Revue de presse

G. Chevrier : Jacques Toubon plaide pour Pap Ndiaye, pas sûr qu’il lui rende service (atlantico.fr , 28 mai 22)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 29 mai 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Depuis l’annonce de sa nomination au ministère de l’Education, l’historien Pap Ndiaye se retrouve sous le feu de l’actualité. Après le laïque Blanquer, avec l’arrivée de l’importateur des black studies en France (champ de recherche interdisciplinaire étatsunien qui se concentre sur l’étude de l’expérience raciale des personnes noires) qui a fait une large part de ses études aux Etats-Unis, plus influencé par le modèle anglo-saxon que par l’universalisme républicain, et qui croit voir un intérêt spécifique dans « l’émergence d’une parole collective "noire" en France (La condition noire, 2008), on ne devrait pas s‘étonner qu’on s’inquiète un peu en ces temps de monter des affirmations identitaires. D’autant qu’il a aussi considéré que l’idéologie woke est« un épouvantail plus qu’une réalité sociale ou idéologique », et que « le terme d’islamo-gauchisme ne désigne aucune réalité à l’université ». Un déni qui ne peut manquer de choquer ceux qui déjà en subissent les effets bien réels, sans qu’il soit question ici de généraliser.

C’est dans ce contexte que Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits, a cru bon de monter au créneau sur Europe 1, pour prendre la défense du nouveau ministre de l’Éducation. Il entendait répondre aux attaques virulentes de l’extrême droite envers Pap Ndiaye, qu’il a désigné du terme d’« insanités ».

Sauf que, les critiques ne viennent pas que de l’extrême droite, mais aussi de simples républicains qui s’interrogent sur le fait de nommer une personnalité controversée au regard de ses rapports avec la laïcité, ciment de l’école républicaine. Que M. Toubon s’improvise en avocat du ministre de l’Education, n’était peut-être pas le meilleur service qu’il pouvait lui rendre, pour nous convaincre de la solidité de ses valeurs républicaines. Car l’ancien Défenseur des droits a écrit des choses qui au contraire, peuvent nous troubler du côté des siennes.

Dans son dernier ouvrage Je dois vous dire, l’ancien Défenseur des droits cite d’ailleurs Pap Ndiaye. "Je pense qu’un homme comme Pap peut parfaitement introduire dans notre système d’enseignement, et notamment dans l’enseignement secondaire, ces principes qui sont à la fois au confluent de l’universalité et de la diversité. Et de faire en sorte qu’il n’y ait pas eux et nous, vous et moi, mais nous tous ensemble, à égalité". Si la formule peut être flatteuse, elle s’offre à bien des confusions. Cherchons donc à mieux la comprendre en relisant ce qu’a écrit Jacques Toubon sur le sujet.

L’ancien Défenseur des Droits et les thèses décoloniales

Dans son rapport "Discriminations et origines : l’urgence d’agir", publié non loin de la fin du mandat de sa mission, il explique :« Les discriminations liées à l’origine dans l’emploi doivent être replacées dans le contexte plus large des déséquilibres socio-économiques actuels et de l’histoire de l’immigration postcoloniale en France. Dans les années 1960, le recours à une main d’œuvre étrangère en provenance notamment des anciennes colonies a favorisé le développement d’une stratification du marché du travail, les ouvriers étrangers étant massivement concentrés dans les emplois peu qualifiés, précaires et faiblement rémunérateurs (…) Depuis, ces phénomènes ségrégatifs perdurent dans un contexte de concurrence économique exacerbée et de chômage de masse. »

Ainsi, c’est l’héritage de la colonisation qui serait l’explication aux difficultés que rencontreraient les immigrés, et une « ségrégation » avec son lot de discriminations qui en auraient dérivé ?

Comment alors expliquer que, à classe sociale égale, les enfants d’immigrés réussissent aujourd’hui aussi bien que les enfants des non-immigrés, selon l’Observatoire des inégalités ? Cet argument oublie aussi que des millions de Français installés depuis plusieurs générations sur le territoire de notre pays connaissent les mêmes problèmes sociaux. On les a retrouvés d’ailleurs mélangés lors du mouvement des Gilets jaunes. A croire effectivement qu’il en irait plus avant tout, de la question d’une crise économique et sociale qui frappe sans différencier les blancs et les autres…

Il poursuit : "Les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont désavantagées dans l’accès à l’emploi ou au logement et plus exposées au chômage, à la précarité, au mal logement, aux contrôles policiers, à un état de santé dégradé et aux inégalités scolaires". Cet amalgame prouverait une "dimension systémique" des discriminations en France selon lui, mettant en cause les "droits fondamentaux" de "millions" de personnes et la "cohésion sociale".

Une théorisation qui reprend le vocabulaire d’un nouveau courant dit « antiraciste » qui attaque en permanence la République, alimentant l’idée d’un racisme généralisé en France, un racisme d’État, cher aux indigénistes et autres décoloniaux. Mais le nombre de réclamations sur ce thème, relevées par le Défenseur des droits, est à l’opposé de cette affirmation. Dans son dernier rapport annuel (2019), les réclamations pour discrimination s’élèvent à 5448 (moins qu’en 2018, où elles étaient 5 631) et 14,5% d’entre elles seulement étaient relatives à l’origine (21,3 % en 2016), 2,6 % étant dues aux convictions religieuses (3,7 % en 2016). Le nombre d’affaires plaidées sur le sujet, environ 6000 par an, malgré la myriade d’associations de soutien aux immigrés, ne convainc pas plus.

