Revue de presse

G. Chevrier, S. Chau : "L’étrange vague à l’âme de LaREM sur la laïcité" (atlantico.fr , 21 mars 19)

Stewart Chau, diplômé de l’EHESS et consultant chez Viavoice ; Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 25 mars 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dans son intervention face à des intellectuels lundi, Emmanuel Macron a affirmé ne pas vouloir toucher à la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Atlantico : Votre sondage réalisé pour l’Observatoire de la laïcité en janvier dernier montrait que 73% des Français étaient attachés à la laïcité telle qu’elle est définie par le droit, mais 60% à penser que "trop souvent, on ne parle de laïcité qu’à travers la polémique". De la même façon, la question ne semble pas faire l’unanimité au sein du parti du Président : une réunion est organisée ce merdredi pour trouver des "dénominateurs communs" sur ce thème, mais la responsable du pôle Idées de LREM, Marlène Schiappa, a déclaré dans Le Monde qu’il s’agissait d’un "sujet sensible" pour son parti. Pourquoi selon vous la question de la laïcité est-elle un "sujet sensible" pour le parti politique du président ? Faut-il y voir un écho de la complexité de la question laïque pour les Français que montrait votre sondage ?

Stewart Chau : Les discussions mouvementées au sein du parti présidentiel concernant le sujet de la laïcité s’inscrivent d’abord dans un contexte bien particulier.

Si le Président de la République avait annoncé souhaiter une « réflexion » sur la loi de 1905, depuis la déclaration de ces intentions aucun débat véritable n’a eu lieu au sein de la majorité. En ce sens, les épisodes polémiques qui sont intervenus au début de l’année concernant la commercialisation d’un hidjab par Décathlon et les propos du député Aurélien Taché, sont apparus comme les seuls espaces ouverts au débat et donc peu propices à des discussions de fond et des échanges apaisés.

La première difficulté constitue donc l’absence d’espace de débat au sein de la majorité sur une question pourtant centrale. D’autant plus qu’elle n’a pas su se saisir de la question à l’Assemblée ni exister vraiment par elle-même, on l’a vu lors du débat sur la proposition d’Eric Ciotti.

Vient ensuite l’enjeu de la complexité de ce débat. Notre étude menée pour l’Observatoire de la laïcité exprime deux enseignements majeurs :

. D’abord, pour les Français la laïcité représente un principe républicain essentiel à la société et auquel ils se disent très attachés (73 %). Ce consensus, n’efface évidemment pas certains clivages, générationnels d’abord avec les tranches les plus jeunes de la population moins attachées que les autres et qui s’explique par une conception, sans doute biaisée, mais rigide de la laïcité. Puis des clivages socio-professionnels, les catégories plus aisées apparaissant mieux informées se déclarent plus attachées que les autres.

. Deuxièmement, en dépit de ces quelques divergences, l’ensemble des Français estime qu’il existe une réelle différence entre la laïcité telle qu’elle existe dans le droit et telle qu’elle est appliquée au quotidien. En ce sens, 44 % des Français pensent que la laïcité est un principe qui rassemble en « théorie » alors qu’ils sont 18 % à penser qu’elle rassemble en « pratique ». Par ailleurs, 60 % des répondants estiment qu’on ne parle de laïcité qu’à travers la polémique et 67 % qu’elle est trop instrumentalisée pas les personnalités politiques, force est de constater que les différentes prises de paroles leur donnent raison.

Ainsi, la seconde difficulté tient à la teneur du débat. Dans un contexte national et international que l’on connait, tout en montrant qu’il souhaite agir sur une question sociale essentielle, le gouvernement souhaite se saisir du débat avec beaucoup de précaution. Le risque majeur étant de cliver la population sur une question si sensible, notamment après la crise des gilets jaunes et à l’issue du grand débat.

C’est, il me semble, l’exercice de la réunion de ce mercredi, qui aura le mérite de créer un vrai espace de dialogue et de permettre la formulation d’un discours clair sur la base des éléments portés par le Président lundi soir. Espérons que cette réunion soit salvatrice.

