Revue de presse

"L’Eglise tentée de reprendre la main sur l’école privée" (Le Monde, 8 jan. 13)

7 janvier 2013

"[...] Aux mains des congrégations au XIXe siècle, l’école "catho" s’est peu à peu émancipée puis laïcisée au fil du XXe siècle en accueillant un public de plus en plus varié. Aujourd’hui, il est difficile de parler d’un paysage homogène. Les 8 300 établissements ne se ressemblent pas. Parfois distants de quelques centaines de mètres, ils sont pourtant à des années-lumière. Certains sont très élitistes, d’autres accompagnent les élèves en difficulté. Certains ont des pédagogies innovantes, d’autres jouent le classicisme. Tous y font enseigner les programmes nationaux par des enseignants payés par l’Etat qui ont passé les mêmes épreuves de concours que les professeurs du public.

Chacun a sa petite part de liberté, autorisée par l’expression de son "caractère propre" depuis la loi Debré de 1959. Si tous se doivent de proposer un accompagnement de la foi, certains y ajoutent une préparation aux sacrements et des célébrations religieuses. Mais depuis quelques années, les enfants et leurs parents préfèrent bien souvent l’enseignement plus scientifique des différentes religions au catéchisme. En 2004 déjà, une enquête du Crédoc montrait que seuls 14 % des parents choisissaient cet enseignement pour que leurs enfants y reçoivent une éducation religieuse.

Deux millions d’enfants sont scolarisés dans un de ces établissements. Parfois pour un an, parfois de la maternelle au bac. 40 % des élèves y font un passage à un moment ou un autre de leurs études... "Aux yeux de certains évêques, l’accueil de ce public, très composite et motivé par des raisons diverses, autres que religieuses, aurait conduit l’école catholique à se banaliser et à perdre sa vocation missionnaire au profit d’objectifs exclusifs d’excellence scolaire", rappelle Bernard Toulemonde, inspecteur général honoraire chargé de l’enseignement privé entre 1982 et 1987 auprès de différents ministres.

Pour ce fin connaisseur des acteurs de l’école "catho", "cette évolution trouverait essentiellement son origine dans la contractualisation avec l’Etat, qui impose d’une part une ouverture à tous les enfants sans distinction de croyances, mais aussi un alignement des enseignements et des activités sur ce que fait l’enseignement public". Bref, hier jugée si précieuse, la loi Debré de 1959, qui reconnaît à cet enseignement un caractère propre en plus de sa participation à la mission de scolarisation de la jeunesse du pays, serait devenue "trop laxiste".

A quelques mois du terme de son mandat et sachant que le secrétaire général de l’enseignement catholique est nommé par l’assemblée des évêques, Eric de Labarre avait-il un autre choix que de réaffirmer la position de l’Eglise ?, se demandent certains. Même si elle est conjoncturelle, sa lettre est une étape dans la tentative de réévangélisation de l’école. L’étape suivante sera la réécriture des statuts de l’enseignement catholique.

Le texte doit être présenté en juin, après avoir été avalisé par les évêques à Lourdes au printemps. Difficile pour un lecteur non licencié en théologie de décrypter le texte, mais plusieurs voix font déjà entendre leur inquiétude. Un syndicat comme le Spelc estime qu’il limite la présence des enseignants dans certaines instances de décisions et qu’en revanche les chefs d’établissement – qui reçoivent leur lettre de mission de l’évêque – voient leur pouvoir un peu plus assis. "L’Eglise catholique n’a pas le droit de se servir de nous pour faire du prosélytisme", prévient Luc Viehé, son secrétaire général.

A la FEP-CFDT, Bruno Lamour affiche moins d’inquiétude. "Ce sont des statuts. Nous restons vigilants et si on sentait une possible mise à mal de la loi Debré qui nous inscrit à part entière comme acteur de la mission d’enseignement, nous ferions entendre notre voix", assure-t-il. Ce qui se joue dans les statuts, c’est la tutelle régionale des établissements : le rectorat – comme pour les établissements publics – ou la direction diocésaine. La réponse sera intéressante, et les tiraillements sont déjà nombreux.

Car les avis convergent : l’épiscopat entend ne pas laisser se laïciser encore un peu plus ce secteur, un des derniers terrains sur lequel l’Eglise peut agir. "Qui d’autre peut porter le message catholique aujourd’hui, quand les églises se vident ?, demande Bruno Poucet. Si on ajoute à cela le fait que l’Eglise catholique adopte en plus une approche plus identitaire que par le passé, on comprend pourquoi la pression s’accentue sur l’école." Et Bernard Toulemonde d’ajouter que le renouvellement des évêques a amené une génération plus "conservatrice" et renforcé l’envie de "re-catholiciser" l’école, déjà pensée comme courroie de transmission par la Nouvelle Evangélisation de Jean Paul II.

Cette reprise en main s’est d’abord manifestée localement. L’évêque d’Avignon avait promulgué le 26 juin 2006 une Charte de l’enseignement catholique pour son diocèse, à titre expérimental pour trois ans. Elle prévoyait que les établissements aient une référence explicite au Christ, faute de quoi ils perdraient agrément d’école catholique...

En 2009, c’était au tour de l’évêque de Nice d’inciter les parents qui souhaitaient davantage de religion à ouvrir leurs propres écoles hors contrat. Plusieurs centaines de familles ont fait ce choix."

"17 % des élèves français dans le privé

2 millions d’élèves de la maternelle à la terminale, soit 17 % des effectifs sont scolarisés dans le privé. Selon le secrétariat général de l’enseignement catholique, 40 000 élèves n’auraient pas obtenu de place à la dernière rentrée.

Les 8 300 établissements sont très inégalement répartis sur le territoire. Quand l’ouest de la France compte jusqu’à la moitié de ses effectifs dans le privé, l’Est n’a pas cette culture. A Paris, 40 % des collégiens sont dans des établissements sous contrat.

Les frais moyens de scolarité demandés aux familles sont de 350 euros annuels en primaire, de 450 en collège et de 600 en lycée, soit 2milliards au niveau national. Cette moyenne masque d’énormes disparités. L’Etat et les collectivités y consacrent 1,7 milliard à divers titres.

135 450 enseignants y travaillent. Ils sont payés par l’Etat, mais signent un contrat de droit privé avec leur établissement."

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