Revue de presse

"Gauche autoritaire, islamisme et terrorisme" (R. Fregosi, huffingtonpost.fr , 29 fév. 16)

Renée Fregosi, philosophe et politologue, auteur de : "Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates" (Moment). 1er mars 2016

"La France présente la particularité de tendre régulièrement vers l’hégémonie d’une gauche autoritaire plutôt que libertaire. En 1920, la fraction bolchevique l’emportait au sein du parti socialiste français (la SFIO). Mais cette division ne permit pas cependant l’expression claire du socialisme républicain prôné par Jean Jaurès et plus tard d’un socialisme de "l’exercice du pouvoir" esquissé par Léon Blum contre les partisans de la "prise du pouvoir" en rupture avec la démocratie politique dite "bourgeoise". Et malgré ses différents passages au gouvernement, le PS n’est toujours pas parvenu à trancher définitivement en faveur d’une social-démocratie (à refonder aujourd’hui).

La gauche française a donc eu bien du mal à assimiler la notion de totalitarisme. La gémellité du bolchevisme et du fascisme analysée très tôt par Marcel Mauss a été refoulée par l’hégémonie communiste. Puis l’antifascisme et ses avatars tardifs jusque dans les années 60 a entravé la diffusion de la pensée d’Hanna Arendt vulgarisée tardivement par les "nouveaux philosophes" dans les années 70. Enfin, la dérive d’un antiracisme érigé en dogme intangible à partir des années 90 a contrecarré la prise de conscience de l’émergence d’un totalitarisme de troisième type, l’islamisme. Alors, le clivage qui réapparaît entre "les deux gauches" s’exprime avec virulence aujourd’hui autour de la thématique islamiste car le phénomène politique de l’islamisme ouvre de nouvelles perspectives aux orphelins du bolchevisme, ce vieux mouvement politico-mystique de la religion séculière communiste.

Il est donc malvenu de chercher à comprendre des réalités contradictoires, faites de ruptures et de continuités, plutôt que réduire le réel à des dualités simplistes qui favorisent les pensées de l’orthodoxie et les pratiques d’imposition. La perte de repères et de sens qui caractérise notre modernité globalisée est devenue un argument supplémentaire à tous ceux qui s’opposent à l’exercice critique et à la libre pensée : pas de complexité susceptible de troubler les esprits, pas de culture exigeante par souci d’égalitarisme. Les victimes ne pourraient être coupables, le multiculturalisme serait forcément une richesse, le peuple aurait toujours raison, l’islam n’aurait rien à voir avec l’islamisme... Et derrière le "pas d’amalgame" il y a aussi cette volonté d’entraver le libre examen et la démarche analytique.

Ainsi, on clôt le débat en taxant d’"islamophobie" toute tentative de considérer les doctrines intégristes des Frères musulmans, des salafistes ou du wahhabisme en cohérence avec le Coran dans sa nature de parole de vérité ininterprétable et les hadiths de Mohamed dans leur définition de modèle incritiquable. A tel point que pour aborder la critique de l’islamisme il faut accepter crânement d’être "islamophobe" comme l’a fait courageusement Elisabeth Badinter récemment, et oser affirmer que la sortie de l’islamisme consiste autant dans une lutte militaires et policière que dans un combat politique et idéologique, et une critique de l’islam en tant que religion révélée.

Par ailleurs en effet, les phénomènes d’islamisation et de "radicalisation" djihadiste des banlieues françaises et européennes, s’alimentent certes de l’exclusion, du racisme, du chômage, de la perte de repères, de la demande de protection et de lien... Mais il est tout aussi indéniable qu’une stratégie d’entrisme est à l’œuvre au sein des différents pays européens, d’abord à travers les populations descendantes d’immigrés puis au de-là dans la société toute entière, de la part de mouvements anti-démocratiques instrumentalisant la religion musulmane. Cette mouvance politique islamiste travaille à tous les niveaux : social, idéologique, religieux, politique, terroriste, en occident désormais comme au Maghreb et au Moyen-Orient. [...]

