Contribution

La France, dernière de la classe (J. Lamagnère, 16 déc. 20)

Jacques Lamagnère, enseignant, directeur d’école, président du CLR Ile-de-France. 16 décembre 2020

J’ai peu à peu acquis la certitude que notre système éducatif a atteint un point de non-retour et qu’il va falloir désormais vivre avec l’idée que la France perdra son rayonnement prépondérant dans les lettres, la culture, les arts et les sciences.

C’est même déjà le cas. Sa récente place de dernière européenne sur des évaluations en mathématiques est tout simplement dramatique. L’École ne répond plus à sa mission première de construction d’une société éclairée de citoyens détenant des savoirs indispensables à leur émancipation.

La responsabilité des politiques éducatives depuis Giscard est immense. En prônant l’égalitarisme et l’inclusion au travers d’une idéologie pédagogiste délétère, menée au pas de charge et calquée sur le modèle américain, on en est arrivé exactement au même résultat qu’outre-Atlantique, c’est-à-dire une école à deux vitesses où seuls s’en sortent ceux dont les familles peuvent compenser les manques. Et même eux s’en sortent avec un niveau académique très insuffisant.

Dans beaucoup d’école en REP [1], nous n’avons même plus conscience de ce que peut être un bon élève. On crie souvent au génie quand on a à faire à un élève qui arrive à maîtriser facilement les éléments du programme, mais qui est souvent un élève qui ne fait qu’émerger du marasme général.

Ce marasme, personne ne veut le voir ni l’admettre, puisque d’un côté, on continue à distiller les mêmes recettes pédagogistes frisant l’absurde et le contresens, et de l’autre, on se cache derrière la revendication du manque de moyens, alors que, des moyens, il n’y en a jamais eu autant.

C’est, je crois, Caroline Fourest qui, la première, a parlé d’ "autruches" pour désigner ceux qui ne veulent pas voir le danger de l’entrisme islamiste. Je reprends cette métaphore pour l’Éducation Nationale. On ne veut ni voir ni admettre la faillite de l’École, qui aura, à plus ou moins long terme, des conséquences très lourdes.

Ce ne seront pas forcément des conséquences économiques, car nous maintiendrons, en bonne société néolibérale, le tissu de formations privées et chères permettant de former nos dirigeants. Mais ce seront des conséquences sociétales aboutissant à un peuple acculturé.

J’ai longtemps vécu aux États-Unis, avec une année dans le Midwest, pour comprendre ce qu’induit un système éducatif où la condition sociale détermine à la fois votre parcours et le niveau de votre parcours. C’est un système idéologique très insidieux qui ne dit pas son nom et qui repose sur une baisse des exigences académiques censée ménager l’enfant.

On passera alors plus de temps à gérer ses émotions, à être à son écoute, à prendre pour argent comptant toute réflexion de sa part en mettant au même niveau sa parole et celle du maître. On noiera les programmes dans des activités sociétales sur les discriminations, l’anti racisme, l’égalité des sexes, le vivre ensemble, qui ne sont pas forcément inutiles mais qui prennent le dessus sur les matières académiques jugées trop contraignantes et sources d’échec et de conflits.

En parallèle, on déconstruit tout pour que s’aplanissent les difficultés, pour que l’enfant ait l’impression permanente de produire et de réussir. C’est à lui, dit-on, de construire ses propres savoirs, incongruité qui fait qu’il n’ira jamais au-delà d’une certaine dose d’efforts et qu’on le maintient dans l’illusion d’une réussite.

Aux États-Unis, cela se traduit par une langue anglaise très appauvrie et une culture générale, littéraire, historique, géographique… d’une grande indigence, avec l’idée, d’ailleurs, qu’il est inutile d’avoir une culture générale, l’essentiel étant d’être performant dans le domaine auquel on se destine.

Je me souviens avoir rencontré à l’Université Ann Harbor, près de Détroit, des étudiants chercheurs très en pointe sur la fibre optique dans les années 1980, incapables de situer correctement la France en Europe.

À cette époque, notre système scolaire, au travers des lycées français qui maintenaient un semblant de mythe à son sujet en gardant son aspect traditionnel et rigoureux, permettait aux élèves qui y décrochaient le bac, d’entrer directement en 2e année d’université américaine tant le niveau académique était considéré comme supérieur à celui des élèves américains issus des high schools.

Ayant travaillé dans une école publique américaine, j’ai découvert ce principe de bienveillance que l’on nous impose désormais. Principe qui implique de valoriser toute parole ou production d’un élève pour ne pas heurter sa sensibilité. C’est un système qui, en l’apparence, est attirant car il donne l’illusion de privilégier l’autonomie et l’intelligence, mais, on se rend compte vite, au final, qu’il laisse sur le carreau une majorité dépourvue du cadre nécessaire pour se prendre en charge.

Appliquer cela de manière indifférenciée creuse inéluctablement les écarts entre élèves. Depuis très longtemps et désormais avec une accélération plus qu’inquiétante, nous sommes dans une déconstruction ayant pour modèle tout ce qui se passe outre-Atlantique.

Le problème est que vouloir appliquer ces principes anglo-saxons américains à notre société est un contresens total et une insulte à notre histoire et notre langue.

Il n’y a bien entendu pas que le système éducatif qui est touché. On peut également parler de tout ce qu’induit le racialisme et le décolonialisme. Nous avons à faire à une véritable colonisation culturelle. Les garde-fous tombent un par un, surtout le principal : l’École. Nous en sortirons laminés car, contrairement aux États-Unis, nous n’avons pas la puissance économique qui peut donner le change.

On sait que la bataille de l’École est le nerf de la guerre. Lorsque cette bataille sera définitivement perdue, nous basculerons dans un autre monde où toutes les lumières de notre passé se seront éteintes.

Jacques Lamagnère

[1Réseaux d’éducation prioritaire.


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