Revue de presse

"L’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité…" (Marianne, 12 av. 19)

18 avril 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

par Étienne Girard et Hadrien Mathoux.

"Les signaux sont nombreux qui montrent qu’un nouveau militantisme antiraciste confinant au racisme se propage dans notre société. Universités, syndicats, médias, culture, partis politiques… Ce courant de pensée né aux Etats-Unis "colonise" tous les débats.

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Les « racisés » souffrent d’« invisibilisation », ce qui devrait pousser à s’interroger sur les « privilèges blancs » et le « racisme d’Etat » en France. Si la triple relecture de cette phrase ne suffit pas à vous extirper d’un abysse de perplexité, c’est que vous n’avez pas encore fait la connaissance de la mouvance « décoloniale ».

Vous n’êtes donc probablement pas un familier des organisations de gauche. Depuis plusieurs années, dans un mouvement qui s’accélère ces derniers mois, une idéologie nouvelle gagne ces milieux militants, qu’ils soient universitaires, syndicaux, associatifs, politiques ou artistiques.

Sa dernière apparition spectaculaire remonte au 25 mars dernier, à l’entrée de la Sorbonne, sous les bannières de trois associations de défense des droits des personnes noires. Elles ont empêché la représentation d’une adaptation des Suppliantes, la pièce du poète antique Eschyle, dont certains comédiens blancs ont été accusés d’arborer du maquillage et des masques noirs pour interpréter une armée venue d’Afrique. Un blackface, c’est-à-dire un grimage raciste pour moquer les Noirs, ont expliqué ces manifestants. Le metteur en scène, Philippe Brunet, a eu beau rappeler ses engagements humanistes ou plaider pour qu’on puisse « faire jouer Othello [le personnage africain de Shakespeare] par un Noir ou par un Blanc maquillé », rien n’y a fait. « Il n’y a pas un bon et mauvais blackface », a rétorqué Louis-Georges Tin, président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (Cran).

Sans que le grand public y prête encore attention, ces activistes, dont l’antiracisme confine souvent au racisme, conquièrent régulièrement de nouvelles organisations, comme le Planning familial, Act Up, qui lutte contre le sida, ou le syndicat SUD. Il ressort de l’enquête de Marianne que ces militants pointent également le bout de leur doctrine au Mouvement des jeunes socialistes, à la CGT, à la Ligue des droits de l’homme, dans les médias « progressistes » et dans les départements universitaires de sciences humaines. Les jeunes générations apparaissent particulièrement réceptives. A La France insoumise, ces discussions en sont à leurs balbutiements, mais quelques signaux montrent que cet étrange antiracisme infuse. En mars dernier, une assistante parlementaire a, par exemple, publié dans la revue Frustration un long texte très argumenté intitulé « Un article destiné aux Blancs », qui reprend le vocabulaire et les théories « décoloniales ».

"D’où parles-tu ?"

A l’Unef, ces idées sont déjà au pouvoir. Dans une vidéo publiée le lundi 8 avril, le syndicat étudiant de gauche dénonce le racisme, en s’appuyant sur le nouveau bréviaire en vogue. « Le racisme est un système qui oppose les dominants et les dominés. Les dominants étant assimilés aux personnes blanches et les dominés, aux personnes non blanches », explique une jeune fille. Dans cette réflexion, exit les inégalités économiques et sociales qui, dans la tradition marxiste, structuraient les rapports de domination.

Ce nouveau prisme chamboule tous les fondamentaux de la gauche française depuis deux siècles. Au premier chef, l’universalisme républicain. Le pacte social français cherche à promouvoir l’égalité entre tous, qu’importent les différences de couleur de peau, de religion ou de sexe - ce qui suppose que ces distinctions ne sont pas reconnues dans l’espace public. Les « décoloniaux », qui se déclarent parfois « indigénistes », eux, proposent de recentrer la lutte contre les discriminations… autour de l’exaltation des identités. Le « d’où parles-tu, camarade ? » devient la seule règle.