Le parc HLM bénéficie largement aux personnes et aux familles immigrées en raison de leur faible niveau de revenus en rapport avec un faible niveau de qualification apporté fréquemment avec eux. Une étude statistique du ministère de l’Intérieur portant sur le diplôme selon le lien à la migration et les origines sociales permet aisément de le montrer, « Près d’un quart des parents d’immigrés n’a jamais été scolarisé. » sans compter qu’ils sont nombreux à ne pas maîtriser le français.

La France est-elle responsable d’une situation de fait qui précède l’accueil sur son territoire plus défavorable aux immigrés qu’à ceux déjà intégrés ou vis-à-vis des Français qui y vivent depuis des générations ? « En tenant compte des différences de sexe, d’âge, d’origine sociale, du niveau d’études des parents et du lieu de résidence, l’obtention d’un diplôme du supérieur a les mêmes déterminants chez les immigrés et les personnes sans lien à la migration, bien que le poids de ces déterminants ne soit pas le même. », nous dit encore cette étude. Donc, au contraire, malgré les différences, les générations qui suivent s’intègrent au mouvement général, indiquant que la France loin de faire des mises à part sur le fondement de l’origine, la couleur ou la religion, donne bien souvent les mêmes chances aux uns et aux autres, grâce particulièrement à l’école, et que c’est bien plus l’origine sociale qui est déterminante pour tous.

C’est cela d’ailleurs que pourrait nous faire oublier cette surenchère sur les discriminations, l’indignation prenant le pas sur la raison, pour faire dériver l’égalité des chances uniquement sur ce plan, et quitter l’enjeu de l’égalité républicaine pour la fabrique d’un continent de contentieux aux mille périls. Toute discrimination est une discrimination de trop, mais à un moment donné la réalité dicte d’arrêter en la matière de crier au loup.

« L’antiracisme « contemporain » ne tourne pas le dos à l’universalisme » selon M. Toubon »

Jacques Toubon défend sur Europe 1 que « l’antiracisme contemporain ne tourne pas le dos à l’universalisme ». Mais de quoi parle-t-il ? L’adjectif « contemporain » renvoie à un antiracisme « non-contemporain » qui serait ainsi dépassé ? Il est vrai que l’on est passé d’une lutte contre le racisme et l’antisémitisme pour l‘égalité, à un antiracisme qui défend la reconnaissance dite « de minorités opprimées » à l’américaine, ce qui constitue un fantasme politique auquel en France certains veulent artificiellement donner réalité : multiculturalisme contre République.

Cet antiracisme « contemporain » c’est un peu le pendant de la laïcité adjectivé comme « ouverte » ou « tolérante », on le connaît. C’est celui qui fait le procès de l’égalité comme valeur universelle, désignée comme système de domination supposément inventé par les blancs pour niveler la diversité, diversité conçue comme des identités à lui opposer, pour justifier une reconnaissance juridique des différences, comme autant de communautés penchant dangereusement vers l’enfermement, le communautarisme. Un antiracisme qui remet la race au goût du jour dans le débat public, et pense tout sous le signe racial, entre les blancs et les autres… Ce serait cela l’antiracisme ? Mais c’est l’idée même de races qui est raciste !

A propos du nouveau ministre, il nous dit qu’"Il est représentatif de ce que sont les valeurs universelles, qui doivent bénéficier à tous à égalité. Il n’y a pas de race, il n’y a pas de condition inférieure ou supérieure." Très bien, là on le suit, à condition encore de définir le contenu de cette « égalité ». Se réfère-t-elle à ce que dit Pap Ndiaye dans cette perspective ? « La question sociale ne se dissout pas dans les rapports de classe mais elle doit incorporer, sans hiérarchie déterminée, d’autres rapports sociaux, en particulier ceux fondés sur les hiérarchies raciales » (La Condition noire, 2008).

Alors, cette égalité, est-ce celle fondée sur un combat contre des hiérarchies raciales supposées, justifiant l’organisation de groupes d’intérêts raciaux concurrents, et donc une égalité entre eux, ou une égalité entre des individus aux droits interchangeables, portés au-dessus des différences, des droits protecteurs pour tous, avec leur pendant de devoirs, universalistes pour de bon ? Seule cette égalité-là peut émanciper de prédestinations propres à des traditions inégalitaires accrochées à nombres de religions, cultures ancestrales, ou à des préjugés raciaux, que renforcent les séparations communautaires.

On notera ainsi la confusion qui plane sur ce discours entre universalisme et diversité, pour ne plus très bien savoir de quoi il s’agit lorsque le mot « égalité » surgit. C’est tout l’enjeu des questionnements sur l’avenir de la politique que va mettre en œuvre monsieur Pap Ndiaye à l’Education nationale : sortir des confusions qui entretiennent un climat de divisions et d’affrontements autour de notre République, de ses valeurs et principes ? On jugera évidemment sur l’action plus que sur les intentions prêtées, même si elles s’appuient sur des éléments matériels que l’on ne peut négliger et qui doivent nous maintenir en alerte."

Lire "Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits, plaide pour Pap Ndiaye : pas sûr qu’il lui rende service".



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