Le Président s’est exprimé plusieurs fois, notamment ce lundi lors du débat avec les intellectuels. Sur la question de la laïcité, quelle est la position portée par le Président de la République ? Correspond-elle à celle soutenue par la majorité des citoyens ?

Stewart Chau : Il me semble que la question de la Laïcité constitue un véritable « test » pour le parti présidentiel et la philosophie qu’il porte. En cela, une très large majorité des Français (79%) estime que la laïcité n’est « ni de droite, ni de gauche », conception qui renvoie finalement à l’ADN du parti présidentiel. La complexité est donc de réussir l’exercice difficile qui vise à consacrer ce positionnement « ni de droite ni de gauche » sur une question sociale aussi sensible que celle de la laïcité source de polarités et de divergences réelles.

Ensuite, concernant la position du Président, elle s’est exprimée lors du grand débat des idées, « 1905 rien que 1905 ». En cela le chef de l’Etat a affirmé qu’il ne souhaitait pas réformer cette loi « totémique ». On peut y voir deux choses.
La première est en lien avec les éléments de réponses à la première question : la volonté de ne pas cliver encore davantage une opinion publique déjà crisper. En cela, il se positionne en phase avec une majorité de Français qui estime que la loi de 1905 est adaptée et ne doit pas être modifiée.
La seconde tient à la lecture faite par le Président de la République sur la notion de laïcité. A mon sens, cette lecture consacre une interprétation plutôt « ouverte » de la notion qu’il tente de définir comme la pierre angulaire de la cohésion sociale. Pour autant, lorsque le Président évoque la laïcité, il insiste en parallèle sur la lutte contre le communautarisme. Là encore, il tente de répondre à une inquiétude exprimée par les Français dans notre étude estimant que la montée des intolérances entre les communautés religieuses représente un défi prioritaire pour l’avenir.

Toutefois, je vois un risque majeur à ce positionnement : à être trop consensuel, le Président pourrait annihiler les débats sur la question, se voulant au-dessus des conflits qui restent cependant essentiels à la réflexion et au débat sur la laïcité en 2019. On retrouve la difficulté pratique du « en même temps » qui, sur cette question pourrait soit contenter tout le monde soit mécontenter tout le monde.

La question de la crainte des crispations sur la question de la laïcité rend-elle nécessaire de proposer aujourd’hui un discours clair sur la laïcité, ou au contraire moins en parler permet d’éviter les tensions nombreuses qui entourent cette question dans notre société ?

Stewart Chau : Dans la continuité de ma réponse précédente, il me semble inévitable de permettre un débat réel sur la question. Mais ce débat nécessite plusieurs prérequis essentiels :

. Il suppose que chacun dispose des éléments d’informations suffisants ; en cela, le travail entrepris par l’Observatoire de la démocratie avec Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène est essentiel ;

. Il demande aussi que soit fait des efforts sur les espaces de discussions, comme je le disais précédemment, permettant des échanges libres et constructifs et éviter toutes polémiques qui tendent plus à l’agitation qu’à la réflexion.

L’application de la laïcité est tributaire de son interprétation. Les Français souhaitent qu’elle soit « bien appliquée » et qu’elle soit un vecteur de cohésion sociale. Dès lors, la laïcité nous engage dans un véritable régime « d’historicité », en ce sens qu’elle nous met aussi au défi de nous penser, ou plutôt de nous repenser collectivement.

Pour cela, les français sont plus en attente d’informations claires sur le sujet que d’une réponse politique.

Aujourd’hui se tenait au sein de LaREM une rencontre sur le thème de la laïcité à son siège parisien. Etaient invités de nombreux spécialistes de la question pour permettre au parti de trouver des "positions d’accord", selon le mot de Marlène Schiappa. Que se joue-t-il au sein du parti présidentiel ? Comment se fait-il que le parti n’a pas de ligne sur ce thème central après deux années de quinquennat ?

