Revue de presse

""Kiffer", "récré", "Nupes" : les drôles de guerres du dictionnaire de l’Académie française" (L’Express, 28 juil. 22)

30 juillet 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Les Immortels sont censés veiller à la "pureté" de la langue. Une mission majestueuse aujourd’hui confrontée à l’écriture inclusive et aux anglicismes.

Par Étienne Girard, avec Michel Feltin-Palas

JPEG - 29.4 ko

Quai Conti, la guerre du franglais a bien eu lieu. Mais ce fut une drôle de guerre. Le jeudi 3 février 2022, peu après 15 heures, les anglicismes s’invitent à la séance hebdomadaire de l’Académie française. Gabriel de Broglie - à prononcer "Breuil" -, présente le rapport qu’il a coordonné, titré : "Pour que les institutions françaises parlent français". L’analyse de 32 pages, au ton mi-navré, mi-exaspéré, compile les expressions franglaises dégotées par une multitude d’institutions. Le ministère de la Santé lance le plan "One Health", la région Auvergne-Rhône-Alpes la "Zero Emission Valley", un projet de véhicules à hydrogène, la Sarthe le slogan "Sarthe me up". L’université de Cergy s’est renommée Cergy Paris Université et se fait appeler CY - à prononcer "see why", ses initiales en anglais ; le musée du Quai Branly organise des "before", des fêtes en début de soirée ; l’office du tourisme d’Annecy vante les mérites d’ "Annecy mountains".

Les habits verts raillent des termes souvent "empruntés directement de l’anglais pour leur côté énigmatique, signe d’une démarche innovante", qui "confinent aux tics de langage" et promeuvent un "vocabulaire limité et approximatif". Ils réclament la traduction systématique de ces fantaisies lexicales. "Le but à atteindre est triple : tenir compte du public dans son ensemble, contribuer au maintien du français et permettre à la langue française de participer à une mondialisation réussie", concluent les académiciens.

Satisfecit général dans la petite salle des séances. On s’apprête à passer à autre chose quand Jean-Marie Rouart surgit. L’écrivain insiste pour que le texte soit diffusé en librairie. Le poète Michael Edwards, les écrivains Dominique Bona et Angelo Rinaldi, ainsi que Broglie acquiescent, mais l’helléniste Barbara Cassin, l’avocat François Sureau et quelques autres s’y opposent. La note n’a pas été rédigée à cet effet, elle n’est pas publiable, font-ils valoir. Hélène Carrère d’Encausse, le secrétaire perpétuel, plus roi Salomon que jamais, propose de remettre le rapport à Emmanuel Macron. Compromis refusé par Rouart : "C’est quand même un peu fort car c’est lui le premier vecteur du franglais." Lui défend en outre l’interpellation des candidats à la présidentielle sur ce thème. On vote. L’intervention dans la campagne électorale est écartée, mais la publication l’emporte de deux voix.

"L’Académie, c’est l’Olympe"

Cinq mois plus tard, le projet paraît pourtant compromis. L’éditeur Philippe Rey, approché pour imprimer le document, a refusé : "Je n’ai pas donné suite car il n’est pas assez rédigé et développé pour toucher un public en librairie." En janvier 2022, pour la toute première fois en trois cent quatre-vingt-sept ans d’histoire, la compagnie menaçait déjà de saisir le Conseil d’Etat contre le gouvernement. En cause, la traduction intégrale de la nouvelle carte nationale d’identité en anglais. Las, là aussi, l’Académie a capitulé. "Nous n’étions pas sûrs de gagner juridiquement et nous ne voulions pas déléguer le pouvoir dont nous disposons en matière de langue française à une autre institution, fût-elle aussi prestigieuse que le Conseil d’Etat", argue l’écrivain Frédéric Vitoux.

"L’Académie, c’est littéralement l’Olympe", rappelle souvent l’écrivain Dany Laferrière. D’où un dilemme qui saisit aujourd’hui les Immortels : doivent-ils observer le monde de très haut, en se bornant à délivrer quelques remarques sur le "bon usage" de la langue française, ou peuvent-ils défendre activement une certaine conception du français ? Le titre choisi par Gabriel de Broglie livre une partie de la réponse, mais Frédéric Vitoux défend une approche plus distanciée : "Notre mission consiste, de manière très démocratique, à constater l’usage." Dans les faits, tout dépend du sujet, depuis toujours. [...]"

Lire ""Kiffer", "récré", "Nupes" : les drôles de guerres du dictionnaire de l’Académie française".



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales