Revue de presse

La “culture du viol” « nʼest absolument pas démontrée » (P. Sastre, Le Figaro, 25 nov. 17)

Peggy Sastre, journaliste scientifique, auteur de "La domination masculine nʼexiste pas" (Anne Carrière). 29 novembre 2017

"En disciple de Darwin, la journaliste scientifique développe une lecture biologique des questions sexuelles. Elle s’érige contre un féminisme militant qui méprise les faits et tord les chiffres à des fins idéologiques.

Certaines féministes militantes, et la ministre Marlène Schiappa elle-même, dénoncent une « culture du viol » à grand renfort de statistiques. Que pensez-vous de cette idée selon laquelle notre société organiserait et ferait la promotion du viol ?

Cette notion de « culture du viol » est extrêmement problématique, pour reprendre un vocable à la mode, et elle nʼest absolument pas « démontrée ». Nous vivrions dans une société qui tolérerait, excuserait, voire approuverait le viol ? Est-ce que la hausse exponentielle des condamnations pour violences sexuelles que lʼon observe notamment en France ces cinquante dernières années en fait partie ? La charge réputationnelle qui pèse sur les auteurs de délits et de crimes sexuels une fois quʼils ont purgé leur peine ? Le fait quʼil sʼagisse à la fois dʼindividus présentant parmi les plus faibles taux de récidive et qui sont confrontés aux plus grandes difficultés de réinsertion ? Ou encore quʼil nʼy a pas mieux pour détruire la vie de quelquʼun que de lʼaccuser à tort dʼavoir commis ce genre de violences ? Il mʼest souvent arrivé dʼavancer ces arguments en milieu militant pour quʼon me réponde un charabia infalsifiable. Quʼon me dise que la stigmatisation des violeurs est la preuve que le viol exerce une fascination et donc quʼil est banalisé, et donc que la « culture du viol » existe. Je crains que beaucoup de féministes contemporaines soient hermétiques à la logique la plus basique. À un moment donné, je pense quʼil faudrait aussi réfléchir à la valeur « représentative » que lʼon assigne à des personnalités qui peuvent incarner le « paradoxe féministe » observé dans beaucoup de pays occidentaux. En gros, les trois quarts de la population adhèrent aux bases du féminisme - une égalité politique, économique et sociale des femmes et des hommes -, mais refuse lʼétiquette féministe. Cʼest encore plus saillant chez les plus jeunes générations, où seuls 8 à 10 % des individus sʼidentifient comme féministes. Des femmes parfaitement féministes comme Abnousse Shalmani ou Helen Pluckrose ont décidé de faire leur coming out « extra-féministe » - cʼest un symptôme quʼon ne peut ignorer. Là encore, la justification « militante » classique, cʼest la grande théorie du complot parano où « les médias » ne laisseraient la parole quʼaux féministes les plus caricaturales, et dégoûteraient ainsi les « gens normaux ». Sauf quʼà lʼère des réseaux sociaux, un tel discours nʼest plus tenable. À moins de considérer que les fanatiques de Facebook ou de Twitter sont des marionnettes agitées par des « réactionnaires masqués », il faut se rendre à lʼévidence : la dérive sectaire du féminisme ne cesse de devenir son propre épouvantail.

Derrière lʼincroyable impact médiatique de lʼaffaire Weinstein, voyez-vous le signe dʼun « néo-puritanisme » ?

Je pense surtout que le puritanisme nʼest jamais parti bien loin. Pour paraphraser lʼun de mes mentors (mentores ?), Catherine Robbe-Grillet, lʼhistoire des mœurs fonctionne par cycles pendulaires. Depuis plusieurs années déjà, nous sortons dʼun cycle de relative libéralisation et assistons à un retour de carcans aussi vieux que la lignée des hominidés. À lʼépoque romaine, on grattait les stèles pour faire disparaître des « indésirables » de lʼhistoire. Aujourdʼhui, on supprime un acteur, Kevin Spacey, dʼun film quitte à retourner des scènes un mois avant sa sortie ou on efface le nom dʼun professeur de psychologie, Todd Heatherton, dʼun manuel de référence. Sans procès, sans jugement, juste sur la base dʼaccusations et dʼune panique morale planétaire. Je nʼai vraiment pas un tempérament pessimiste, mais il mʼest de plus en plus difficile de pas me dire que 700 ans de Renaissance, de Réforme ou de Lumières vont être dézinguées par dix petites années de réseaux sociaux, engrais dʼun tribalisme quʼon pensait à tort vaincu par la Raison, dont on croyait la marche « naturelle » et inexorable.

