Revue de presse

G. Chevrier : "Intifada des couteaux : quelle onde de choc pour la France ?" (atlantico.fr , 29 oct. 15)

Guylain Chevrier, membre de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013). 30 octobre 2015

"Certains l’ont redouté d’autres l’ont fait. L’importation du conflit israélo-palestinien a repris du service en France, alors que "l’intifada des couteaux" fait rage entre Israéliens et Palestiniens.

Atlantico : Alors qu’Israël et les territoires palestiniens sont en proie à un regain de violence, nommé par les observateurs "l’intifada des couteaux", l’importation du conflit israélo-palestinien bat son plein dans certaines communes. Ainsi, plusieurs mairies communistes de Seine-Saint-Denis ont décidé de hisser le drapeau palestinien sur leur fronton. Comment expliquer cette importation du conflit par les politiques ?

Guylain Chevrier : Il faut bien voir tout d’abord dans quel contexte cela se produit. Depuis septembre dernier où le drapeau palestinien a été hissé à l’ONU, qui a reconnu « la Palestine » (les territoires palestiniens) comme membre observateur, il y a un regain de violence entre des Palestiniens cherchant l’affrontement et l’armée Israélienne. Il y a eu l’année passée l’enlèvement des étudiants juifs par le Hamas et leur assassinat, avec pour réponse, un jeune palestinien brûlé vif par des extrémistes juifs. Un contexte où bombardements de roquettes sur Israël et implantations illégales de colonies juives poussent au paroxysme la situation. L’accès à l’esplanade des mosquées en est le point brulant, enjeu politique et religieux, dont le Hamas a fait un élément de radicalisation. Une partie des forces politiques palestiniennes cherchent à exploiter le climat de conflit religieux de la région aux résonnances internationales. On a passé un cap dans cette montée de la violence, avec des attaques suicidaires au couteau qui se multiplient contre des israéliens, des actes de terrorisme. C’est dans ce moment d’exaspération de la violence là-bas, que des maires ont décidé ici, que leurs mairies arborent le drapeau palestinien.

Ce geste est lourd de conséquence. Comment ne pas voir que, sous la revendication de solidarité avec le peuple palestinien ou de la relance du processus de paix en Palestine, il risque d’y avoir ici incitation à la haine, alors que bien des jeunes des quartiers ont pris fait et cause pour la Palestine, y compris pour le Hamas, passant outre qu’il s’agit d’une organisation terroriste qui inculque l’antisémitisme aux Palestiniens. Les jeunes qui ont refusé la minute de silence dans les écoles de la République, lors des événements de janvier dernier, le justifiaient en expliquant que selon eux, on en faisait pas autant pour les morts palestiniens… A cette occasion, on a pu ainsi vérifier comment était directement importé dans notre pays ce conflit, justifiant en son nom le refus de condamner un acte terroriste criminel d’inspiration islamiste commis ici. Ce qui en dit long de la fracture de ces jeunes avec la France. On a vu depuis juillet 2014, les manifestations pro-palestiniennes dégénérées pour clamer en cœur des « mort aux juifs » agrémentées d’attaques de synagogues, ainsi que des « Allah Akbar », fait sans précédent.

On a vu depuis une vingtaine d’années s’affirmer ce phénomène qui fait que, globalement, il y ait tendance à ce que deux « communautés » s’identifient ici, aux deux autres qui s’affrontent là-bas. Le problème est donc extrêmement sensible et les maires, en choisissant l’un des camps là-bas, sont ressentis comme choisissant en fait une communauté ici. C’est-à-dire que non seulement ils divisent, mais en plus ils participent du risque de monter une communauté contre une autre. Ne pas vouloir voir ce danger, à omettre de se poser les bonnes questions, c’est prendre dans ces circonstances tous les risques.

En 2014, le tribunal administratif de Lyon avait imposé au maire de Vaulx-en-Velin de retirer le drapeau palestinien qu’il avait entendu hisser au fronton de la mairie. Selon le rapporteur public, et comme le soutenait le préfet, « il s’agit là d’une prise de position en matière de politique étrangère. Or, au regard de la jurisprudence, notamment du Conseil d’Etat, une telle prise de position méconnaît le principe de neutralité du service public reconnu par le Conseil constitutionnel et empiète illégalement sur les attributions de l’Etat auquel la constitution confie seul le soin de déterminer et d’exprimer la politique étrangère ».

