Revue de presse

L. Bouvet : "Non, le Printemps républicain n’est pas identitaire" (Le Monde, 4 juil. 18)

Laurent Bouvet, professeur de science politique, cofondateur du Printemps républicain. 10 juillet 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dans un entretien paru dans Le Monde daté des 24 et 25 juin, l’écrivaine et académicienne Danièle Sallenave dénonce, fort justement, « l’identitarisme » comme la « maladie du XXIe siècle ». Elle désigne comme principales menaces identitaires dans la France contemporaine « le républicanisme identitaire » et le « catholicisme pur et dur ». Ces deux courants ayant à ses yeux fait alliance « sur le thème de “notre identité” » et des valeurs de « notre civilisation », en vue d’un « objectif commun : faire renaître ou préserver une “identité française” que menacerait une population “hétérochtone” uniquement définie par sa religion [l’islam] ».

Danièle Sallenave commet une triple erreur en définissant ainsi l’identitarisme. La première est de ranger dans le même sac identitaire républicains laïques et universalistes d’un côté, et tenants d’un catholicisme traditionnel de l’autre.

Pour ce faire, l’académicienne s’appuie en effet sur un raisonnement qui consiste, faute du moindre fait tangible, à tordre l’histoire, pourtant aussi riche que complexe, des relations entre républicanisme et catholicisme dans le sens d’une « alliance » dont le fait colonial au XIXe siècle serait la matrice. Alors qu’elle ne cite ni l’affaire Dreyfus ni le débat sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, par exemple.

Or de nombreuses différences séparent le républicanisme que fustige notre écrivaine du catholicisme qu’elle dit « pur et dur » historiquement comme dans l’actualité récente. De l’approche de la laïcité à propos de la croix de Ploërmel (Morbihan) ou de l’installation de crèches dans les mairies aux positions prises par les uns et les autres sur des sujets tels que la fin de vie ou le mariage homosexuel, rien ne permet de dire que républicanisme et catholicisme sont « alliés ».

Ainsi, par exemple, Danièle Sallenave oublie-t-elle que ce n’étaient pas les républicains laïques qui défilaient en 2013 main dans la main avec les catholiques de la Manif pour tous mais des islamistes dont ils partagent le conservatisme en matière de mœurs.

Il est impossible, à condition d’être de bonne foi, de qualifier le républicanisme que défend, avec d’autres, le Printemps républicain (mouvement issu de la gauche, fondé en mars 2016), d’« identitaire ».

C’est la deuxième erreur commise par Danièle Sallenave qui relève, cette fois, d’une forme d’aveuglement idéologique devenue, hélas, trop courante à gauche. Ainsi, quand elle cite le manifeste du Printemps républicain comme exemple d’identitarisme : « lorsqu’on [y] lit l’éloge des notions de nation, d’universalité, de laïcité, on voit bien qu’elles sont convoquées pour une restauration, un combat, où du reste la figure de l’ennemi n’est pas nommée. Mais tout suggère que ce sont l’islam et les musulmans qui sont visés », préfère-t-elle, à coups de « on voit bien que » et autre « tout suggère que », la facilité du procès d’intention aux faits.

Le manifeste en question, résolument progressiste, clairement en faveur de l’émancipation des citoyens, quels que soient précisément leurs différents traits d’identité, résume en effet les principaux combats du républicanisme contre toutes les dérives identitaires, d’où qu’elles viennent.

Cet aveuglement conduit d’ailleurs notre académicienne à occulter le principal dommage infligé à la société française par l’identitarisme qu’elle prétend dénoncer. Depuis janvier 2015, au moins, c’est l’islamisme, dans sa version terroriste, qui tue, blesse et traumatise nos compatriotes. Ce n’est ni le républicanisme ni le catholicisme.

Les près de 250 morts de ces attentats n’ont pas été tués au nom de la laïcité ou des évangiles, mais au nom d’une idéologie inspirée de l’islam. Et toutes les circonvolutions autour d’une radicalisation de la délinquance due à des causes sociales ou d’une mise en accusation de la colonisation ne peuvent effacer cette réalité.

La menace identitaire que refuse de nommer Danièle Sallenave déborde aujourd’hui largement l’idéologie islamiste. Elle repose d’ailleurs, bien davantage que le républicanisme et le catholicisme que notre historienne imprudente tient à tout prix à mêler dans le même geste colonial, sur une mémoire instrumentalisée de la colonisation et, de là, des Français descendants des colonisés, à coup d’indigénisme « décolonial », de réunions de « non- blancs » tenues en « non-mixité racisée » ou de dénonciation de « l’impérialisme gay »… Sur cet identitarisme-là, pas un mot !

La troisième erreur de Danièle Sallenave renvoie à une lecture très partielle et très partiale de l’évolution intellectuelle française de ces quarante dernières années. Faire de l’antitotalitarisme des années 1970-1980 le socle de l’évolution « identitaire » du républicanisme, c’est tout simplement nier la réalité, c’est-à-dire l’implosion de l’antitotalitarisme après la chute du mur de Berlin.

C’est nier que tous ceux qui s’étaient un moment rassemblés dans ce mouvement se sont retrouvés éparpillés sur tout l’échiquier politique et intellectuel à partir des années 1990 ; saisis, sur tous les sujets, l’école, les Balkans, l’islam, l’Union européenne, la mondialisation, la révolution numérique… par de nouveaux clivages. On a ainsi retrouvé les acteurs de l’antitotalitarisme aussi bien chez les partisans du triomphe conjoint de la démocratie, du libéralisme et du capitalisme que du côté des souverainistes, des nationalistes ou des altermondialistes.

Danièle Sallenave en simplifiant l’histoire, en occultant les faits qui contredisent ce qu’elle veut à tout prix nous faire croire, et en assimilant la position républicaine laïque et universaliste à une dérive identitaire, se révèle in fine une précieuse auxiliaire de l’identitarisme contemporain qu’elle prétend vouloir combattre."

Lire "Non, le Printemps républicain n’est pas identitaire".



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales