Contribution

La laïcité fait un tabac à Saint-Denis : « Pas de progrès social sans laïcité ! » (G. Chevrier)

Guylain Chevrier, Docteur en histoire, ancien membre de la mission laïcité au Haut conseil à l’intégration (2010-2013). 11 décembre 2015

9 décembre 2015 : 110e anniversaire de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat.

Une conférence publique sur « la laïcité » a eu lieu jeudi 3 décembre à Saint-Denis (93). Chose qui n’a rien d’anodin, dans cette ville où la simple évocation de cette question déclenche les passions, sur fond de communautarisme qui va bon train. L’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis (OLSD) avait décidé d’organiser à l’Hôtel de ville, non sans un certain courage, cette conférence sur le thème : « Pas de progrès social sans laïcité ! » avec pour intervenants : « Gilbert Abergel, Vice-président du Comité Laïcité République (CLR), organisateur du prix national et du prix international de la laïcité ; Jean-François Chalot, Secrétaire général du Conseil National des Associations Familiales Laïques (Cnafal), première association familiale de gauche ; Guylain Chevrier, Docteur en histoire, formateur et enseignant, militant laïque » .

Cette conférence répondait à l’annulation de celle du 27 mai dernier, organisée dans le même état d’esprit sur le thème : « Combats laïque, combat social : combats indissociables ». La liberté d’expression avait alors été bafouée par l’irruption d’un petit groupe de nervis, pseudo-antifascistes haineux contre la laïcité, proférant des menaces et voulant en découdre. Face à cette mise en danger des participants, liée au risque de débordement, les responsables de l’Observatoire avaient été amenés à annuler la tenue de l’initiative. Déterminés à ne pas laisser la liberté d’expression bafouée, de surcroît au sein même de la Maison commune, celle de la République et de ses libertés fondamentales, l’OLSD avait décidé de la reprogrammer. De nouvelles menaces ont été lancées par le groupe qui se fait appeler « Ensemble », proche du Parti dit anticapitaliste (NPA) et du Front de gauche, soutien indéfectible aux communautaristes locaux, anti-laïque, qui appelait à ce que cette conférence « ne puisse pas se tenir ». Il faisait le procès des défenseurs de la laïcité, accusés une fois de plus « d’islamophobie » et de « servir les idées de l’extrême-droite »… On connait la chanson ! Un argument justifiant d’attenter aux libertés, mettant ainsi en pratique les méthodes fascisantes de l’interdit politique. Des menaces proférées dans un contexte où la violence des barbares islamistes a frappé contre la liberté d’expression en janvier, et alors qu’il y a moins d’un mois, elle frappait encore à Paris et devait être stoppée, enfin, au moins pour un temps, à Saint-Denis !

La Conférence-débat a bien eu lieu, avec une salle du Conseil municipal pleine à craquer ! Un sacré événement donc, dans ce climat de menaces permanentes qui pèsent sur les militants laïques engagés, qui subissent insultes et amalgames, parce qu’ils osent défendre des valeurs républicaines insupportables à certains, tout particulièrement, la laïcité. Une laïcité qui n’a rien d’antireligieuse mais est là pour empêcher qu’aucune religion ne vienne se mettre entre le citoyen et ses droits. La Conférence devait être ouverte par un maire-adjoint de la ville, dans le prolongement de la volonté de la municipalité de défendre la liberté d’expression, bien que ne partageant pas nécessairement pour autant toutes les convictions à l’origine de cette initiative.

Les interventions posaient le cadre.

Gilbert Abergel présentait le combat laïque sans concession du Comité Laïcité République, et la portée du prix Laïcité national et international qu’il organise, remis dans les salons de l’Hôtel de ville de la ville de Paris sous le patronage de Mme Hidalgo, Maire de Paris. Le prix national avait cette année pour lauréat Samuel Mayol, Directeur de l’IUT de Saint-Denis, au courageux combat contre le communautarisme dans son établissement, ce qui lui vaut procès en racisme et intimidations, dont des menaces de mort, et le prix international, Fazil Say, immense pianiste, condamné en Turquie, à 10 mois de prison pour avoir retwitté dans les réseaux sociaux des vers du poète Omar Khayyam… Le Premier ministre, Manuel Valls, était présent, devant un parterre de 850 personnalités de tous horizons, pour soutenir cette démarche et avec elle, la laïcité, plus que jamais. Dans ce prolongement, il expliquait le rôle essentiel du Comité Laïcité République qui a été de tous les combats pour promouvoir et défendre la laïcité. Il était naturellement présent à Saint-Denis, face à l’intolérance et aux atteintes à la liberté d’expression, comme aux cotés de Charlie Hebdo, alors que Charb, tragiquement disparu comme on le sait, avait présidé le jury du prix laïcité 2012.