On ne saurait aussi oublier que la mairie c’est avant tout la Maison commune, fondée à unir et non à encourager les divisions. Seul le drapeau de la République est censé flotter sur nos mairies, expression de la nation, de la communauté nationale et de l’intérêt général. Les mairies de France doivent jouer un rôle rassembleur et prévenir contre tout risque de mise à l’index d’une partie de la population au regard d’une autre. Le passé ne le dirait-il pas déjà assez fort dans nos mémoires ?

Quelles sont les conséquences de ce genre de choix politiques dans les "territoires perdus de la République" pour les populations juives notamment ?

Dans une cour d’école publique, combien de fois s’est rejoué ce schéma, poussant dans le sens d’une partition communautaire, étrangère aux règles qui régissent notre vivre ensemble, à la laïcité qui nous fait égaux en droit avant d’être différents, croyant ou non. Encore heureux que la loi du 15 mars 2004 interdise le port de signes religieux ostensibles dans l’école, sinon, on s’imagine le climat et les violences auxquelles nous aurions affaire, laissant le champ libre aux divisons manifestées à travers des signes religieux concurrents. Mais cette loi est sans doute arrivée trop tard, alors que les premiers voiles sont apparus dans l’école publique en juin 1989. 15 ans plus tôt, pendant lesquels il n’y a eu aucune pédagogie dans ce domaine. Le mal entre temps a été fait.

Il y a eu depuis une vingtaine d’année un mouvement de départ, de repli, pour les populations juives des quartiers, sous la pression d’un contexte où on a vu la multiplication des actes antisémites, qui ne cessent d’augmenter, dont une large majorité concerne des atteintes aux personnes. S’il ne faut pas laisser tourner les choses à la paranoïa, il s’agit d’un climat qui n’a pour autant rien d’un fantasme comme certains médias s’autorisent à le prétendre, ce qu’ils n’oseraient sans doute d’ailleurs jamais faire concernant les actes antimusulmans. Dans les écoles de la République, on a vu les enfants juifs progressivement partir vers le privé. Lors d’un échange avec des élèves d’un collège du Val-de-Marne, l’un d’entre eux en 6e témoignait du fait que, plusieurs enfants se présentant comme musulmans sont venus à demander à chacun sa religion, et de cacher qu’il était « d’origine juive » par crainte, pour se prétendre athée. Il préférait encore s’entendre dire que, ne pas avoir de religion ce n’était pas moral. Voilà où nous en sommes ! En réaction au fait que la mairie de Vaulx-en-Velin ait volontairement arborée le drapeau palestinien l’année passée, le CRIF expliquait que dans cette commune on était passé en quinze ans, de 250 familles juives qui y vivaient à 35 aujourd’hui. Constatant là ce qui est un échec terrible pour notre vivre ensemble.

Quelles explications peut-on avancer pour expliquer ces prises de positions politiques ? Répondent-elles à des stratégies électoralistes ou est-ce le fruit d’une idéologie ?

Ce parti pris qui utilise une mairie pour s’affirmer, s’inscrit dans le prolongement de choix politiques déjà largement connus, qui donnent lieu de la part de certains élus à une propagande clientéliste en direction des musulmans, pour tenter de se faire élire. Un exemple significatif en a été donné lors d’une des dernières campagnes électorales en Seine-Saint-Denis (juin 2012), lorsque M. Patrick Braouezec, alors député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse (actuel président de la communauté d’agglomération Plaine Commune, Seine-Saint-Denis), a diffusé une lettre au nom du Front de gauche, dans laquelle on trouvait mélangées la proposition d’abrogation de la loi du 11 octobre 2010 d’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, estimant que « la diversité de la population fait la force de la nation française et de nos villes » (sic !), avec la défense de la cause palestinienne, sur le thème de la lutte contre l’islamophobie ! Un mélange qu’on peut comprendre comme explosif, à être utilisé comme instrument de campagne politique bien loin d’une République impartiale. Le maire, l’élu, quel que soit son bord politique, n’est jamais que le locataire temporaire dune fonction républicaine, d’une mairie de la France qui doit rester ouverte à tous sous le signe de cette belle devise : « Liberté-égalité- fraternité ».

