Revue de presse

L. Bouvet : "L’insécurité culturelle est réelle" (lemonde.fr , 6 fév. 15)

Laurent Bouvet, auteur de « L’insécurité culturelle » (Fayard). 9 février 2015

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Certains intellectuels de gauche refusent de regarder la réalité en face : les questions identitaires sont majeures dans notre pays.

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"Pour une partie de la gauche et de ses relais intellectuels, " l’insécurité culturelle " est incompréhensible sinon inacceptable. Ce qui n’est qu’un objet d’étude (pourquoi et comment des populations peuvent vivre ou ressentir des craintes concernant le " vivre-ensemble ", les bouleversements de l’ordre du monde et leurs conséquences sur la définition même de ce qu’est la société française aujourd’hui) ne serait légitime ni sur le plan académique ni sur le plan politique. Le simple fait de l’évoquer poserait déjà, en soi, un problème, car ce serait accepter de fait les termes du débat choisis par l’extrême droite.

Cela fait un moment que, face au FN, la stratégie de " la poussière sous le tapis " ne fonctionne plus. Voilà en effet bien longtemps que le parti lepéniste définit très largement l’agenda politique autour de ses thématiques et qu’il oblige les autres à se positionner vis-à-vis de lui. On peut le regretter, comme on peut regretter le jeu de certains médias à ce propos, mais feindre d’ignorer une telle évolution conduit à se couper de la réalité politique, et cette stratégie du non-dit n’est plus audible par nos concitoyens.

Les enjeux dits " culturels " ou " identitaires " sont d’ailleurs, FN ou non, devenus majeurs dans la société française ces dernières années. Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? Comment construire du lien social à partir de nos différences ? Quelle place doivent occuper les religions, notamment l’islam, dans la société française ? Etc. Ils déterminent en tout cas désormais une grande partie des attitudes et comportements électoraux, à côté et souvent de manière liée aux enjeux économiques et sociaux, notamment lorsqu’il s’agit de la perception de la mondialisation, de la construction européenne et des questions de frontières. Les ignorer ou refuser de reconnaître leur impact, c’est prendre le risque, considérable, de ne pas comprendre ce qui est à l’œuvre au sein de la société que l’on prétend étudier ou de laquelle on prétend agir.

Plus profondément encore, un tel refus de voir ou de dire les choses peut aisément témoigner d’une attitude de rejet vis-à-vis de populations qui vivent ou ressentent cette insécurité culturelle. Une attitude qui peut vite passer pour celle d’élites coupées de celles et ceux qu’elles prétendent pourtant étudier, comprendre ou représenter. C’est un des principaux points aveugles aujourd’hui à gauche. Ces populations se retrouvent d’ailleurs à la fois dans les " banlieues " et dans la " France périphérique " – c’est là d’ailleurs notre différence essentielle avec les conclusions de Christophe Guilluy qui oppose ces deux populations.

L’insécurité culturelle touche en effet aussi bien les " jeunes musulmans " des banlieues que les " petits Blancs " ou les " Français de souche " du " périurbain subi ", si l’on retient ces catégories médiatico-politiques, même si c’est selon des modalités et des voies différentes. Ils adressent en effet les mêmes reproches aux élites (économiques, politiques, intellectuelles, médiatiques…) : abandon, oubli, invisibilité, relégation, voire ségrégation. Leur insécurité culturelle est ainsi vécue en raison de cette coupure, qui est loin de n’être que territoriale ou sociale, contre des élites qui non seulement ne veulent plus ni les voir ni les comprendre mais qui ont choisi, depuis des décennies, à travers les politiques publiques qu’elles ont voulues et mises en œuvre (éducation, ville…), une telle situation.

C’est précisément là que cette gauche, rétive à l’usage de " l’insécurité culturelle ", et les intellectuels ou les chercheurs qui la confortent dans ce sens devraient porter leur attention : à ce rejet profond qui les englobe et les condamne. Car si l’on veut aujourd’hui parler de lutte des classes dans le pays, on s’apercevra vite que celle-ci n’oppose pas, d’un côté, telle partie jugée acceptable du prolétariat (sur des critères souvent identitaires ou culturels d’ailleurs) et ses défenseurs de gauche autoproclamés à, de l’autre, une France identitaire, raciste, xénophobe ou " islamophobe " qui serait dans les mains du FN.

Elle oppose une France du " bas ", qui souffre, quelles que soient ses origines et ses identités, que l’on trouve en banlieue comme dans le " périurbain subi ", à une France du " haut ", celle d’élites dont le but premier est la préservation de ses privilèges et avantages, qu’ils soient économiques, sociaux, scolaires ou culturels.

Face à une telle fracture, face à un tel risque, l’observation et la prise en compte de " l’insécurité culturelle " peuvent aider à desserrer l’étau interprétatif qui pèse sur la société française et, de là, à combattre plus efficacement ses effets et conséquences politiques."

Lire "L’insécurité culturelle est réelle".


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