Guylain Chevrier : On sait que ce qui se joue autour de la laïcité, de la séparation de l’Etat des cultes, d’une conception de nos institutions qui ne connait que des citoyens, des individus de droit, et rejette toute reconnaissance officielle des cultes ou des minorités, c’est un modèle de société. Il est violemment attaqué par le multiculturalisme politique. Pas seulement par des croyants intégristes, mais aussi des forces politiques qui sont acquises à ce modèle anglo-saxon de séparation des individus selon les différences, mis en communautés, par assignation et prédestination identitaires.
Il existe au sein de notre société des franges religieuses et politiques qui veulent abattre notre République laïque. Nous avons aujourd’hui un nombre indéfini de radicalisés, plusieurs dizaines de milliers, avec une progression qui n’est pas enrayée. Elle ne pourra l’être que par une clarification politique sur ce sujet dont nous sommes bien loin. Comme le relate le journal Le Monde de ce mercredi 20 mars, la liste des participants extérieurs à cette initiative de la majorité sur la laïcité a bougé jusqu’au dernier moment. Ce qui révèle tout d’abord l’état des mésententes internes sur ce sujet dont on voulait éviter l’étalage. On a à l’esprit, dans le contexte de la volonté de commercialisation par Décathlon d’un hijab de running, les propos du député du Val-d’Oise et numéro deux du pôle idées de LRM, Aurélien Taché, comparant le port du voile islamique avec celui du serre-tête d’une petite catholique, pour dire, "La loi n’est pas là pour imposer une morale." Marlène Schiappa lui répondant : « Il faut cesser ce relativisme qui nous fait mettre sur le même plan des choses qui sont opposées. […] Aucune femme dans le monde n’a été lapidée parce qu’elle refusait de porter un serre-tête. » On pourrait aussi évoquer comment a pu se fracturer le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale sur un amendement du député LR, Eric Ciotti, visant à interdire le port du voile aux parents accompagnant les sorties scolaires, et donc, autour du respect de la neutralité laïque de l’école.

On a aussi dans ce jeu de chaises musicales satisfait à des exigences venant d’intervenants ou de membres de la majorité, qui entendaient faire pression pour mettre à la marge certains aspects du débat qui auraient pu être amenés par certains invités, que l’on ne voulait peut-être pas entendre. C’est dire combien rien n’est ni transparent sur le sujet ni clarifié.

Le Président s’est exprimé plusieurs fois sur le sujet de la laïcité, notamment ce lundi lors du débat avec les intellectuels, et a affirmé ne pas vouloir toucher à la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cependant, on a du mal à cerner le point de vue du Président. Le Président entretient-il ce "en même temps" qui est aussi un entre-deux sur la question de la laïcité ? Si oui, pourquoi ?

Guylain Chevrier : De la prestation du président de la République au Collège des Bernardins, où il a pu évoquer un lien abimé avec l’Eglise à réparer, à ses contorsions sur la loi de 1905 qu’il envisageait de réviser pour l’adapter à l’islam, selon ses propres propos, en passant par sa mise en garde vis-à-vis de ce qu’il a nommé la radicalisation des laïques, jusqu’à la loi Blanquer sur « L’école de la confiance » qui impose la scolarisation des enfants à partir de l’âge de trois ans (plus de 95 % des enfants étaient déjà scolarisés en école maternelle) qui est un cadeau formidable pour le financement des écoles privées religieuses, essentiellement catholiques, puisqu’elles pourront bénéficier de ce nouveau statut, tout en faisant entrer le drapeau français et le drapeau européen ainsi que le refrain de la Marseillaise, sous forme d’affiches dans chaque classe, au titre du vivre-ensemble, on a tout de même un peu de mal à distinguer de quoi on nous parle à ce sujet. Si on ajoute à cela les différences d’approches à ce propos au sein de sa majorité, où tout est dit et son contraire, on est peut-être en train de passer du « en même temps » à l’imbroglio et à l’incapacité de définir une ligne politique. C’est un peu comme si dans la tempête on avait perdu le gouvernail.

