Note de lecture

M. Marcovich : La nouvelle bataille des Lumières (P. Kessel)

par Patrick Kessel novembre 2008

Malka Marcovich, Les nations désunies. L’ONU enterre les droits de l’homme, Jacob-Duvernet, 19,90 €.

Toutes les femmes et tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Ce principe, fondateur des démocraties et des républiques, issu des philosophes des Lumières et dont on pouvait penser qu’il allait lentement mais sûrement s’appliquer à toute l’humanité, serait-il devenu obsolète ?

Le temps serait-il venu de jeter la liberté de conscience, l’égalité des droits entre toutes et tous, la fraternité entre les humains et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 aux oubliettes ?

Cette question serait obscène après le nazisme et le stalinisme si Malka MARKOVICH dans un essai tonique et bien documenté, préfacé par Elisabeth de FONTENAY ne démontrait combien le danger est réel et qu’il constitue un enjeu déterminant au sein des Nations Unies pourtant fondées pour porter cet héritage philosophique. L’idée, il est vrai révolutionnaire, est toujours loin d’être aboutie selon laquelle toutes les femmes et tous les hommes, quels que soient leurs origines, leur couleur, leur sexe, leurs convictions religieuses, philosophiques ou politiques sont libres et égaux en droit. Qui plus est, la voilà contestée, dénoncée, vilipendée, caricaturée, honnie même au nom du relativisme culturel et des « Temps Modernes » !

C’est l’idée même d’universalisme, c’est-à-dire le principe selon lequel tous les êtres humains doivent pouvoir jouir de ces droits, qui se trouve dénoncée comme si celle-ci n’était qu’une vulgaire idéologie occidentale au service du colonialisme hier, de l’impérialisme aujourd’hui !

Dans l’enceinte des Nations Unies, ce sont le plus souvent les régimes totalitaires, intégristes, dont les femmes sont les premières victimes, qui dressent l’implacable réquisitoire contre les Lumières. Leur objectif : faire adopter de nouveaux droits de l’homme, en fait des droits communautarisés privilégiant les traditions culturelles et religieuses au détriment de la liberté des citoyens et de l’émancipation individuelle.

L’opposition entre « les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes » (qui a nourri le légitime combat pour la décolonisation mais parfois aussi les régimes totalitaires qui en sont issus) et « les droits de l’homme et du citoyen » ne sauraient conduire à un manichéisme réducteur. Comme s’il fallait choisir entre les peuples et les citoyens !

L’occidentalo-centrisme, la tentation de l’Occident d’imposer au monde sa vision et son organisation est inacceptable. Mais si la diversité humaine s’impose comme une évidence, elle ne saurait servir à remettre en question les Droits de l’homme et du citoyen qui ne sont pas la propriété de l’Occident mais le fruit de l’évolution de l’humanité vers son émancipation. A ce titre ils s’adressent à toute l’humanité.

La richesse des traditions n’est pas synonyme d’un relativisme régressif où tout vaudrait tout et justifierait les pires régressions encore et toujours contre les femmes.

L’éthique républicaine qui se donne pour objectif de traduire en actes les valeurs des Lumières intègre des femmes et des hommes de toutes origines. Cette république généreuse est de toutes les couleurs mais pas de toutes les valeurs.

La citoyenneté, c’est-à-dire l’idée que toutes les femmes et tous les hommes sont libres et égaux en droit, ne se négocie pas et s’impose sur toute autre considération sauf à dénaturer son fondement.

Ceux qui, de la tribune des Nations Unies mènent la bataille contre ces valeurs au nom du relativisme, des différences culturelles, visent en fait à saper les fondements d’un humanisme universaliste au profit de traditions souvent obscurantistes et de régimes réactionnaires.

Si les peuples du tiers monde, si « les minorités visibles » ont une revanche à prendre, ce n’est pas contre les Droits de l’homme mais pour en jouir comme tous les autres êtres humains.

La démarche est subtile qui retourne les valeurs, détourne les mots, vide les concepts de leur substance. Une version inquiétante de l’arroseur arrosé !