Tout argument n’est examiné qu’à l’aune de la couleur de peau, mais aussi du genre ou de l’orientation sexuelle de celui qui l’énonce. La capacité à raisonner s’efface. Ne subsistent que les assignations à résidence communautaire. Un homme proteste contre une critique qu’il juge excessive ? Les militantes féministes moquent sur les réseaux sociaux ses « male tears », ses « larmes de mâle ». Une personne noire ou maghrébine défend des principes républicains ? On la traite de « nègre de maison », comme l’élue parisienne Lunise Marquis, ou de « collabeur », injure essuyée en boucle par la militante laïque et ex-journaliste de Charlie Zineb El Rhazoui. Une féministe s’oppose au port du voile ? On lui rétorque qu’il faut « laisser la parole aux premières concernées », comme le sermonne l’activiste Rokhaya Diallo à chaque polémique.

Cette sacralisation de l’identité justifie l’organisation d’événements interdits aux « dominants », hommes, hétérosexuels, mais aussi Blancs, pour partager l’ « expérience minoritaire ». Elle peut engendrer un silence assourdissant quand des comportements problématiques sont attribués à des « dominés ». Lorsque des migrants commettent des agressions sexuelles à Cologne, peu d’associations féministes réagissent. Quand la militante féministe Caroline De Haas suggère que les agressions sexistes dans le quartier parisien de la Chapelle-Pajol pourraient être résolues par « l’élargissement des trottoirs », l’aveuglement vire au grotesque. « Ces militants sont les nouveaux racistes. On ne peut pas prétendre trier les gens en fonction de leur couleur de peau et se dire antiraciste », tranche l’ancien président de SOS Racisme Malek Boutih, interrogé sur la sphère « décoloniale ».

Ce courant de pensée qui vient « coloniser » les débats français nous provient des Etats-Unis. Les obsédés de la race et du genre y puisent leurs sources, et notamment leur première référence, l’intersectionnalité. Ce nom quelque peu obscur fait référence à un concept universitaire, élaboré par l’Américaine Kimberlé Crenshaw en 1989. En tant que telle, la notion n’a rien de problématique : elle vise simplement à analyser la manière dont différentes formes de discrimination - liées à la couleur de peau, au genre, à l’orientation sexuelle ou à la classe sociale - peuvent s’additionner et créer des problèmes spécifiques. Sauf que ce principe a été largement détourné de son objectif initial, parfois avec le soutien de l’Oncle Sam. Cursus universitaires, médias, entrepreneurs identitaires parfois directement financés : les Américains inondent la France de leur soft power multiculturaliste.

Désarroi idéologique

Comment expliquer l’attrait de la jeunesse militante française pour cette nouvelle gauche identitaire ? Cette dérive raconte en partie le désarroi idéologique de la gauche universaliste, désormais bien en peine de susciter l’adhésion sur son projet de société. « Les identitaristes ont le vent en poupe, car le discours marxiste et républicain a échoué », pointe le sociologue Manuel Boucher, ex-militant de la gauche associative et auteur de La Gauche et la race. Un militant de la Ligue des droits de l’homme, opposé à ce glissement, confirme avoir vu de nombreux étudiants épouser ces thèses par absence d’alternative : « Beaucoup de ces nouveaux militants sont animés par un idéal sincère de tolérance et de progressisme et se laissent convaincre par quelques idéologues. »

La naïveté n’est toutefois pas toujours de mise. Une association comme Lallab, chantre du « féminisme musulman », use du jargon « inclusif » pour faire avancer ses revendications communautaires. Promouvant le port du voile, ces jeunes militantes se sont prononcées contre la pénalisation du harcèlement de rue en 2017. Motif : le projet risquerait de stigmatiser « une population d’hommes de classe populaire et/ou racisés ». Ou quand l’utilisation politique de l’intersectionnalité va explicitement à l’encontre des intérêts des femmes…"

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