De la parité à lʼAssemblée nationale jusquʼà la demande dʼune étude paritaire des écrivains femmes et hommes au bac de français, lʼobjectif du fifty-fifty gagne tous les domaines. Que pensez-vous de lʼutilisation des chiffres à des fins militantes dans le mouvement féministe ?

Je nʼen penserais pas du mal sʼils nʼétaient pas souvent complètement faux. Lorsque Marlène Schiappa se fait taper sur les doigts par les gynécologues qui lui disent que son chiffre « 75 % dʼépisiotomies » est bidon et quʼelle répond que ce nʼest pas « au gouvernement de donner la réalité des chiffres », je trouve cela extrêmement grave à une époque de fake news, dʼillibéralisme galopant et de « mort de lʼexpertise », pour citer Tom Nichols. De la même manière lorsquʼon avance 25 à 30 % de différences de salaire entre hommes et femmes qui sont calculés sur des moyennes de rémunération alors que les femmes sʼorientent vers des professions moins rémunératrices que celles que privilégient les hommes. Ce nʼest évidemment pas grave de se tromper, si on se corrige lorsquʼon accède à de meilleures données. Par contre, faire primer son idéologie ou ses affiliations communautaires sur lʼhonnêteté intellectuelle, cʼest se façonner un bon gros boomerang qui finira tôt ou tard par vous revenir en pleine face. Et les adversaires du féminisme nʼattendent que cela.

Dans La domination masculine nʼexiste pas, vous affirmez en bonne darwiniste le fondement biologique de la différence des sexes. Vous ne pensez pas comme Françoise Héritier que si les femmes sont plus fragiles que les hommes, cʼest parce que depuis les grottes préhistoriques, ils confisquaient la viande et nous nourrissaient de bouillies ?

Cette histoire est une malheureuse illustration de la « loi du bullshit » - pour réfuter une ineptie, il faut consacrer dix fois plus dʼénergie quʼil aura été nécessaire pour la pondre. Mais je vais être concise, dʼautant plus que je prépare un long article sur le sujet : cette hypothèse est en totale contradiction avec près de 150 ans de recherches sur le dimorphisme sexuel, que lʼon sait aujourdʼhui attribuable à la compétition intrasexuelle et au différentiel dʼinvestissement parental minimal issu de lʼanisogamie, selon le paradigme dit de Darwin-Bateman. Quasiment tous les primates ont un dimorphisme sexuel similaire au nôtre et les « rôles genrés darwiniens » se retrouvent dans lʼensemble du règne animal, comme le confirme une récente étude publiée dans la revue Science Advances. Ce qui fait du propos dʼHéritier - quʼelle reprend dʼune de ses élèves, Priscille Touraille, qui dans le livre tiré de sa thèse écrit noir sur blanc quʼelle nʼa pas de valeur scientifique - un propos néocréationniste.

Vous avez qualifié la volonté de mettre en œuvre lʼécriture inclusive de « terrorisme intellectuel ». Nʼexagérez-vous pas ?

Je qualifie surtout de terrorisme intellectuel la méthode employée par bon nombre dʼapôtres de lʼécriture inclusive, qui croient (ou font croire) que le clivage pour-contre suit des lignes partisanes claires et qui au lieu dʼavancer des faits - par exemple, est-ce que les inégalités hommes-femmes sont ou non favorisées par une sexuation de la langue ? Est-ce que le déterminisme linguistique voulant que le langage façonne les visions du monde est une réalité ? - optent pour une argumentation morale : le camp du bien contre celui du mal, les progressistes contre les réactionnaires, les féministes contre les phallocrates, la bonne marche de lʼhistoire contre la mauvaise, etc. Ce qui indique une grande faiblesse factuelle et une tentative de compenser en faisant de gros yeux vertueux. Sauf que lorsque vous pensez que « tout est politique », cʼest tout simplement que vous avez un mode de penser totalitaire."


Voir aussi la rubrique Ecriture "inclusive" (note du CLR).


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