Malka MARKOVICH montre comment, conférence après conférence, sommet après sommet, rapport après rapport, la commission des Droits de l’homme des Nations Unies rebaptisée Conseil des Droits de l’homme, en est venu à être présidée par la Libye et à voir siéger des représentants de la république islamiste d’Iran. Rien d’étonnant à ce qu’ait été interdite toute résolution sur la lapidation des femmes, les crimes d’honneur, les victimes de violences sexuelles… Comment au fil du temps, les attaques contre l’héritage des Lumières ont fini par se cristalliser dans une flambée de violence sans pareil à l’occasion de la conférence de Durban. Comment de nouvelles normes ont été adoptées pour limiter la liberté d’expression, s’en prendre à la laïcité, interdire le droit de blasphème, remettre en question le droit des femmes, réinscrire les religions dans le champ politique.

Les démocraties sont-elles prêtes à accepter n’importe quels consensus ? On peut s’interroger à lire les exemples cités par l’auteur et à constater les ravages que le communautarisme développe en France même. Car c’est le même processus d’inversion des valeurs qui a conduit des associations historiquement progressistes à se mobiliser en faveur du port du voile à l’école publique [1] ou réclamer une politique de discrimination dite « positive » [2]. Une nouvelle et inquiétante étape pourrait être franchie si devait aboutir le projet de réécriture du préambule de la Constitution pour permettre de telles politiques différentialistes [3]. Projet d’autant plus paradoxal que dans le même temps le nouveau Président des Etats-Unis d’Amérique, d’origine afro-américaine, réfute cette démarche, plaidant pour une politique de soutien aux défavorisés sociaux sans lien avec leurs origines ethniques [4] !

Il faut rappeler sans cesse que le différencialisme, c’est-à-dire le traitement de la population en fonction des catégories liées à la naissance, à la couleur, à la religion, est d’abord une injure à l’égalité des droits et qui plus est, débouche sur l’affrontement des communautés et non sur la paix civile et la justice sociale.

Le droit à la différence selon la célèbre formule de Régis DEBRAY débouche toujours sur la différence des droits.

La nouvelle bataille des Lumières a commencé. C’est l’avenir d’une éthique posant la femme et l’homme libres, dignes, debouts, responsables, égaux en droit, qui en constitue l’enjeu.

Il faut lire Les Nations désunies car ce qui déterminera l’avenir de notre République une et indivisible, sociale et laïque se joue aussi en amont aux Nations Unies.

Patrick Kessel



Présentation de l’éditeur

« Lorsque le Secrétaire Général Kofi Annan prend ses fonctions en 1997, un an avant les fastueuses célébrations du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits l’homme, il se donne pour mission d’engager un programme de réformes en profondeur de l’ONU, afin qu’elle corresponde aux nouvelles réalités du monde. En quelques années, tous les nouveaux mécanismes créés depuis le tournant du millénaire n’ont fait qu’aggraver le délitement de l’institution. Au fil du temps, les attaques contre l’héritage des Lumières, contre la démocratie, les libertés individuelles et l’égalité avaient trouvé différents chemins pour s’exprimer. Mais au lendemain de la Conférence mondiale contre le racisme à Durban en août 2001 et des attaques contre les tours jumelles à Manhattan le 11 septembre 2001, on a assisté à une offensive sans pareille, menée notamment par l’Organisation de la conférence islamique, la Chine, la Russie et Cuba… pour l’adoption de nouvelles normes totalisantes, visant à limiter la liberté d’expression, condamner la laïcité, et remettre fondamentalement en péril les avancées des droits des femmes depuis cinquante ans.

Alors que le monde s’apprête à répéter à l’usure, tel un mantra planétaire, le “Nous les peuples” de la Charte et les articles de la Déclaration universelle, force est de constater que soixante ans après, le rêve des fondateurs s’est transformé en cauchemar ».

MALKA MARCOVICH est historienne. Engagée depuis 1993 en faveur des
droits des femmes, elle a travaillé comme consultante pour différentes
institutions (ONG, Ministères, politiques urbaines) en France, dans différents pays d’Europe et au niveau international.


Lire Pétition : “L’ONU contre les droits de l’homme” (Le Monde, 28 fév. 08), C. Fourest : “Le cauchemar annoncé de Durban II” (Le Monde, 25 av. 08), Le Comité des droits de l’homme de l’ONU réclame à la France des statistiques ethniques et condamne la loi sur les signes religieux (31 juil. 08) (note du CLR).


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