Le 4 février dernier, dans le cadre du Grand débat national, Emmanuel Macron était à Évry-Courcouronnes face aux doléances des maires et associations de banlieue. Il a évoqué à cette occasion la laïcité : « Ne faisons pas comme si, parce que nous avons la loi de 1905, tout va bien ». Il en conclut qu’elle était l’un des enjeux du Grand débat, non « pour réformer la loi de 1905 (de séparation des Eglises et de l’Etat), mais pour la renforcer »... Il s’agissait bien de la réviser. Il a à cette occasion révélé sa volonté d’en faire un élément de réponse aux problèmes des quartiers. Ce lundi, il vient donc d’annoncer que finalement, il ne souhaitait pas la « changer » : « Ma vision est claire c’est 1905 et rien que 1905 », a-t-il déclaré lors d’un débat avec une soixantaine d’intellectuels à l’Elysée. « Je ne souhaite pas qu’on change la loi de 1905 et ce qu’elle représente et ce qu’elle permet de préserver. […] Je veux que chacun puisse croire ou ne pas croire librement, que dans le cadre de sa foi, ça puisse être aussi absolu qu’il ait besoin de la vivre mais je demande au même citoyen de respecter absolument toutes les règles de la République. » C’est l’aboutissement de la réflexion du chef de l’Etat sur le sujet, dans le contexte d’une fin du Grand débat citoyen initié pour répondre aux manifestations des Gilets jaunes.

On notera qu’il a été aussi organisé dans les lieux de culte, églises, mosquées, dont on peut tout de même s’interroger de savoir comment cela a pu être rendu possible. C‘est mélanger un débat de nature citoyenne, qui relève du politique, avec le croire, qui précisément est séparé du politique et pour cause, le mélange des deux ayant conduit historiquement aux pires violences et encore aujourd’hui, à travers la radicalisation religieuse, à tous les risques. Que cherche-t-on ainsi ? Plus problématique encore, le chef de l’Etat a reculé en raison de la pression mise par les associations laïques, mais aussi des réticences des représentants des cultes qui craignaient une loi de contrôle, qui empiète sur leurs libertés. On peut dire qu’ici, le président a été pour le moins léger et n’a, ni bien mesuré le rapport de force en présence, ni la réalité des attentes des cultes au regard de l’évolution des dispositions légales les concernant. Tout cela a été donc bien mal mené si on regarde le bilan, en dehors d’avoir un peu plus crisper les choses, ce dont nous n’avions nullement besoin.

Cette ambiguïté permanente n’est-elle pas dangereuse dans le contexte actuel ?

Guylain Chevrier : Elle est dangereuse, par ce qu’elle déstabilise à cet endroit le socle républicain, autrement dit, ce sur quoi doivent pouvoir se rassembler les volontés, pour garantir un vivre ensemble de tous dans la paix sociale. On parle de laïcité, et pour régulièrement animer des formations sur le sujet, c’est souvent la confusion qui domine dans les esprits aujourd’hui, ce qu’il faut absolument lever pour prendre la mesure du bien précieux qu’elle représente. Comme possibilité d’un Etat impartial parce que ne connaissant que des citoyens, comme protection des droits et libertés des individus parce que la loi commune dépasse la logique des particularismes, des différences, mais aussi comme protection de ces dernières à n’en reconnaitre aucune, empêchant ainsi que l’une d’entre elles ne prenne le pouvoir sur les autres. C’est un socle de liberté dont il faut absolument retrouver la solidité, à la place du flottement actuel, étroitement lié aux fluctuations du pouvoir dans ce domaine.

Si la lutte contre la radicalisation et pour la promotion des valeurs de la République est au point mort, après bien des effets d’annonce, c’est en raison de ce brouillage, de l’absence d’impulsion de l’Etat, dont personne ne peut véritablement évaluer les conséquences, en termes de mise en danger de notre société. Alors oui, l’heure est grave, et il serait temps que vienne un réveil salutaire, en sortant du « en même temps » ou des cafouillages qui en sont la suite logique, pour entrer dans « voilà la perspective une et indivisible » et donner un signe fort à l’idée de faire ensemble une même nation et une même république, fondées sur la laïcité."

Lire "L’étrange vague à l’âme de LaREM sur la laïcité".


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