"Fin de vie, la liberté de choisir" (CLR, 28 oct. 17)

J.-L. Romero : Ceux qui ont les moyens peuvent aller mourir à l’étranger. Et les autres ? (Colloque du 28 oct. 17)

Jean-Luc Romero, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. 29 octobre 2017

Message de Jean-Luc Romero, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité.

Monsieur le Président du Comité Laïcité République, cher Patrick, inlassable militant de la liberté et de la laïcité,
Monsieur le Député Jean-Louis Touraine, fidèle soutien du droit de mourir dans la dignité,
Chers amis,

Vous voudrez bien pardonner mon absence parmi vous aujourd’hui ; je suis à Cahors, aux côtés de notre déléguée pour le Lot, afin d’animer une réunion en faveur du droit de mourir dans la dignité.

La vie associative révèle la plupart du temps de très belles choses, au premier rang desquelles la lutte pour un idéal, le sens de l’intérêt général, la satisfaction de servir et d’être utile aux autres.

C’est avec cette conviction chevillée au corps que j’ai la satisfaction d’avoir été reconduit au poste de président de l’ADMD le 14 octobre dernier, par la confiance de nos près de 70.000 adhérents à l’occasion de notre 37ème générale. Je partagerai cette responsabilité avec une équipe renouvelée, comportant des bénévoles expérimentés et des nouveaux combattants pour notre ultime liberté, des jeunes et des moins jeunes, des professionnels et des militants. Des femmes et des hommes qui, de manière bénévole comme cela fut toujours le cas, seront en charge de l’administration de notre association.

Je sais, j’entends les impatiences des défenseurs du droit de mourir dans la dignité. Elles sont les miennes aussi… Cette loi que nous revendiquons depuis 1980, que les Néerlandais ont depuis 2001, que les Belges ont depuis 2002, que les Luxembourgeois ont depuis 2009, tarde à venir chez nous… Pendant une décennie, notre vie et notre mort ont été confiées à Jean Leonetti, médecin éloigné depuis fort longtemps de la médecine, militant anti-choix… Il n’est aujourd’hui plus député. C’est une bonne nouvelle pour tous ceux – plus de 90% de nos compatriotes – qui aspirent à une loi qui leur permettra de choisir pour eux-mêmes les conditions de leur propre fin de vie.

La loi du 2 février 2016, que certains, y compris à l’ADMD même s’il s’agit de militants très minoritaires, veulent nous présenter comme une avancée, est une véritable régression. Une régression pour tous et un trompe-l’œil pour les non-connaisseurs. Car en vérité, les directives anticipées ne sont toujours pas contraignantes et la terrible sédation terminale ne peut être envisagée que dans les tout derniers instants de la vie. Le flou qui entourait auparavant la sédation prévue par un décret du 29 janvier 2010 permettait à des médecins bienveillants et attentifs à la qualité de vie de leurs patients de poser des gestes de compassion et d’apaisement… Aujourd’hui, c’est un peu de notre liberté qui disparaît avec les imprécisions de 2010. Qui disparaît encore…

Il nous faudra convaincre. Convaincre encore et toujours.

C’est évidemment vers les politiques que nous nous tournons de manière privilégiée. Car qui d’autres que les politiques, les parlementaires, ont le pouvoir de modifier la loi ? Ne comptons pas, dans notre combat, sur la rue… En effet, toutes les fois où nous avons organisé des manifestations, nous ne réunissons au mieux que quelques milliers de personnes. Quelques milliers pour près de 70.000 adhérents. Comment faire la révolution quand – et je le comprends parfaitement compte tenu de l’âge moyen de nos adhérents – la pluie, la chaleur, la station debout, la marche… dissuadent les nôtres de venir nous soutenir ?

Et pourtant, jamais dans l’histoire de notre association, autant de manifestations n’auront été organisées à mon initiative. Je vous rappelle que nos adversaires, que l’on a vu défiler en 2013 contre le mariage pour tous, que nous verrons défiler contre la PMA, dont les parents ont défilé contre l’IVG au début des années soixante-dix et défilent encore, rassemblent parfois plusieurs centaines de milliers de personnes. Et pourtant, le droit de mourir dans la dignité est très largement accueilli favorablement par les Françaises et les Français.