Peut-on régler ces tensions françaises qui s’appuient sur ce conflit ? Quels sont les moyens dont dispose la République ?

Pour faire redescendre les tensions sur ce sujet dans notre pays, il faudrait sans doute que les élus qui soutiennent l‘idée de la reconnaissance d’un Etat palestinien fassent preuve de la plus grande fermeté quant à leur rôle de rassembleur de tous ceux qui vivent sur le territoire civique de leurs communes, en y dénonçant tout parti pris autant que de n’y reconnaitre que des citoyens. C’est la seule façon d’indiquer sans ambiguïté que l’on ne saurait reproduire en France un conflit qui concerne une situation internationale dont aucun membre de notre communauté nationale n’est directement responsable, quels que soient les soutiens aux uns ou aux autres. Il faut sortir du discrédit qui pèsent sur les valeurs républicaines en raison de confusions et de malentendus qui conduisent à l’éclatement multicommunautaire de notre société, qui l’affaiblit et laisse le champ libre à tous les retours en arrière, y compris sociaux dont tous sortiront perdant. Ce qui devrait faire réfléchir d’ailleurs certains à gauche.

Le conflit israélo-palestinien relaie une confusion déjà largement entretenue entre politique et religion que notre laïcité républicaine a su dépasser pour choisir la mixité et le mélange, et qui est ramenée aujourd’hui au centre des débats par le biais de conflits où la question religieuse a pris le pas sur tout le reste, ce qui est un piège. Aussi, aller dans ce sens, c’est encourager encore des malentendus, sous le signe d’une ghettoïsation renforcée par un communautarisme dont les prêcheurs identifient les difficultés sociales avec la seule cause des discriminations liées à la religion, encourageant un rejet de la République voire une haine de celle-ci. Ce qui est, ni plus ni moins, que le terreau de la radicalisation.

Mahmoud Abbas s’est exprimé lors de la cérémonie où a été hissé le drapeau palestinien à l’ONU : "La Palestine, qui est un Etat observateur non membre des Nations unies, mérite d’être reconnue comme un Etat à part entière", a-t-il déclaré, évoquant "les énormes sacrifices" consentis par les Palestiniens. Un Etat palestinien ? Mais il n’y a pas à ce jour d’Etat palestinien tangible, car s’il n’y avait pas le confit avec Israël qui justifie le « tous contre un », les factions palestiniennes, Fatah, Hamas et autres djihadistes s’entretueraient.

On nous dit qu’il faudrait attendre l’arrivée au pouvoir de nouvelles générations de dirigeants politiques avec un autre cadre mental, pour qu’il y ait espoir d’un règlement de ce conflit qui ne cesse de s’enliser. Mais en réalité, ce conflit ne trouvera aucune issue s’il reste religieux, car c’est l’unique point de vue politique qui peut l’emporter avec la prise de distance qu’il est seul à permettre, résonnant avant tout de l’intérêt des peuples et non de croyants de diverses religions, car comme peuples, ils ont les mêmes intérêts. Aussi, la défense d’un Etat laïque, comme le souhaitait Arafat, dans le prolongement du nationalisme arabe d’un Nasser, est bien la seule voie, où ce sera toujours la guerre d’un dieu contre un dieu ! Cette voie laïque a malheureusement perdu pour l’instant la bataille devant l’histoire face à un religieux s‘arrogeant le pouvoir politique, ce qui a toujours, partout et en tous temps, amené à la guerre, et à une guerre souvent fratricide, entre autres, entre catholiques et protestants en Europe, et entre sunnites et chiites ailleurs.

Un règlement politique de la question palestinienne est le préalable à toute avancée significative, et l’argument de vouloir initier un Etat palestinien laïque, c’est-à-dire un Etat droit et donc, un Etat qui tire sa légitimité non d’un dieu mais des hommes réunis en peuple, est bien la vraie garantie d’une paix durable avec Israël. C’est peut-être bien le levier qui pourrait tout faire bouger, si on veut vraiment la paix. De la Seine-Saint-Denis à Ramallah et Jérusalem, c’est bien l’universalité de la laïcité qui peut faire gagner les peuples !"

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