"Les musulmans ont du mal à avaler la viande à la cantine" (Libération, 11 jan. 05)

15 janvier 2005

"Dans la région lyonnaise, des dizaines de parents d’élèves musulmans s’opposent à des élus ou à des responsables de cantines scolaires. Ils refusent que leurs enfants mangent de la viande non halal (non égorgée). Et s’indignent qu’on les force.

A Villefranche-sur-Saône (Rhône), cette situation s’est transformée en mini-crise lorsque les parents de deux écoles maternelles ont reçu des lettres de l’adjointe aux affaires scolaires. Elle menaçait les gamins d’exclusion s’ils continuaient à ne pas manger de viande. Les parents les ont retirés de la cantine et se sont fédérés. Le courrier était « abrupt », reconnaît l’adjointe, qui se serait « un peu affolée » en voyant le nombre de cas augmenter (la ville parle de 16 familles, ces dernières pensent être une trentaine). « C’était une petite maladresse, confirme le cabinet du maire. Notre volonté n’était pas d’exclure, mais de rappeler que la cantine a vocation à nourrir les enfants, pas à les laisser sortir de table le ventre vide. » L’adjointe aurait été alertée par des professeurs des écoles constatant que des enfants avaient faim après les repas. En maternelle.

Kamel et son épouse, étudiants tous les deux, ne croient pas à cet argument. Ils ne veulent pas que leurs deux filles mangent la viande de la cantine, mais leur donnent tous les soirs de la viande halal. « Si elles mangent l’entrée, les légumes, le fromage et le dessert, il n’y a pas de problème, affirme Kamel. Nous ne demandons pas qu’on leur serve de la viande égorgée ou des repas de substitution. Nous ne sommes pas du tout dans une démarche communautaire. Nous voulons simplement que l’on ne force pas nos enfants à manger ce qu’ils ne veulent pas manger. » Farida Saadi, concernée pour deux enfants de 3 et 6 ans, remarque que cela ne posait pas de problème jusque-là : « Moi-même, j’ai fait toute ma scolarité sans manger de viande et sans problème de santé. Pourquoi la règle change cette année ? »

La grogne montant, la mairie a rencontré les familles, ce qu’elle aurait peut-être dû faire plus tôt. Certains ont alors remis leurs enfants à la cantine, sauf les jours où il y a viande au menu. Restent six enfants, de quatre familles différentes et plus déterminées. Le maire, Jean-Jacques Pignard (UDF), a promis vendredi qu’ils pourront rester jusqu’à la fin de l’année scolaire à la cantine sans manger de viande. Leurs parents signeront en contrepartie une décharge « en cas de malnutrition ». L’année prochaine, tout le monde devra signer le règlement de la cantine, qui impose de goûter de tout. « Nous conserverons les repas de substitution pour le porc, comme nous le faisons depuis des années », précise le cabinet du maire.

Le problème s’est déjà posé dans les écoles de la région. A Vaulx-en-Velin à la rentrée, et à Rillieux-la-Pape, dans la banlieue nord-est de Lyon, dès janvier 2004. La mairie avait désamorcé la crise en réunissant les adjoints aux affaires scolaires et à la sécurité, trois parents d’élèves et l’employé de la cantine qui demandait aux enfants de manger de la viande comme tout le monde. Les responsables de la mosquée, avec qui les relations sont plutôt bonnes, avaient aussi été conviés. Les choses se sont apaisées, la ville continuant à inciter les enfants, sans les forcer à manger.

A Lyon, on dénombre « 40 à 50 cas » cette année (sur 15 000 repas quotidiens). Plusieurs arrondissements sont concernés. « Les consignes sont claires et délicates », sourit Yves Fournel, adjoint (gauche alternative) chargé des affaires scolaires. « Le personnel doit inciter les enfants à goûter de tout, mais il ne doit pas les obliger si les parents ont dit qu’il ne fallait pas. Après, je ne suis pas derrière chacun. » Dans le IXe, où le problème se pose pour une douzaine de familles réparties dans les deux tiers des groupes scolaires de l’arrondissement, Abel Gago, adjoint (PS) chargé de la culture et des affaires scolaires, en a reçu quatre. « Je leur ai expliqué, explique-t-il, qu’on ne force pas les enfants à manger mais qu’on pose systématiquement tous les aliments dans les assiettes, pour les inciter à manger et leur éduquer le goût. » Mais les parents qu’il a reçus demandent que cela ne se fasse plus. « Car leurs enfants, après, refusent de manger les autres aliments dans cette assiette. »

L’élu ne croit pas à une stratégie militante de la part des familles. « J’ai même été étonné, dit-il, de voir que la relation n’était pas conflictuelle. Ils sont face à une difficulté et nous en posent une autre. » Même chose à Villefranche, où les demandes des parents sont d’ailleurs différentes. Certains, comme Kamel, exigent seulement que l’on ne force pas leurs enfants. D’autres réclament des repas de substitution. Quelques-uns, enfin, demandent de la viande halal.

Cette solution a été évoquée, jeudi, par le bureau exécutif du Conseil français du culte musulman (CFCM). Son président, Dalil Boubakeur, estime que revendiquer de la viande halal dans les écoles n’est pas une demande « extravagante ». Il demande aux pouvoirs publics d’y « répondre si possible ». Et, s’il y a impossibilité, de « le dire sans se draper encore une fois dans les sacro-saints interdits de la laïcité ».

La ville de Lyon a fait réaliser une étude pour connaître le surcoût de repas de substitution. Il faudrait dépenser le double pour ces plats, le prix de revient dépendant du nombre de repas. « Mais ce n’est pas qu’une histoire de coût, glisse Abel Gago. Si on dit oui à la viande halal, on devra dire oui demain à d’autres exigences. »"

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