Revue de presse

""Homme enceint" : comment le Planning familial s’est retrouvé au coeur des querelles féministes" (L’Express, 1er sept. 22)

1er septembre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’affiche fragilise l’association alors que son action première, l’accès à l’IVG, est unanimement saluée.

Par Agnès Laurent

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Il a suffi de quelques heures pour que l’embrasement gagne les réseaux sociaux. Le 18 août, Laurier The Fox, illustrateur de métier, poste sur Twitter une affiche qu’il a réalisée à la demande du Planning familial. On y voit deux hommes dans une salle d’attente, l’un d’eux attendant visiblement un bébé. Juste en dessous, ce slogan : "Au planning, on sait que les hommes aussi peuvent être enceints". Immédiatement, une féroce querelle de mots, d’anathèmes et d’arguments/contre-arguments s’engage sur la Toile. On s’invective, on s’échange des noms d’oiseaux. Beaucoup dénoncent une provocation. Les plus extrêmes - souvent issus de la droite de la droite - demandent l’arrêt du versement de subventions à l’association. D’autres, issues des rangs féministes historiques, s’interrogent sur ce nouveau pas vers un effacement de la "femme".

Laurier The Fox, lui-même homme trans gay, est pris de court. Après tout, son dessin et trois autres ornent les murs des antennes du Planning familial depuis plus d’un an. Et il n’est, à ses yeux, en rien une provocation. Depuis 2016, il n’est plus nécessaire d’avoir subi une opération chirurgicale pour changer d’état civil. Un homme né femme qui aurait conservé ses organes génitaux peut donc bien être "enceint". Voilà pour la rationalité. Mais l’affaire de l’affiche va bien au-delà. Elle interroge sur la philosophie du Planning familial, né sous la bannière de l’universalisme, et réveille les récentes et violentes querelles dans le monde féministe et la société autour des questions de sexe, de genre, de transidentité.

Le Planning n’en est pas à sa première secousse. Dès ses débuts en 1956 sous le nom de "Maternité heureuse", l’organisation est l’objet de passions et de critiques. Y compris en interne. A la fin des années 1960, elle se divise sur ses missions, les unes voulant se préoccuper uniquement de la mise en oeuvre de la loi Neuwirth de 1967 sur la contraception, les autres prendre à bras-le-corps le combat pour l’avortement. Les plus anciennes militantes se souviennent aussi de murs qui tremblent à l’occasion de disputes sur la place à accorder aux hommes dans le mouvement. "Dès le début, il y a eu des tensions entre une ligne classique et de nouvelles revendications, souvent portées par la base contre l’avis des dirigeants", confirme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof et auteur de La Vie sexuelle en France (La Martinière, 2018).

Aujourd’hui, les discours féministes "classiques", universalistes et laïques, s’opposent au militantisme "intersectionnel" et aux défenseurs des personnes transgenres. Renouvellement de générations, difficultés à trouver des bénévoles en nombre suffisants pour assurer les permanences des antennes locales, tentation pour certains groupes militants de porter leurs idées à travers une institution aussi puissante et reconnue que le Planning familial..., l’évolution s’est faite progressivement. "La frange intersectionnelle est minoritaire, mais elle crie plus fort que les autres, notamment en accusant ses adversaires d’être d’extrême droite. Du coup, les universalistes se taisent ou quittent le navire. Et peu à peu les intersectionnels prennent la place", constate Naëm Bestandji, ancien militant à Grenoble et auteur du Linceul du féminisme (éd. Seramis).

Plusieurs épisodes témoignent de ce changement. En 2018, par exemple, l’antenne des Bouches-du-Rhône diffuse un visuel montrant, d’un côté, une femme blanche en sous-vêtements et, de l’autre, une femme noire voilée, avec respectivement ces phrases : "la nudité empouvoire certaines femmes", "la modestie empouvoire certaines femmes".

Chaque fois, la réponse du Planning aux critiques est la même : on ne s’immisce pas dans les choix des autres. Un argument qui peut s’entendre dès lors qu’il s’agit de contraception ou de vie sexuelle, mais qui heurte ceux qui ne mettent rien au-dessus de la liberté des femmes. "La réalité, c’est que le Planning familial, à l’image de la société, est traversé par de nombreux débats sur l’identité de genre, les droits des femmes, la laïcité, et que ces débats s’expriment parfois de façon malheureuse et maladroite voire préjudiciable", regrette Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à la vie associative.

