Revue de presse / tribune

« Le sport ne doit pas être un prétexte à se compter entre tribus » (N. Heinich, J.-E. Schoettl, F. Thiriez et alii, lopinion.fr , 24 mars 22)

Nathalie Heinich, Jean-Eric Schoettl, Frédéric Thiriez et alii 27 mars 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Après l’école, c’est au sport que s’attaque le prosélytisme politico-religieux.

Nous pensions, à tort, que le débat était derrière nous. Conformément aux conclusions de la commission Stasi, la loi de 2004 n’avait-elle pas interdit, dans les écoles, collèges et lycées publics, le « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse »  ? Et cette prohibition, en dépit des pronostics catastrophiques de certains, n’était-elle pas bien acceptée  ? En sanctuarisant l’éducation, nos enfants peuvent apprendre et développer leur sens critique à l’abri des pressions communautaires et prosélytes.

Charte olympique. Sans être mentionné dans la loi de 2004, le sport (du moins celui qui se pratique dans le cadre des fédérations sportives et des collectivités publiques) semblait relever de la même exigence de neutralité politique et religieuseque l’école publique. Bien plus : n’était-il pas évidemment soumis aux principes de neutralité et d’universalité dont s’inspire la règle 50 de la charte olympique, qui précise « qu’aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique »  ?

Il nous semblait en conséquence naturel que les lieux où se pratique le sport réunissent les sportifs en tant que sportifs et il nous paraissait exclu que ces lieux deviennent le siège de manifestations politiques ou d’affichage religieux. Le sport doit exprimer l’appartenance à une commune citoyenneté, à une commune humanité, et non devenir un prétexte à se compter entre tribus.

Instrument privilégié d’éducation, le sport a été justement placé, au cours du quinquennat, sous l’égide d’un grand ministère de l’Education, de la Jeunesse et des Sports. En rassemblant ces trois composantes, le gouvernement a entendu affirmer la cohérence de son action éducative. Celle-ci impose de faire barrage, dans le sport comme à l’école, au communautarisme et au radicalisme.

La loi visant à démocratiser le sport, qui vient d’être adoptée par le Parlement, comporte des dispositions innovantes et de nature à optimiser le fonctionnement des institutions sportives au bénéfice du plus grand nombre. Toutefois, l’ambiguïté demeure quant au respect des principes républicains. Malgré les amendements déposés dans le sens de la neutralité des entraînements et compétitions organisés dans le cadre des fédérations sportives et de leurs clubs affiliés, la loi n’interdit pas l’ostentation religieuse. Son silence peut faire douter de la volonté réelle du législateur de promouvoir le sport féminin.

« Cette impasse du législateur générera de nombreux conflits sur tous les terrains de sport »
Exemple d’incohérence produite par ce silence de la loi : une jeune fille amatrice d’escalade vient dans son établissement scolaire, en cours d’EPS, sans son voile, conformément à la loi de 2004. Après les cours, s’entraînant dans le même gymnase, mais cette fois dans le cadre d’un club sportif (à la disposition duquel est mis le gymnase), elle pourra mettre son voile là où cela lui était interdit quelques heures auparavant. Comment aider une adolescente à se construire avec un tel illogisme pédagogique  ?

Autre exemple : un joueur pourra dorénavant jouer avec une kippa… qu’il devra retirer lorsqu’il exercera en qualité d’arbitre, puisque cette fonction est une mission de service public soumise au principe de neutralité. Plus ubuesque : une joueuse portant le voile au cours de sa pratique en club, une fois sélectionnée en équipe de France, devra alors le retirer pour respecter la neutralité imposée aux athlètes des sélections nationales.

Dérobade. Cette impasse du législateur générera de nombreux conflits sur tous les terrains de sport du territoire. Tel est, sinon l’objet, du moins l’effet de sa dérobade. Les conflits se déplaceront aussi sur le terrain judiciaire. Ainsi un collectif dénommé Les hijabeuses a saisi le Conseil d’Etat pour faire annuler l’article 1er des statuts de la Fédération française de football, qui interdit tout signe religieux ostentatoire sur les terrains de football. La décision de la haute juridiction administrative est attendue avec impatience par tous ceux qui sont attachés au principe de neutralité du sport.

De son côté, la Cour de cassation vient de juger qu’un conseil de l’ordre des avocats pouvait légalement interdire de porter, avec la robe d’avocat, tout signe manifestant une appartenance religieuse, politique ou philosophique. Il serait évidemment fâcheux que les deux plus hautes juridictions françaises divergent sur cette question.

Le sport peut devenir, si on n’y prend garde, un terrain efficace de déconstruction des principes fondateurs de la loi de séparation de 1905, et ce d’autant qu’il est populaire et médiatisé. Et la contagion suivrait : permettre les signes religieux ostentatoires dans le cadre du service public du sport, au sein de fédérations comme de collectivités publiques, concourrait à faire plier l’ensemble des administrations de la République. Et l’école, combien de temps résisterait-elle encore aux pressions politico-religieuses  ?

Médéric Chapitaux est sociologue et ancien cadre technique sportif de fédération  ; Patricia Costantini, présidente du club des directeurs techniques nationaux et co-fondatrice d’Egal Sport  ; Frédérique de la Morena, maître de conférence en droit public  ; Nathalie Heinich, sociologue  ; Corinne Navarro, chef de service des sports en collectivité locale  ; Pierre-Yves Roquefere, ancien directeur technique national de fédération  ; Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel  ; Annie Sugier, présidente de la ligue du droit international des femmes  ; Jean-Yves Tayac, Inspecteur jeunesse et sports honoraire  ; Frédéric Thiriez, avocat, ancien président de la ligue de football professionnel  ; Georges Vigarello, historien  ; Linda Weil-Curiel, secrétaire générale de la ligue du droit international des femmes."

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