Revue de presse/tribune

"La flamme de la résistance" (N. Polony, marianne.net, 15 nov. 15)

par Natacha Polony, journaliste, présidente du Comité Orwell, auteur de "Nous sommes la France" (Plon). 15 novembre 2015

"Ce que nous craignions le plus a fini par se produire. Ce qui devait arriver a fini par arriver. Passés les premiers moments de sidération devant l’horreur, il nous faut regarder la réalité en face : les grandes proclamations autour de la « patrie menacée » ne suffiront pas. Parce qu’elles ont déjà servi il y a onze mois, pendant quelques jours, avant que tout ne se remette en place, le déni, la culpabilisation d’une France présentée comme un pays raciste et recroquevillé. Souvenons-nous, déjà, la solennité, la fermeté, « plus rien ne sera comme avant », « il faut désormais nommer les choses ». Qu’en est-il resté ?

Mais aujourd’hui, la situation a changé. Pas seulement parce que l’ampleur et la nature du massacre nous font entrer, en ce terrible 13 novembre, dans une ère nouvelle, où chaque habitant de ce pays peut être frappé. Mais aussi parce que toutes les échappatoires des derniers mois, pour ne pas prendre la mesure de ce qui se jouait, sont tout à coup obsolètes. Les considérations sur ces dessinateurs qui « jetaient de l’huile sur le feu », les accusations contre « l’islamophobie rampante », les discours sur l’apartheid français… Nous n’en sommes plus là. Il n’y aura plus moyen, cette fois, de prétendre que ce sont, selon les mots d’Edwy Plenel, « nos propres démons ». Plus moyen de faire croire que le combat pour la laïcité est une obsession délirante et que la dénonciation de l’Islam radical et de sa conquête de l’espace public constituent une « stigmatisation » des musulmans dans leur ensemble.

Les attentats de ce vendredi cauchemardesque nous imposent cette réalité que beaucoup ont voulu fuir : nous sommes en guerre. Bien sûr, Manuel Valls l’avait déjà affirmé après les attentats de janvier, déclenchant les protestations de quelques effarouchés. Mais à aucun moment, il n’avait été question de nommer les ennemis, de définir le rôle de chacun, et l’enjeu pour la société civile. De sorte que chacun avait pu vaquer à son quotidien en se disant pour se réconforter que seuls étaient visés des dessinateurs un peu tête brûlée, et des juifs, bien sûr, ce qui ne semble pas émouvoir outre mesure une société française qui a si vite oublié les enfants d’Ozar Hatorah, massacrés pour être nés juifs. Alors proclamons-le : nous sommes en guerre et nous sommes tous des cibles. Nous sommes des cibles parce que c’est la France qui est visée, mais aussi la civilisation que nous portons. Et pas uniquement parce que nos avions assurent 3% des frappes en Irak et en Syrie, mais parce que nous sommes ce pays qui ose affirmer que tout homme, d’où qu’il vienne, quelle que soit sa couleur de peau, peut être pleinement Français du moment qu’il place son appartenance à la communauté nationale avant son identité religieuse, du moment qu’il accepte les valeurs que porte cette Nation.

Nous sommes en guerre, et malgré tout, on en entend déjà qui reprennent les distinctions byzantines entre guerre et affaire de police. Certains n’ont rien appris depuis la guerre d’Algérie. Il leur faut des uniformes, des montées au front, une déclaration par télex, de la part d’un Etat officiellement reconnu, et puisque nous ne reconnaissons pas l’Etat islamique (que nous appelons Daech pour ne pas lui donner le statut d’Etat et pour éviter de lui trouver un lien avec l’Islam) eh bien pour eux, ce n’est pas une guerre. Et puis, si nous sommes en guerre, il faut identifier les alliés de nos ennemis, ces Français qui ont basculé. Et ça les gêne, parce qu’il faudrait alors accepter de nommer, de parler de djihadistes ou d’intégristes musulmans et pas de « terroristes » (comme s’il était hors de question de désigner l’idéologie qui les anime) ou mieux, de « criminels », comme si leur crime relevait des affaires de justice habituelles. Toujours réduire le réel pour ne pas l’affronter dans sa complexité.

Alors nous y sommes. Au pied du mur. En ce moment où la Nation doit se rassembler pour affirmer plus que jamais ce qu’elle est. Il n’est plus temps, comme par exemple Emmanuel Todd, de dénoncer les marcheurs du 11 janvier en prétendant qu’ils réclamaient le droit d’insulter qui que ce soit. Il n’est plus temps de raconter à toute une jeunesse que ce pays la discrimine, lui laissant croire qu’il pourrait exister une quelconque justification à ces attaques. Il n’est plus temps de ressasser les mantras, « ça n’a rien à voir avec l’Islam », comme certains ont longtemps affirmé que le goulag n’avait rien à voir avec le communisme. Il n’est plus temps de se gargariser de « diversité » pour éviter de définir ce qui nous lie. Il n’est plus temps de croire que nous pourrons continuer dans l’insouciance à nous imaginer que parce que nous sommes « ouverts » et « tolérants », nous convaincrons l’ennemi de notre bonne volonté : « Frère djihadiste accepte ma main tendue car je respecte ta détresse ».

La Nation doit se rassembler pour appeler chacun de ses citoyens, quelle que soit sa religion, quelle que soit son origine, à se lever et crier haut et fort que notre République croit en elle-même, en ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, portées par un principe inaliénable : la laïcité. Cette Nation abîmée par des années de flottement idéologique, par un relativisme cherchant à imposer le multiculturalisme contre le modèle républicain, il nous faut désormais œuvrer à son redressement. [...]"

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