Ces derniers mois, c’est autour de la place des transgenres que se sont cristallisés les conflits, alimentés par des militants très déterminés. "On doit défendre les droits des personnes trans et dénoncer les discriminations dont elles sont victimes, mais sans pour autant céder au transactivisme. Le problème du Planning, c’est qu’il y est très poreux depuis un tournant qui s’est fait il y a une dizaine d’années", constate la sénatrice (PS) Laurence Rossignol, qui se dit pourtant "totalement solidaire" de l’association pour défendre le droit et l’accès à l’IVG "quelles que soient ses erreurs". Le choix de vocabulaire, comme "personnes menstruées" plutôt que femmes, ou le soutien à #NousToutes il y a un an lorsque le mouvement décide de ne plus relayer le décompte du collectif Féminicides par compagnons ou ex au motif qu’il n’intégrerait pas les victimes transgenres sont révélateurs d’une rupture.

Loin d’être anecdotique, cette dernière touche au coeur même du combat féministe. "Les mots disent ce que l’on pense. C’est structurel", insiste Marguerite Stern, ex-initiatrice du collectif des colleuses en France revendiquant une vision universaliste du féminisme. "On ne peut pas sous prétexte de militantisme et de volonté d’accueillir tout le monde s’asseoir sur la biologie. Si on peut être enceint, c’est parce qu’on est une femme biologiquement. La remise en cause de la science, c’est de l’obscurantisme, et ça, je ne peux pas", ajoute Janine Mossuz-Lavau.

Elles ne sont pas les seules à se demander quel sens peut encore avoir le combat féministe s’il n’y a plus de "femmes" à défendre. "Avant, on était les sorcières, les mal-baisées, les hystériques, maintenant on n’est pas féministes parce qu’on ne soutient pas les trans", regrette une militante du collectif Féminicides par compagnons ou ex. Au sein même du Planning familial, le sujet ne fait pas l’unanimité. Lorsqu’en février 2020 Libération publie une tribune intitulée "Toutes des femmes" et défendant la place des transgenres dans les combats féministes, seules trois antennes du Planning figurent parmi les premiers signataires. "Chaque équipe a ses réflexions, ses cheminements. Certains débats sont menés plus profondément à certains endroits, avec des positions consensuelles. A d’autres endroits, non", admet Danielle Gaudry, militante toujours active de la maison.

Mais les voix critiques hésitent à s’exprimer. Certes, une Janine Mossuz-Lavau qualifie de "boulette" l’affiche diffusée sur les réseaux sociaux mi-août, même si elle est "navrée de critiquer une institution qui fait un travail plus que nécessaire". L’appréciation de Laurence Rossignol est plus ronde dans la forme, mais le message n’est pas très différent : "On vit une révolution anthropologique, c’est une réalité. Mais si cette révolution est évidente pour des jeunes et certaines CSP, elle l’est moins pour d’autres parties de la population. Et cela contribue à l’angoisse identitaire globale. Il faut accompagner cette évolution avec délicatesse. Or, l’affiche du Planning familial est, à mon sens, un élément de déstabilisation supplémentaire. Il faut se garder de toute provocation. Sinon, ce sont les fachos qui remportent la mise."

La plupart des personnalités publiques préfèrent se réfugier dans le silence. Même au gouvernement, Marlène Schiappa qui, il y a quelques années, n’hésitait pas à convoquer les dirigeantes du Planning familial pour dire son mécontentement, se fait discrète, laissant Isabelle Rome, la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, apporter son soutien au Planning familial. Quant à Elisabeth Borne, difficile pour elle de critiquer une institution à laquelle elle a consacré l’un de ses premiers déplacements en tant que Première ministre à la fin du mois de juin.

Chez tous, la gêne domine. En accusant ses adversaires d’être d’extrême droite et en refusant tout mea culpa sur l’affiche, le Planning familial a donné le sentiment qu’il refusait le débat - contactées par L’Express, ses responsables nationales n’ont d’ailleurs pas donné suite.

Mais tout le monde sait aussi que l’extrême droite et certains courants religieux surfent sur l’affaire de l’affiche pour réduire les droits des femmes. Or, en ces temps où l’accès à l’avortement est rendu plus difficile dans certains pays du monde, où, même en France, les délais s’allongent pour y accéder dans certaines régions, où la proposition de loi prolongeant de douze à quatorze semaines de grossesse le délai de recours à l’IVG a eu toutes les peines du monde à être adoptée par le Parlement, personne n’a envie de fragiliser le Planning familial. Quitte à lui passer ce que chacun, selon son humeur et son degré d’agacement, euphémise en "boulette", "bêtise", "balle dans le pied" ou "débilité insigne".

Lire ""Homme enceint" : comment le Planning familial s’est retrouvé au coeur des querelles féministes".


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Planning familial, les rubriques Féminisme et Transgenres, dans Femmes-hommes (note du CLR).


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