Note de lecture

F. de la Morena : Lutter contre "l’inculture laïque"

par Patrick Kessel, Président du Comité Laïcité République. 25 juin 2016

Frédérique de la Morena, Les Frontières de la laïcité, Ed. LGDJ, 176 pp, 24 e.

Il est des livres petits par leur taille mais indispensables dans la bibliothèque d’un militant laïque. Les frontières de la laïcité de Frédérique de la Morena, maître de conférences en droit public à l’université Toulouse 1 Capitole, est de ceux-là, qui clarifie les enjeux au moment où tant de voix s’élèvent pour vider la laïcité de son contenu.

Car entre ceux qui, depuis des années, prétendent "toiletter" la loi de 1905 pour la moderniser au prétexte de l’"ouvrir" aux différences et ceux qui veulent la réduire à une simple tolérance religieuse, il faut bien convenir que les adversaires de la Loi de séparation des églises et de l’Etat sont nombreux. Sans compter qu’au sein de la famille laïque, un débat oppose ceux qui veulent absolument cantonner la laïcité au seul service public et ceux qui estiment qu’il convient d’élargir son corollaire, le principe de neutralité, à certains secteurs relevant du droit privé. A ceux qui dénoncent a priori comme "liberticide" toute évolution législative nécessaire lorsque les règlement ne suffisent pas, l’auteur rappelle que "légiférer n’est pas forcément interdire ; ce peut être aussi préciser une liberté, en fixer les contours, les limites pour en garantir d’autres".

Le grand intérêt du livre est qu’il constitue d’abord un outil de qualité pour lutter contre "l’inculture laïque" bien plus répandue que l’inculture religieuse, écrit Catherine Kintzler dans une préface, elle aussi, courte mais percutante. Il s’attaque à lever la confusion sur le terme même de laïcité qui tient à une double polarité, éthique et juridique, confusion qui pèse sur les modalités de sa mise en oeuvre. Il souligne la dilution du principe de laïcité dans des applications dérogatoires, des contournements, des détournements, réalisés au nom d’intérêts publics locaux, en faveur d’associations culturelles, souvent faux-nez d’associations cultuelles. Il montre combien le désengagement de l’Etat sous forme d’émiettements territoriaux particuliers, dérogations ouvertement avouées et justifiées au plus haut niveau juridique, contribue grandement à la fragilisation de la laïcité. Et cela dans une "sorte d’omerta" politique qui aboutit à "démanteler ce principe républicain fondamental", comme l’écrit Catherine Kintzler.

Comme le rappelle Frédérique de la Morena, la laïcité "est d’abord une question politique puisqu’il s’agit d’assurer une souveraineté propre de l’Etat, condition historique de l’autonomie des individus, capables d’utiliser librement leur raison". Si la République laïque n’est pas hostile à l’expression sociale des religions, "elle exige d’elles la renonciation à leurs prétentions politiques". L’actualité témoigne que l’interventionnisme du religieux dans le politique est loin d’être une vue de l’esprit et qu’en France, même sous des formes adoucies, la guerre contre l’école laïque est loin d’être achevée, ainsi que le démontre par ailleurs le livre de Guy Georges et Alain Azouvi La guerre scolaire (Max Millo).

Ceux qui prétendent "moderniser" la laïcité veulent surtout oublier qu’elle est "un combat contre le dogmatisme et le cléricalisme qui réapparaissent dès qu’un groupe particulier, une minorité, une communauté tente d’imposer ses intérêts, ses convictions, ses différences à l’ensemble de la nation", écrit encore l’auteur.

Un ouvrage rigoureux pour armer ceux qui entendent promouvoir la laïcité, enjeu de notre temps et probablement des prochaines échéances électorales.

Patrick Kessel



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