Revue de presse

H. Peña-Ruiz : "Mort de la laïcité à Paris" (liberation.fr , 27 juin 19)

Henri Peña-Ruiz, philosophe et écrivain, Prix de la Laïcité 2014, auteur de "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon). 19 août 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La maire de la capitale a délégué à une entreprise la gestion du funérarium public du Père Lachaise. Pourquoi aliéner au privé ce qui relève du service public ?

« Funecap ». Tel est le nom du fonds d’investissement capitaliste auquel la mairie de Paris, d’obédience dite socialiste, alliée avec la droite parisienne, a décidé de confier le funérarium public du Père Lachaise, lieu de cérémonie et pas seulement de crémation, et celui qui sera bientôt construit au nord de la capitale. Funeste décision. La maîtrise des funérailles offertes au capitalisme. « Funecap »… le nom est symptomatique, et sinistre. Celui d’un fonds d’investissement dans l’acte funéraire. Quel cauchemar ! Et quelle tristesse ! Anne Hidalgo comble d’aise ses auditeurs lorsqu’elle discourt sur la laïcité. Mais comment peut-elle en bafouer à ce point l’éthique universaliste et les principes fondateurs, en aliénant au privé ce qui doit rester de l’ordre du service public au regard des finalités humaines qui sont en jeu ?

Des intérêts privés s’empareront donc de la mort et de la douleur, de la cérémonie dernière, du recueillement dont naguère toute la République avait à cœur d’assurer l’organisation. Devenue maîtresse des lieux, une entité privée sera bientôt libre de fixer les montants de prestations que par pudeur les familles en deuil auront quelque peine à contester. Assurer des dividendes à des actionnaires privés n’est pas vraiment compatible avec l’esprit de désintéressement qui témoigne d’une humanité partagée, si essentiel chaque fois que se vit et s’éprouve la dimension tragique de la condition humaine.

Le fric doit-il donc tout normer, au point que soient bradées à des intérêts privés des institutions publiques qui interviennent dans des moments majeurs de la condition humaine ? Un peu de noblesse ! On ne gère pas le cérémonial des obsèques comme on gère la vente de paquets de lessive. Il y faut la symbolique de la puissance publique, sans but lucratif. Il y faut le recueillement dans des lieux qui sont dévolus au deuil par un Etat républicain qui doit en rester maître. C’est ainsi que peut-être rappelée symboliquement, dans la tragédie que représente la perte d’un être cher, la solidarité de toute la communauté nationale. Et ce dans un esprit laïque, c’est-à-dire à la fois universaliste et désintéressé.

Atteinte à la laïcité

A cet égard, et c’est tout aussi essentiel, on sait que l’égalité des familles athées ou agnostiques et des familles croyantes doit absolument être assurée par la puissance publique. Laïcité oblige. Or la crémation est souvent le choix des humanistes athées ou agnostiques, alors que l’enterrement avec passage du cercueil à l’église est plutôt le choix des croyants, même si cela n’est plus vrai pour tous. Paradoxe. Les quelque trente-quatre mille églises et cathédrales qui en France sont encore propriété de l’Etat ne sont pas, à ce titre, régies par des intérêts privés. Les croyants peuvent donc y choisir et y accomplir leurs cérémonies sans avoir à payer pour cela autre chose que les frais d’usage. Pour les athées et les agnostiques, il faudra désormais rémunérer le capital privé qui régira les lieux. Bref une discrimination objective des convictions spirituelles, donc une atteinte grave à la laïcité, s’accomplit au nom de l’obsession gestionnaire. Celle-ci est aussi oublieuse de l’égalité républicaine que de la finalité éthique et sociale des services publics.

Madame Hidalgo, tout n’est pas susceptible d’être délégué au privé. Celui-ci n’a d’ailleurs pas donné l’exemple à Paris pour les locations de vélos et de voitures. Vous savez bien que l’intérêt privé a trop pris l’habitude d’externaliser les coûts écologiques, humains et sociaux de la concurrence libre et non faussée. Pour les obsèques à Paris l’invasion du vocabulaire commercial et la hausse des coûts seront bientôt imposés dès lors qu’une entité privée y aura le monopole de fait en disposant des deux funérariums. Nul cahier des charges ne peut valoir l’état d’esprit universaliste, laïque, et désintéressé d’une société publique comme celle qui jusqu’à présent gérait le funérarium de Paris. Voilà ce que semblent avoir voulu oublier ceux des élus qui ont voté la privatisation, avec le secours de la droite parisienne. Celle-ci est ainsi comblée de voir consacrées ses idées par ses adversaires politiques supposés. La gauche authentique s’est alors retrouvée minoritaire à refuser une telle trahison.

Un dernier mot sur ce qui est un vrai cas d’école, hélas représentatif de la dérive non de la gauche comme telle, parfaitement estimable lorsqu’elle reste fidèle à elle-même, mais d’élus dits de gauche qui agissent comme s’ils avaient tout oublié des idéaux que fonde leur engagement politique, tant sur le plan éthique que sur le plan social. Tel est le naufrage moral et politique qui conduit à privatiser un lieu de recueillement au nom de la rationalité gestionnaire.

Au passage on accrédite l’idée fausse selon laquelle la gestion privée serait plus rigoureuse que la gestion publique. Un préjugé infondé, comme le montrent les faillites récurrentes des obsédés du profit en bourse, tenants d’une économie financière déréalisée. La crise des subprimes est dans toutes les mémoires. C’est alors la puissance publique qui a dû sauver les banques qui avaient joué au loto. Par comparaison les services publics gérés selon l’intérêt général sont autrement plus résilients. A-t-on oublié le rôle majeur qu’ils ont joué pendant les trente glorieuses (1945/1975), dans le développement simultané de l’économie et de la justice sociale ? Le programme du Conseil National de la Résistance avait montré la voie.

Trahison morale

Ainsi, se conjugue une trahison morale et politique des idéaux qui sont l’âme de la république et une aliénation déplorable au tout marché qui fait commerce de la mort. Paradoxalement cette obsession gestionnaire dépourvue de tout principe éthique n’empêche pas la mairie de Paris, depuis des années, de détourner l’argent des contribuables parisiens vers des intérêts privés d’ordre religieux, sans doute par clientélisme électoral. Etait-il besoin que la mairie de Paris consacre chaque année des milliers d’euros à la rupture du jeune de Ramadan, en prétendant contre l’évidence faire œuvre culturelle et non cultuelle ? Un sophisme devenu usuel pour contourner la Loi de séparation laïque de 1905. Elle finance aussi des crèches privées confessionnelles, notamment loubavitch, alors qu’on manque de crèches laïques à Paris.

Rappelons enfin que la mairie de Paris a financé l’Institut des Cultures de l’Islam, doté de deux salles de prière. Là encore la confusion du cultuel et du culturel vaut prétexte. Quand financera-t-elle un Institut des Cultures de l’Humanisme athée ? Les athées ne réclament rien pour leur propre conviction spirituelle, et ils ont raison, car ils refusent de communautariser l’argent public. Donc on ne leur donne rien… Etrange conception de l’égalité républicaine !"

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