Contribution

La réforme des rythmes scolaires contre la sanctuarisation de l’Ecole (M. Ferry)

Une enseignante témoigne. 21 octobre 2013

Petites réflexions quelques semaines après la mise en place de l’aménagement des rythmes éducatifs à Paris

Je ne pensais pas, en entrant dans l’Éducation Nationale, que j’aurais à remettre, deux jours par semaine, les clés de « ma » classe à un animateur devant « mes » élèves, que je saluerais ces derniers à ce moment-là et que je quitterais seule ce lieu, devenu polyvalent.
C’est chose faite depuis le 3 septembre dernier à Paris.
Cette violence symbolique est insupportable pour tous les enseignants qui pensaient que l’école institutionnalisait encore un peu.
Sous le quinquennat précédent, le Président de la République avait douté, entre autres, de la capacité des enseignants à transmettre les valeurs [1] et estimé que notre métier ne méritait pas de formation.
On pouvait alors attendre de l’alternance politique qu’elle prenne soin de l’école primaire, qu’elle réaffirme haut et fort que ce lieu est celui de la formation, de l’éducation, de l’instruction, porté par l’instituteur, celui qui institue les élèves.
Or, en ouvrant grand les portes de l’école au monde associatif et à celui de l’animation, la structure est fortement ébranlée dans ses fondations et la Charte de la Laïcité à l’Ecole, qui devait, pour reprendre un verbe employé par le Ministre, sanctuariser l’institution scolaire, en faire une zone protégée et inviolable, est apposée sur des murs lézardés, fissurés, soutenus par les seules colonnes vertébrales des enseignants dont les corps peinent à résister à cet écroulement programmé.
Jamais les écoles n’ont été aussi bruyantes, retentissantes de cris d’élèves qui ne savent plus l’être, qui ne peuvent plus l’être dans un lieu que l’enseignement et le divertissement désormais se partagent.
L’exigence que réclame l’enseignement des disciplines n’a cessé d’être moquée, discréditée. Il suffisait, pour s’en rendre compte, de jeter un œil sur le site de la Ville de Paris en septembre dernier et de lire les brochures destinées aux familles qui vantaient la mise en place de l’ARE (aménagement des rythmes éducatifs). Étrange sigle, d’ailleurs, qui fait écho à la parole infantile du tout petit qui précède la construction du langage, l’acquisition des premiers mots.
Le périscolaire s’y opposait ouvertement au scolaire. Le périscolaire allait donner du plaisir à l’enfant quand le scolaire n’est capable que de contraintes harassantes et ennuyeuses.
Sur le site, l’emploi réitéré de l’adverbe « enfin » sonnait l’heure tant attendue du déjeuner, de la récré, de la fin de la journée forcément fatigante passée avec les enseignants.
Il y a quelques mois, le professeur des écoles y était incarné par une femme sans bras, un livre sur la tête.
Dans la brochure, « les ateliers éducatifs » (« stands » sur le site) allaient permettre la découverte des livres et de l’écrit, la socialisation, entre autres, comme si l’école n’avait déjà plus ces responsabilités, ces missions, comme si elle était incapable de les assumer.
Comment un enfant allait-il pouvoir encore revêtir son habit d’élève quand on lui soumet des interlocuteurs dont les objectifs diffèrent, se heurtent parfois, quand un même espace a plusieurs fonctions, quand il voit son professeur s’éclipser de la classe ?
La réponse est qu’il ne le peut pas et que la confusion est telle pour lui que son corps, surtout celui du plus vulnérable dont la famille peine à le structurer, ne cesse de s’agiter comme s’il se demandait où aller.
L’enseignante que je suis encore un peu peine à lui fournir une réponse.

Marianne Ferry


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