Edito du président

L’université sous influence (J.-P. Sakoun, 16 juin 19)

17 juin 2019

Depuis les années 1960, la sociologie et la philosophie, appuyées toutes deux sur le structuralisme, ont été les matrices de nouvelles analyses de la société. Le berceau de ces nouvelles approches fut l’Université française à travers ces professeurs devenus des icônes mondiales de la pensée postmoderne, Bourdieu, Foucault, Derrida, Deleuze, et tant d’autres.

L’écho de ces recherches savantes a rapidement traversé l’Atlantique et s’est transformé en une vulgate, souvent bricolée par des sectateurs qui ont accommodé ces textes théoriques complexes, témoins d’une pensée en cours d’élaboration, à la sauce des préoccupations culturelles américaines, pour les transformer en dogmes sacralisés.

Le communautarisme dominant et la question des minorités opprimées noires ou « native », qui traversent la société américaine, qui a cumulé sur son propre sol extermination des Indiens, esclavage puis ségrégation des Noirs jusqu’aujourd’hui, ont nourri la « French theory » pour en faire l’outil d’un sectarisme radical, aux mains des minorités et de tout groupe qui trouve ainsi le moyen d’exister grâce à la validation universitaire de sa victimisation.

La domination financière, économique, médiatique, et culturelle des Etats-Unis et de leurs universités ont fait le reste, en renvoyant en boomerang à l’Europe – et particulièrement à la France – « un prêt-à-penser » qu’ont endossé nombre d’universitaires, dans une quête d’originalité et de nouveaux terrains de recherche, voire de nouveaux débouchés pour leur carrière. Notons que c’est en France plus que nulle part ailleurs en Europe que ces théories ont fait florès.

Depuis quelques années, ce qui pouvait apparaître comme une voie sans issue, comme une curiosité de l’époque, est devenu - en particulier grâce à une certaine sociologie, « science dangereuse, science en danger » comme l’écrit Gérald Bronner – une forme inquisitoriale de pouvoir universitaire et d’accaparement de l’institution, par ce qui ressemble de plus en plus à une secte, une secte qui serait en passe de réussir.

De plus en plus de laboratoires, de plus en plus de départements universitaires, sont désormais tenus par des groupes d’enseignants-chercheurs constitués par cooptation qui produisent, dans le cadre du LMD, qui s’y prête parfaitement, des doctorants à la chaîne et des travaux dont la scientificité est pour le moins discutable.

Toutes sortes de « subaltern studies » se sont désormais développées pour permettre aux « chercheurs » en sciences humaines et sociales de ne plus parler du monde, mais de disserter à longueur de thèses sur eux-mêmes. En 2018-2019, cette vague s’est transformée en un raz-de-marée qui risque d’emporter ceux qui continuent à ne pas vouloir confondre scientificité et militantisme radical, sujets d’étude et victimisation, progrès de la pensée et conformisme despotique.

Racialisme, indigénisme, décolonialisme, identitarisme, différentialisme, intersectionnalité, ghettoïsation de toute nature, sont les nouveaux outils de stérilisation de la pensée critique, de confiscation de la liberté académique et de renoncement à la scientificité. Nous ne serons pas surpris que ces dévoiements se traduisent à l’université par des formes de plus en plus violentes de censure et même d’antisémitisme, sempiternel symptôme de la haine des autres et de la haine de soi. Nous ne serons pas surpris non plus que les pires idéologies intégristes et obscurantistes comme l’islamisme politique et radical, trouvent dans ces concepts très discutables un terreau propice à leur épanouissement.

Une partie de l’Université, moteur gramscien de la domination culturelle, diffuse désormais dans une société en manque de repères, un discours formaté, simplificateur et sommaire, qui plonge des générations d’étudiants dans la confusion idéologique et dans le conformisme intellectuel.

Des enseignants-chercheurs, des lanceurs d’alerte courageux que les nouveaux tyrans universitaires veulent déconsidérer résistent cependant, bien plus nombreux que les vociférations très sonores de leurs adversaires pourraient laisser imaginer. Ces derniers dénoncent le pouvoir que les universitaires démocrates auraient sur l’Université, alors qu’ils sont de plus en plus isolés et parfois même persécutés. Si cela ne suffit pas, ces lanceurs de fatwas recourent à la « reductio ad hitlerum » qui, dans un sidérant renversement, présente démocrates, laïques, Républicains, défenseurs des Lumières et de la liberté de conscience, hommes et femmes persuadés que ce qui nous fait semblables est bien plus fort que ce qui nous sépare, comme des fascistes, des racistes, et bien sûr, des sionistes…

Mais les sectes ont cela de particulier qu’elles savent se faire entendre malgré leur fragilité. La nature de l’Université française est éminemment laïque. Rappelons qu’il faudrait bien peu de choses pour qu’elle le redevienne en fait.

Jean-Pierre Sakoun

Voir "Colloque 15 juin 2019 - UNIVERSITÉ SOUS INFLUENCE - OUVERTURE par J-P Sakoun, président du CLR".



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