Jean-François Chalot devait lui insister sur la portée d’une action laïque de terrain auprès des familles en difficulté de tous horizons, y compris sans-papiers, que réalise le CNAFAL, pour les accompagner autant qu’il est possible à l’accès à l’ensemble de leurs droits, par-delà leurs différences. Il exprimait la nécessité face à la montée du communautarisme, voire de l’islamisme, de reconquérir les quartiers populaires trop souvent désertés par les partis politiques. Il donnait ainsi du sens à la présence du CNAFAL et à son action laïque. Il évoquait l’action de terrain menée avec l’association auprès de jeunes qui peuvent massivement se marginaliser mais aussi, s’engager, lorsqu’on vient vers eux. Il faisait part de son expérience comme responsable des Francas, dans la formation des animateurs où la place des filles a été à chaque fois un enjeu et gagnée, par l’affirmation sans concession de la mixité, du travail ensemble, des valeurs collectives partagées. Il devait montrer comment xénophobie et communautarisme se nourrissent l’un l’autre, dont il s’agit d’exorciser le risque en redonnant à la laïcité toute sa place, sans préalable, sans désigner une religion avant une autre mais sans en oublier aucune, à partir du moment où elles portent atteinte aux droits et libertés des individus.

J’intervenais ensuite sur le thème de la soirée, pour montrer combien le combat social n’a aucun avenir sans qu’il soit relié à laïcité. Comment pourrait-on, en laissant se diviser la société en groupes communautaires concurrents, par effet de repli sur une religion ou une culture au nom de la reconnaissance des identités particulières, réunir les forces sociales capables de défendre nos acquis sociaux, ceux de tout le peuple, et d’en conquérir de nouveaux ? La laïcité est le ciment des forces sociales, à porter l’égalité de tous devant la loi au-dessus des différences, quelles qu’elles soient, de religions, de couleurs ou d’origines. On retrouve cette état d’esprit à travers les différentes dimensions de la citoyenneté, qu’elle soit politique, mais aussi, civique et sociale, ces deux dernières ne dépendant nullement de la nationalité. C’est cette égalité d’accès aux mêmes droits et libertés qui garantit que l’intérêt général fait sens. C’est cela le meilleur bouclier de la République contre le communautarisme, autant que contre le nationalisme qui entend exclure des individus sur le fondement d’une préférence nationale discriminatoire.

Qu’adviendrait-il des droits et libertés des individus et de leur possibilité de se lier aux autres dans des actions communes, s’ils se trouvent enfermés dans un logique communautariste avec des chefs de communautés qui s’expriment en lieu et place des individus fondus dans le groupe, ayant perdu leur faculté d’autonomie ? Peut-on ainsi oublier les risques qu’une telle logique fait peser, lorsqu’elle devient un moyen de pression sur les individus et d’assignation systématique à des groupes partisans, rejetant l’idée de bien commun, la République et la laïcité avec ?

C’était bien la question posée : comment concilier les désirs et aspirations de chacun, tout en garantissant un espace de normes et de règles commun, à défaut de quoi, ce serait le retour de la guerre de tous contre tous ?

L’égalité entre les citoyens est la condition de leur liberté. Et comme l’exprime le constitutionnaliste Guy Carcassonne [1], reconnaitre des droits à des groupes pourrait rompre l’égalité entre les citoyens selon qu’ils appartiennent ou non à tel groupe. C’est cette égalité devant nos institutions qui évite que ce soit la concurrence entre des groupes identitaires qui détermine l’accès à différents périmètres de droits selon telle ou telle appartenance.

Rappelons-nous que l’Etat laïque est le produit d’une expérience historique qui a vu la nécessité du dégagement de l’Etat de la tutelle religieuse, de la domination de la société civile par l’Eglise catholique qui faisait obstacle à l’accès de tous aux mêmes droits, à l’autonomie des individus, à leur libre choix, à leur pleine citoyenneté. Cette laïcisation de l’Etat a aussi été le fait de révolutions et de mouvements sociaux à buts universels détachés de toute considération religieuse, favorisant la laïcisation de l’Etat à travers l’affirmation de sa dimension sociale. Ces luttes étaient même tournées contre l’omnipotence de l’Eglise donnant sa légitimité à un pouvoir politique, par la justification d’un ordre social injuste sous couvert d’une religion.

Le combat d’émancipation des femmes, d’une société traditionnelle dominée par le patriarcat en lien avec une vision religieuse de la famille où la femme ne peut être que soumise, réduite à un rôle de mère, a participé aussi et ô combien, à cette laïcisation de toute la société. Elle a été un accélérateur de l’histoire dans la promotion d’une République égalitaire à travers l’égalité entre les sexes. Le droit de vote est acquis pour elles en 1944, au regard du rôle qu’elles avaient joué dans la résistance. Puis, c’est le droit d’ouvrir un compte en banque ou de faire des études sans avoir besoin de l’autorisation du père ou de l’époux, qui fait irruption dans notre droit, en 1965. En 1967, c’est le droit à la contraception et du choix de la grossesse, puis en 1970, c’est l’autorité parentale conjointe qui vient remplacer la puissance paternelle au Code civil, qui y trônait contre le sens de l’histoire, depuis 1804. En 1975, est reconnu le droit à l’avortement et la libre disposition pour les femmes de leur corps, qui ainsi, finalement enfin, leur appartient. Elles sont 82% à travailler ente 24 et 49 ans, le plus fort taux du monde développé.

