Note de lecture

Julia Deck - Un Cluedo déjanté (E. Moreau)

par Edouard Moreau. 28 mars 2022

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Julia Deck, Monument national, éd. Minuit, 2022, 208 p., 17 €.

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Serge Langlois, vieille gloire du cinéma français, et sa jeune épouse, Ambre, ex-Miss Provence-Alpes-Côte d’Azur, vivent avec leurs deux (?) enfants adoptés dans leur château à Rambouillet, huis clos un peu oppressant en compagnie de l’intendante, la nurse, le chauffeur, le jardinier, invités chaque jour à partager l’apéritif – on a les idées larges.

A quelques kilomètres de là, au Blanc-Mesnil, deux caissières, la mystérieuse Cendrine et la belle Aminata aux jupes de plus en plus courtes, travaillent « au U. Le gérant disait “Super U”, mais elle ne voyait pas ce que le magasin avait de super » [1]. Elles trompent l’ennui avec les jeunes du coin, dont Abdul Belkrim, débutant dans des clips de rap, qui va tronquer son nom du -krim « pour décharger l’esprit de la clientèle de considérations post-coloniales importunes ».

Dans les années Macron, des grèves de la fin 2019 au confinement en passant par la révolte des « gilets jaunes », Julia Deck suit dans leurs train-train les cultureux bobos et les jeunes de banlieue (soit ce qui reste de la clientèle fantasmée de la gauche).

Mais soudain, quand ces deux univers vont se mêler, nombre de protagonistes ne savent plus où ils habitent ; le destin va basculer, pour le meilleur et le pire.

La question de l’identité est au cœur du roman de Julia Deck qui, de Viviane Élisabeth Fauville en 2012 à Propriété privée (2019) en passant par le magistral Sigma (2017) capte décidément l’air du temps avec une élégance rare. L’auteur manie le suspense pour camper des personnages a priori « ordinaires » dont le lecteur découvre progressivement les plus noirs tréfonds de l’âme.

Une construction soignée et un style au cordeau servent une satire sociale qui ne se prend jamais trop au sérieux, grâce à une plume flegmatique empreinte d’une discrète mais cruelle dérision.

Edouard Moreau

« Aminata souleva ses paupières plombées par le climat social. Elle jeta un regard en coin à Mathias et revint à son tapis de caisse – filets de dinde, bip, éponges double-face, bip, litière pour chat, bip –, à Abdul qui ne faisait rien pour sortir de l’ornière, bip. »

« Au grand salon, Virginia refusait maintenant de s’asseoir. Elle tourbillonnait au milieu du tapis, les pans de son grand manteau virevoltant sous le lustre, et elle employait des vocables qu’on interdisait aux enfants de prononcer au château – des mots en -ope, des mots en -asse, qui s’adressaient à Ambre clouée devant l’âtre. »


Voir aussi les autres Notes de lecture dans Culture (note du CLR).


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