Revue de presse

L. Le Vaillant : réunion "non mixte" à Libé, "Un homme ne devrait pas dire ça…" (liberation.fr , 15 av. 19)

Luc Le Vaillant, journaliste, chroniqueur à "Libération". 16 avril 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Retour sur les paradoxes et les limites de #MeToo au prétexte d’une réunion interdite aux hommes, organisée par des féministes de Libération.

Les inégalités professionnelles existent et les femmes en pâtissent depuis longtemps. Mais leurs légitimes revendications s’accompagnent parfois de moyens d’action contestables, tel le recours à ces réunions non mixtes, qui plaisent tant aux décoloniaux et aux indigénistes. L’un de ces meetings en vase clos s’est déroulé récemment à Libération, lieu où la parité a bien avancé. Celle-ci reste évidemment perfectible mais je vois mal l’intérêt de mettre à l’index des compagnons de route favorables à ces évolutions.

Je vais m’éviter le ridicule d’estimer que ce type d’initiative est discriminatoire et sexiste. Même si le biologique y reprend le pas sur le symbolique.

Je me contenterai d’affirmer que cela participe d’une tentation séparatrice qui torpille la nécessaire entente entre les sexes. Pour que ma position soit claire, je vais seriner à nouveau mon mantra très sculpture de soi qui dit : « Les femmes comme les hommes ont droit à leur guise au féminin et au masculin. »

Au-delà des graves exactions dénoncées par #MeToo, je reconnais volontiers n’avoir pas mesuré l’ampleur de la colère féminine au quotidien. Pour autant, je ne vais pas m’interdire de lister les paradoxes d’un mouvement éligible à la critique comme toute pensée majoritaire. Car, il faut bien admettre que #MeToo instille de la défiance entre les sexes. Cette réunion interdite aux hommes, à Libé, en étant le dernier avatar…

1) Sororité et boy’s clubs.

La sororité se veut une réponse à l’entresoi masculin. Sauf que cela tient de la même logique identitaire. Par nature, les femmes seraient bienveillantes et compassionnelles, et auraient une approche différente de l’exercice du pouvoir. Bêtises essentialistes… Récemment, à Libération, comme dans d’autres médias, les membres ricaneurs et harceleurs de la Ligue du LOL se sont vu mettre à pied quand, à mon avis, ils auraient pu bénéficier d’une seconde chance. Dans le même élan, le système des boy’s clubs s’est fait mitrailler. A raison… Mais il faudrait voir à ne pas gober tout cru les problématiques américaines. Puissent nos chères sisters ne pas dupliquer les choses sommairement et éviter de constituer des franc-maçonneries sororales.

2) Défaite de la fluidité de genre.

Avant #MeToo, la remise en cause des normes sexuelles avançait allégrement. Les ABCD de l’égalité faisaient école, même si parfois leurs promoteurs avaient des tendances rééducatrices post-maoïstes. Depuis #MeToo, chacun et chacune se trouvent renvoyés à des standards antédiluviens. La femme est forcément la proie, et l’homme, le prédateur. La femme est faible, et l’homme abuse de sa force. La femme est gentille, et l’homme est méchant. A ce niveau de manichéisme, trois solutions non exclusives s’offrent aux compréhensifs mâles des contrées privilégiées.
A) Baisser la tête en pénitent, en acceptant de ployer sous le faix de la culpabilité patriarcale des siècles passés. B) Taire sa réprobation en attendant que ça passe et en donnant des gages collaboratifs un peu faux derche. C) Dire qu’il faudrait voir à ne pas régresser en matière de commerce amoureux afin que le désir continue à circuler et que les corps déstabilisés exultent encore.

3) « Zone grise » régressive.

Le concept actuel le plus rétrograde est sûrement celui de « zone grise ». En résumé, les femmes coucheraient parfois sans envie réelle et le regretteraient ensuite. Je vous rassure, les hommes aussi… Elles seraient d’accord le soir, hésitantes à minuit et révulsées au matin quand ce n’est pas dix ans après. Leur volonté serait sujette à caution pour cause d’emprise masculine immémoriale. Ce concept de zone grise est une catastrophe. Il trucide la salvatrice notion de consentement. Il fait de toute relation lue et approuvée la veille, un viol potentiel le lendemain. Et ressuscite cette vieille balançoire sexiste : « Souvent femme varie, bien fol qui s’y fie. »

4) Sexualisation et exhibition de l’intime.

#MeToo aidant, les femmes se plaignent d’être plus souvent sexualisées que les hommes et renvoyées à leur corps… défendant. Ce n’est pas faux mais la réponse à apporter est complexe. Va-t-on voiler celles-ci et parquer ceux-là ? Va-t-on cloîtrer celles qui ne détestent pas se montrer et éborgner ceux qui regardent avec trop d’attention ? Et que faire des bellâtres rouleurs de mécaniques que certaines aiment aussi reluquer ?

L’ennui, c’est que #MeToo a fait de l’intimité une hache de guerre, et de la divulgation des relations refusées, un récit victimaire qui sature l’espace commun.

Comment sortir de cette impasse où chacun est réduit à sa caricature ? Dispensons-nous d’ériger la non-mixité en un dogme infantilisant. Et espérons que la fusion des altérités triomphe de la fission qui atomise.

Luc Le Vaillant "

Lire "Un homme ne devrait pas dire ça…".



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