Ce citoyen libre, c’est bien celui qui fait les lois auxquelles il obéit. Aussi, reconnaître des droits particuliers à des groupes, conduirait, comme l’explique Dominique Schnapper [2], ancienne membre du Conseil constitutionnel, à enfermer les individus dans leurs particularismes, de les assigner à un groupe, à l’encontre de leur liberté personnelle et de leur possibilité d’échange, de mélange, avec les autres. Ce serait donc les éloigner de cette citoyenneté qui est le pilier de l’Etat de droit et de la liberté.

La laïcité, autrement dit l’égalité de traitement devant la loi de tous, participe de favoriser le mélange à nous considérer avant tout comme des égaux (27% de couples mixtes en France, 4% aux Etats-Unis, le pays de la discrimination positive et du multiculturalisme juridique). Les services publics sont sans doute, l’expression la plus vivante du fait qu’aucun progrès social n’est possible sans la laïcité, entre réponse à des besoins sociaux que le marché n’est pas à même de prendre en charge, car ce ne sauraient être des marchandises, et égalité d’accès sans condition de nationalité, ni de différences à l’ensemble des dispositifs sociaux. Et pour finir sur une note optimiste, au top des personnalités les plus aimées des Français on trouve les Omar Sy et autres Djamel Debbouze, Yannich Noah, Zidane, montrant que ce pays est avant tout un pays accueillant et ouvert, sous la condition de ne pas brader ses valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité.

Dans le débat, se faisait jour des témoignages sur le clientélisme politico-religieux pratiqué trop souvent dans ce département, avec un retour en grand de la tradition dans les comportements, sur les valeurs collectives de modernité. Plusieurs interventions devaient remercier de cette initiative donnant un peu d’ouverture à une parole des laïques qui a tant de mal à se faire entendre aujourd’hui. Un intervenant exprimait que le terme « laïcards » était souvent utilisé pour mettre en difficulté les laïques et ce que cela pouvait bien vouloir dire réellement. Il étaient répondu de la tribune que ceux qu’on appelle « laïcards » ne sont jamais que les laïques qui entendent voir respectée la laïcité comme principe, sans ces compromis qui la diluent, considérant qu’elle est non-négociable car elle nous protège dans notre liberté, comme l’acteur Pierre Santini, lors d’une initiative laïque, avait pu l’exprimer. Il était fait à travers bien des interventions le bilan douloureux de voir le clientélisme politico-religieux s’imposer un peu partout et trop souvent dans des municipalités qui se réclament de la gauche, dont on attend toute autre chose en termes de projet politique. Fewzi Benhabib, universitaire, qui est sur la liste noire des islamistes du FIS dans son Algérie natale, exprimait son désarroi devant l’aveuglement des politiques face à la montrée du fondamentalisme et de l’islamisme en France, comme il l’a vu dans son pays, avant la guerre civile. On soulignait aussi comment le FN pouvait ainsi réaliser un véritable un hold-up sur la laïcité, qui n’a de républicain que le cheval de Troie qui vise à le faire élire, pour s’attaquer ensuite à tous les fondements de notre République. Un parti qui comprend tous les dangers.

La laïcité est bien un humanisme, et même son point le plus avancé, comme art de vivre ensemble dans la concorde. C’est une forme de conscience commune de faire société, d’avoir entre les mains le destin commun, le dessein du trait d’une histoire commune à écrire sans laisser quiconque en chemin. La laïcité ne comprend aucune condition particulière pour l’épouser, en même temps qu’elle est la garantie de la liberté de toutes les différences, si elles sont bien rassemblées autour d’elle. Elle est donc particulièrement intégratrice !

Elle est sans doute l’expression universelle du progrès, à la mesure d’un développement des processus conscients dont elle témoigne, comme point avancé sur l’échelle de la mesure de l’émancipation de l’homme, avec en reflet le niveau de sa condition sociale.

Comme le rappelait dans son ouvrage Survivre Bruno Bettelheim [3], par opposition au mot « aliénation », « le mot "autonomie" contient les notions de liberté, d’indépendance, d’autodétermination. » Voilà bien ce que garantit notre modèle républicain, des individus de droit qui bénéficient d’une sécurité juridique qui protège leur libre choix, que ce soit pour celui qui croit au ciel ou celui qui n’y croit pas [4].

[1Guy Carcassonne, La Constitution, Points/Essais, 2011.

[2Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la citoyenneté, 2000, Folio actuel, Gallimard.

[3Bruno Bettelheim, Survivre, Robert Laffont, page 408.


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