, on les torture, on les condamne à mort. Et vous, vous fermez souvent l’œil, n’est-ce pas ?

Pourquoi toute cette haine à l’égard de Dieu, alors qu’Il n’est qu’Amour, Lui ? Tout ce qu’Il veut, c’est d’être aimé en retour (et idolâtré de temps en temps : mais franchement, qui Le blâmerait ?). Tant mieux s’Il est entouré de gens honnêtes comme les fanatiques pour croire en Lui, Le défendre, Le protéger, garder intacte Sa dignité, imposer Son respect et Ses valeurs. Sinon qu’en serait-il de ce monde ? Ce serait un monde de criminels ! Fini, la paix qui règne sur terre. Fini, l’entente entre les peuples, la tolérance, la décence et la liberté. Fini, l’humanité et l’humanisme. Il n’y aurait plus que des meurtriers, des pédophiles, des homophobes, des racistes, des sexistes, des ignorants, des censeurs, partout, et des guerres interminables, qui se répéteraient en boucle. C’aurait été un monde intolérable, pas vrai ?

Mais ne vous inquiétez pas, chers Occidentaux : les fanatiques vont vous « sauver » et nous sauver, nous les Arabes sécularistes et assoiffés de liberté. En gros et en détail. Coûte que coûte. Ils feront le nécessaire, défieront tous les obstacles (lois, droits humains, logique, savoir, justice, forces de l’ordre, etc. : toutes les foutaises, bref) et ils vous, nous, ramèneront vers Lui. Peut-être bien en lambeaux, décapités, écrasés, transpercés, égorgés, mais qu’importe ?

Il saura bien nous recoudre, là-bas, dans Son Royaume Eternel. Peut-être bien au prix de quelques carnages ici et là, mais qu’importe ? Il saura nous consoler et nous indemniser. A propos, savez-vous qu’Il a des rivières de vin là-haut, et des vierges autant que l’on peut en sauter ? Bon, il est vrai que ces dernières sont promises à Ses martyrs, mais ils s’arrangeront avec nous. Car un bon musulman est généreux. Ainsi le Prophète a-t-il dit, surtout à Abu Bakr Al Siddik, qui hésitait à lui accorder sa fille en mariage car elle n’avait que 8 ans. « Il faut donner sans compter », lui a-t-il dit, et voilà l’essence de l’islam. Donc les fanatiques donnent : des balles, des bombes, des coups de sabre, des coups de reins dans les flancs des femmes impies. Sans compter.

Faites gaffe, chers Occidentaux ! Dieu n’est pas mort du tout. Je viens de le voir en train de nettoyer son fusil à Al Riqqa. Et surtout ne laissez pas les faits vous tromper : grâce à Lui, ce monde s’en porte de mieux en mieux. Si vous ne me croyez pas, venez faire un petit tour chez nous."

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