Revue de presse

"Le drapeau français reprend des couleurs" (M, le magazine du Monde, 21 nov. 15)

21 novembre 2015

"Apposer un filtre bleu-blanc-rouge à sa photo : l’initiative de Facebook ne fait pas l’unanimité. Notamment parce que les Français entretiennent un rapport schizophrène à leur drapeau.

« C’est quoi tous ces ­­drapeaux français ? Les morts n’ont d’importance que parce qu’elles se déroulent sur “votre territoire”… ? J’ai peur de ces “bleu-blanc-rouge” trop marine à mon goût… », poste Eloïse sur le mur de son compte Facebook au lendemain des attentats à Paris et à Saint-Denis. S’ensuit une salve de commentaires outrés. « Désolé, le drapeau français n’appartient pas au FN… et il ne lui appartiendra pas ! », lui rétorque froidement Christophe.

Depuis quelques jours, la communauté sur Facebook s’enflamme autour du filtre tricolore concocté par l’équipe de Mark Zuckerberg. Saluée par les uns, conspuée par les autres, cette initiative censée rendre hommage aux victimes n’a laissé personne indifférent, tant les Français entretiennent un rapport schizophrène avec leur étendard.

Contrairement aux Anglo-Saxons, totalement décomplexés à l’idée de se draper dans l’Union Jack (on se souvient du succès de la robe de la Spice Girl Geri Halliwell), de porter un pull en laine arborant la bannière étoilée… Et au reste du monde, exhibant fièrement son soutien à la France en illuminant en tricolore l’Opéra de Sydney, le One World Trade Center à New York, le London Bridge, la porte de Brandebourg, à Berlin, ou le Corcovado à Rio de Janeiro. Autant de gestes d’affection qui ont sans doute facilité, ici, l’envie de se réapproprier sans arrière-pensée ces couleurs si populaires ailleurs.

Le blason tricolore n’a pourtant pas toujours été un objet de discorde en France. « Né sous la Révolution, il représentait des idéaux de progrès social, de laïcité et de liberté », rappelle Régis Meyran, anthropologue et chercheur associé à l’université de Nice. Une traduction symbolique de la devise « liberté, égalité, fraternité » dont le peuple de France est pourtant si fier. [...]

Pour comprendre la défiance des Français à l’égard de leur drapeau, il suffit de plonger dans un passé récent, en particulier Vichy et la fin de la guerre d’Algérie. « Dans l’esprit de beaucoup de gens, le drapeau reste associé à la figure du maréchal Pétain, qui l’a conservé durant cette période trouble, à l’Etat-nation, protégé par une armée puissante, et bien sûr à notre héritage colonial. L’appropriation du bleu, blanc, rouge dès 1972 par le Front national n’a évidemment pas aidé à “oublier”, surtout à gauche », illustre Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à La Sorbonne.

Nicolas Lebourg, historien-chercheur à l’université de Perpignan, va plus loin et pointe le rôle d’un ouvrage publié en 1981 : L’Idéologie française, de Bernard-Henri Lévy, un pamphlet ambitionnant de dénoncer « le fascisme aux couleurs de la France ». « Ce livre, qui décrivait la France comme un pays fascisant, a forgé les représentations de nombreuses classes intellectuelles françaises de gauche. Celles-ci n’ont dès lors eu de cesse de faire repentance avec ce passé. » Et de bannir dans le même temps leur drapeau.

Depuis, chacun colle sur l’étendard ce qu’il veut ou ce qu’il s’autorise à y mettre. « Un drapeau est un symbole, autrement dit un signifiant au contenu variable dans lequel on projette nos émotions et notre histoire », précise Régis Meyran.

Faut-il voir derrière le déferlement de banderoles tricolores sur Facebook le signe que son contenu est en train de changer ? « Peut-être », répondent en chœur les trois universitaires avant de reconnaître qu’il est prématuré de parler de réconciliation.

Tous s’accordent en revanche à dire que la situation est suffisamment inédite pour être soulignée. « On avait certes assisté à un frémissement avec la Coupe du monde de football en 1998, mais l’agitation des drapeaux tricolores était jusqu’alors restée cantonnée aux stades. Une fois n’est pas coutume, elle s’affiche sur la Toile », constate Olivier Dard.

Professeur de philosophie à Paris-I-Panthéon Sorbonne, Sandra Laugier refuse d’assimiler les filtres tricolores de Facebook à de simples artifices dénués de sens. La jeune femme en veut pour preuve la scène à laquelle elle a assisté, le 16 novembre, lors de la minute de silence en présence de François Hollande. « Les étudiants ont chanté La Marseillaise avec cœur et entrain. Pas du bout des lèvres comme c’est souvent le cas, notamment après les attentats contre Charlie Hebdo », raconte-t-elle.

Loin de s’en étonner, elle explique cette différence de situation par la nature même des actes terroristes. « En janvier, les djihadistes ont attaqué la liberté d’expression. Cette fois, ils s’en sont pris à notre mode de vie, notre culture, autrement dit à notre identité de Français “Black, Blanc, Beur”. Et donc à notre drapeau. »"

Lire "Comment le drapeau français a repris des couleurs".



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