J’observe ce qui se passe en Suisse ou en Belgique, avec le départ de Français. Ceux qui ont les moyens financiers et la force physique, psychologique et morale de se déplacer peuvent partir en Suisse. Ceux qui peuvent se payer les trajets pour la Belgique – qui ne souhaite pas accueillir notre misère en fin de vie – peuvent bénéficier d’une euthanasie légale. Et les autres ? Rien. La souffrance. Au mieux, la sédation accompagnée de la dénutrition et de la déshydratation… Est-ce cela l’avenir de notre société ? Car qui s’occupera de nos proches, de nos enfants. Auront-ils les mêmes moyens et les mêmes connaissances que nous pour s’exiler ? Ne serions-nous pas égoïstes de ne penser ainsi qu’à nous-mêmes et de laisser les autres, les nôtres, à leur triste sort régi par la loi Leonetti ?

C’est parce que je veux une loi pour tous, ici, en France, sans condition ni financière ni autre, que je me bats. Il faut que dans quelques années, chacune et chacun d’entre nous, sans barrière d’aucune sorte, puisse bénéficier d’une aide médicalisée pour mourir selon ses convictions, dès lors que c’est un choix exprimé, conscient et réitéré. Il n’y a qu’à cette seule condition que nous aurons la certitude qu’après notre propre mort, ceux que nous chérissons bénéficieront du même droit de mourir dans la dignité.

Alors oui. Le temps est long. Et pour certains, le temps presse… Nous n’abandonnerons jamais ces derniers. Nous ne l’avons jamais fait. Je ne l’ai jamais fait…

Nous avons en face de nous un président de la République qui semble ne pas maîtriser ce sujet. Pourtant, il a récemment déclaré vouloir choisir sa propre fin de vie. Nous avons en face de nous un Premier ministre qui a connu, avec son père, les tourments de la mauvaise mort. Il a décrit cette expérience – comme nous tous, du reste – comme une véritable tragédie. Nous avons en face de nous une ministre de la santé qui parle d’une évaluation de la loi. Pourtant, nul besoin d’une évaluation. Je lui donne ici deux noms qui suffiront à comprendre ce qu’il en est réellement de la loi Leonetti : Vincent Lambert et notre chère Anne Bert.

Mais nous avons aussi à côté de nous des parlementaires, au premier rang desquels l’admirable Jean-Louis Touraine, ou encore Olivier Falorni, qui portent notre combat dans l’hémicycle. Il faut leur parler. Beaucoup sont novices en politique et n’ont donc pas de réactions d’appareil. Nous irons les voir. Un par un. Nous leur dirons qu’une nouvelle liberté enrichit la société. Qu’un droit n’est jamais une obligation. Que dès lors que l’on place la parole du citoyen – et non celle de son médecin ou de sa famille – au centre de la décision de fin de vie, il n’y a aucun risque de dérive. Que la vie peut être belle, mais que la survie, en France, est souvent un cauchemar… Nous leur demanderons de réfléchir. Nous leur demanderons de réfléchir à leur propre fin de vie ; à la fin de vie de ceux qu’ils aiment le plus. Souhaiteraient-ils les voir diminués, infantilisés, avec un corps vide de ses forces et de son esprit ? Je vous assure que non.

Si la loi ne change pas, quelques uns poursuivront leurs petits arrangements, et beaucoup mourront dans des conditions indignes et en contradiction avec leur volonté.
Chateaubriand écrivait : « Tout nous ramène à quelque idée de la mort, parce que cette idée est au fond de la vie. »

Nous pouvons gagner ce combat pour la vie, pour la fin de vie. C’est à notre portée. Mais il faut nous mobiliser et nous regrouper.

Vive la liberté ! Vive la laïcité !

Je vous remercie.



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