La libération des mœurs et partant, celle des femmes dans les sociétés modernes occidentales devient alors en effet un objet central de conflit avec l’islamisme contemporain, comme elle l’a été historiquement avec toutes les religions qui se sont laïcisées de gré ou de force à travers le monde. L’occident a été le premier à intégrer progressivement l’idée d’égalité entre les humains, entre les religions et entre les sexes ; cela, pour des raisons historiques complexes et différentes selon les Etat-nations, mais aussi parce que les religions chrétiennes comme la tradition talmudique ont évolué dans le sens de davantage de réflexivité critique et d’effort d’interprétation. Malgré des tentatives d’ouvertures doctrinales, la religion musulmane quant à elle s’est refermée sur une position dogmatique résolue. Et la liberté des femmes n’a progressé hors de l’occident, que par la domination coloniale, ou sous la pression de régimes autoritaires nationalistes. Mais de l’Algérie des généraux du FLN à l’Egypte post-nacérienne, en passant par les partis Baas syrien et irakien décomposés ou l’Autorité palestinienne, la laïcité de façade des pays arabes a cédé sous l’assaut des différents mouvements islamistes, et la timide liberté des femmes chèrement conquise y est reléguée dans les poubelles de l’histoire.

Ainsi, terrorisme, intimidation, régression et perte de sens s’articulent de façon complexe depuis quelques décennies. Or, face au terrorisme et à la violence du djihadisme, on n’emploie plus guère les termes de "terrorisme intellectuel" et de "violence verbale" pour qualifier certains discours. Pourtant une stratégie de la tension s’organise également dans l’ordre de la pensée et de la parole. Et si les acteurs ne sont pas forcément les mêmes, il existe d’une part une congruence logique entre des actes et des mots, d’autre part, une convergence de différents courants politico-idéologiques aux méthodes autoritaires et aux conceptions totalitaires, enfin des liens entre différents types de phénomènes au niveau international. La réédition "actualisée" du "rappel à l’ordre" de Daniel Lindenberg, manifeste la réussite relative de cette entreprise de confusion des concepts, de stigmatisation de l’individualisme libéral, de construction d’une nouvelle hégémonie totalitaire. Présenté comme "prémonitoire", cet essai écrit il y a quatorze ans, relèverait plutôt de la prophétie auto-réalisatrice.

On accable donc toujours du qualificatif de "néo-réacs", les intellectuels qui osent dénoncer l’islamisme et le cœur de cette doctrine politique, l’antisémitisme, même si comme Alain Finkielkraut ils proclament leur appartenance à la gauche. On appelle "traitre" ou "collaborateur" des responsables politiques et des militants comme Amine El Kahtmi, Lydia Guirous, Malika Sorel, ou Zohra Bitan, des journalistes et des blogueurs comme Kamel Daoud, Zined El Rahzoui, Mohamed Sifaoui, Djemila Benhabib ou Waleed Al-Husseini, et des écrivains comme Salman Rushdie, Boualem Sansal, ou Taslima Nasreen. Hommes et femmes d’ "origine musulmane", ils sont assignés, malgré leurs proclamations d’athéisme, à l’islam assimilé pour l’occasion à l’islamisme, par un retournement surprenant du fameux "amalgame". On insulte également des universitaires français comme Laurent Bouvet en les traitant de racistes et de misogynes, parce qu’ils dénoncent les agressions et toutes les violences faites aux femmes par des musulmans revendiqués, de Cologne aux territoires conquis par Daech ou Boko Haram.

Les mots sont détournés de leur sens, les charges de la preuve retournées, les argumentations prennent la forme de syllogismes ou de théories complotistes, les attaques ad hominem se font menaçantes. Le terrorisme verbal recouvre et légitime la terreur en acte, dans la grande tradition stalinienne qualifiant ses victimes de "vipères lubriques" et de "sociaux-fascistes", mais en moins imagé au demeurant pour ce qui concerne les "idiots utiles" de l’islamisme, tandis que les prédicateurs et les combattants du djihad continuent quant à eux de traiter de chiens, de singes et bien sûr de porcs, leurs ennemis : juifs, mécréants, femmes impudiques, apostats, artistes impies, athées, chrétiens, homosexuels, démocrates, libertins, humanistes, féministes, et bien au de-là tous ceux qui n’adhèrent pas à leur mouvement."

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