Revue de presse

"Plus les gens sont croyants, moins ils apprécient l’innovation" (lemonde.fr , 17 av. 15)

20 avril 2015

"Peut-on être croyant et technophile ? Quand des économistes se mettent à étudier des questions de cours philosophiques, en utilisant leur arsenal de moyens statistiques, ils peuvent faire des étincelles. Trois d’entre eux, Roland Benabou (professeur d’économie à l’université de Princeton, aux Etats-Unis), Davide Ticchi et Andrea Vindigni (tous deux professeurs d’économie à l’Institut d’études avancées de Lucques, en Italie) viennent ainsi de jeter un joli pavé dans la mare des réflexions sur ce qui unit ou désunit religion et modernité.

Dans leur article " Religion et innovation " récemment publié par le Centre for Economic Policy Research, ils sont formels. " Engagement religieux et innovation sont très clairement négativement corrélés, que ce soit au niveau individuel ou global ", affirment-ils. C’est-à-dire que plus les gens sont croyants, moins ils apprécient l’innovation.

" Evidemment ", s’est aussitôt exclamée ma collègue Catherine, ex-journaliste scientifique. " Tu enfonces des portes ouvertes. Le débat entre créationnistes et évolutionnistes, par exemple, c’est-à-dire entre partisans de l’origine divine de l’homme et tenants de la théorie darwinienne, n’est pas nouveau. "

Certes. Mais l’étude de MM. Benabou, Ticchi et Vindigni est de portée beaucoup plus générale, et va donc bien au-delà de ce sujet très sensible.

Pour répondre à la question de savoir si la foi s’oppose au progrès scientifique, les chercheurs ont utilisé les résultats d’un questionnaire administré à cinq reprises entre 1980 et 2005 par le World Values Survey (WVS), une association de chercheurs en sciences sociales qui conduit des études sur un échantillon de 400 000 personnes dans une centaine de pays, des plus pauvres aux plus riches. Le WVS couvre 90 % de la population mondiale. L’échantillon est ainsi non seulement représentatif au niveau de la planète, mais aussi à l’échelle de chacun des pays représentés.

Pour mesurer le niveau de conviction religieuse des personnes interrogées, ils leur ont posé des questions sur leur pratique du culte bien sûr, mais aussi sur l’importance de Dieu et de la religion dans leur vie, leur niveau de croyance, etc. Pour qualifier leur degré d’acceptation, de défiance ou de rejet de l’innovation, ils leur ont demandé si elles estimaient que le monde s’est amélioré grâce à la science et à la technologie, s’il est important d’être créatif, de prendre des risques, d’avoir une vie passionnante, s’il est souhaitable qu’un enfant soit imaginatif, indépendant, persévérant. Entre autres questions.

Résultat : une personne qui s’affirme" religieuse " ou qui accorde beaucoup d’importance à la religion a significativement plus de chances de penser qu’" on dépend trop de la science et pas assez de la foi " et que l’innovation " fait que la vie change trop vite ". Elle n’aime guère prendre des risques, et va transmettre ces principes à ses enfants, puisqu’elle estime aussi, selon l’étude, que l’imagination ou l’esprit d’indépendance ne sont pas des qualités à cultiver.

En conséquence, il n’est pas étonnant que plus une personne est croyante plus elle prône des méthodes non rationnelles pour prendre des décisions d’ordre technique, comme de demander l’avis du public plutôt que de faire confiance à des experts, selon une autre étude citée par les chercheurs. " Certains militants sont des croyants inconscients ", analyse Sophie Gherardi, directrice du site Fait-religieux.com [1]. " Ils sont imprégnés d’une religion résiduelle, qui les fait se méfier du progrès et de la richesse ", ajoute-t-elle.

" La France est pourtant un pays un peu plus innovant que le degré d’engagement religieux de sa population pourrait le laisser penser ", observe M. Benabou, qui a également constaté que les pays les plus innovants, qui déposent le plus de brevets par habitant, sont aussi les moins religieux. Si les Etats-Unis, pays qualifié de plus religieux parmi les pays développés, fécondent autant de start-up, c’est parce que certains de leurs Etats, telle la Californie, sont peu religieux et très prolifiques techniquement.

De là à discriminer un candidat à un poste de chercheur à cause de sa foi, il est un pas qu’il ne faut bien évidemment pas franchir ! " L’autosélection fait son œuvre toute seule !, constate M. Benabou. Le pourcentage de croyants est très faible parmi les professeurs d’université dans les disciplines scientifiques. " [...]"

Lire "Les croyants innovants seraient une espèce rare".

[1Voir fait religieux.com (note du CLR).


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