Note de lecture

Le corps des femmes : des armes contre l’oppression patriarcale

par Patrick Kessel. 11 mars 2017

Inna Shevchenko et Pauline Hillier, Anatomie de l’oppression, Seuil, fév. 2017.

Provocatrices, impertinentes ou simplement audacieuses et courageuses, les Femen nous ont habitué aux actions d’éclat, seins nus, allant provoquer en leur demeure les religions pour le sort qu’elles font subir aux femmes. C’est par la plume cette fois que Inna Shevchenko et Pauline Hillier, animatrices du mouvement, livrent bataille contre les dogmes, les tabous, les interdits, les préjugés des religions qui enferment la moitié de l’humanité.

"La guerre des religions contre les femmes ne connaît jamais de trêve", écrivent les auteurs qui soulignent "l’opposition frontale" entre morales religieuses et droits des femmes. Oppressions issues des temps bibliques et qui persistent dans nos sociétés modernes. Car les religions abrahamiques sont "les meilleurs instruments créés par l’homme pour maintenir l’ordre patriarcal". Le conflit entre le féminisme et les religions est donc presque naturel. "Le féminisme plaide pour les droits des femmes sur leur propre corps, la religion pour les droits de l’homme sur le corps des femmes", poursuivent-elles.

Les deux auteurs n’en sont pas pour autant rivées à une approche antireligieuse. "Tous les croyants ne sont pas haineux et violents", précisent-elles. Mais les clergés ne sont pas innocents. "Si le christianisme a répandu la violence et la terreur du IVe au XIe siècle..., le conflit dans lequel l’humanité s’enfonce aujourd’hui est nourri par l’islam politique", écrivent-elles. Aussi, dénoncent-elles sans appel les responsables politiques qui "refusent d’interroger la responsabilité des religions quand des barbares trouvent leur inspiration dans leurs textes sacrés et agissent en leur nom." "Si dans le souci de préserver les musulmans, ils ne veulent pas nommer le terrorisme religieux de Daesh, nous le faisons".

"Séparer les actes violents des idées qui les motivent est une erreur fatale dans le combat contre le terrorisme". D’autant que cette idéologie politique fondée sur la peur des femmes n’est pas le fait de "déséquilibrés". Ses inspirateurs maîtrisent la communication et savent récupérer et détourner les mots. Ainsi, le port de la burqa devient-il un "droit des femmes à disposer librement de leur corps", les campagnes contre l’avortement deviennent "un droit à la vie", les demandes de censure, un "droit à ne pas être offensé" et l’interdiction du blasphème se pose en défense de la liberté religieuse !

Inna Shevchenko et Pauline Hillier décortiquent le corps des femmes en procédant à une véritable anatomie de l’oppression. Chaque chapitre, la tête, le coeur, les seins, le ventre, les mains, le sexe, révèle les persécutions perpétrées sur le corps des femmes par les religions au nom de l’ordre patriarcal. Les principaux mythes sur lesquels reposent interdits, préjugés, discriminations qui enferment les femmes dans un moyen-âge sexiste sont abordés. Les cheveux qui rendraient les hommes incapables de maîtriser leur libido et qu’il faudrait couvrir, raser, voiler, les yeux "portes d’entrée du désir", le tabou du sang impur, le culte de la virginité et ses tests humiliants, l’interdit du plaisir féminin et l’excision, la soumission bien sûr, la violence, l’ordre patriarcal.

Le collectif des Femen, organisation internationale féministe, créé en Ukraine en 2008, implanté en France en 2012 est célèbre pour ses actions fort médiatisées à Notre-Dame de Paris, au congrès des députés espagnols, aux pieds de Big Ben, au Forum économique de Davos, à la fête de Jeanne d’Arc du Front National, devant l’Elysée, à Téhéran, la poitrine nue en pleine rue, avec sur la poitrine, ces mots : "Je préfère être une rebelle, pas une esclave".

A ceux qui n’ont pas toujours compris le sens de leurs manifestations les deux jeunes femmes, pour qui féminisme et laïcité vont de pair, répondent "nous avons utilisé nos corps pour porter nos messages". Il s’agit de "faire de nos corps libérés, des armes révolutionnaires". Et de faire entendre à des médias et à des politiques peu enclins à écouter cette parole d’émancipation, que si "la responsabilité des religions dans les malheurs du monde crève nos écrans et nos yeux, beaucoup refusent encore de voir leur rôle dans les malheurs des femmes".

Un combat qu’on pouvait imaginer en voie de règlement et qui nécessite à nouveau un engagement fort car les têtes sont encore fécondes d’où sortent des obscurantismes immondes.

Patrick Kessel


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