Revue de presse

"Expliquer, c’est excuser" (H. Glevarec, liberation.fr , 24 jan. 16)

par Hervé Glevarec, Directeur de recherches au CNRS. 26 janvier 2016

"Appréhender les actes par la position sociale des individus, en l’occurrence dominée ou stigmatisée, exclut le fait qu’une action puisse avoir une intention morale. La responsabilité individuelle relève-t-elle aussi de la recherche en sociologie ?

Manuel Valls déclarait, le 25 novembre 2015, à l’Assemblée nationale, à propos des auteurs des attentats commis à Paris : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé. »

En réponse, le sociologue Bernard Lahire déclare dans Libération que : « Tout le monde trouverait ridicule de dire qu’en étudiant les phénomènes climatiques, les chercheurs se rendent complices des tempêtes meurtrières » [1]. De leur côté, Frédéric Lebaron, Fanny Jedlicki et Laurent Willemez se demandent ce qu’on aurait pensé si Manuel Valls avait dit : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des explications géologiques aux tremblements de terre » [2].

Ce faisant, ils supposent établi le lien entre la sociologie et l’explication d’actes comme des attentats. Or, qu’aurait-on pensé si Manuel Valls avait dit « j’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des explications sociologiques aux actes meurtriers alors que cela relève de la psychologie » ? Une véritable question est soulevée, on le voit, qui est une question d’épistémologie de la sociologie et de rapport de la sociologie à l’explication.

Expliquer, c’est donner la cause et énoncer les déterminations. De fait l’explication exclut la question de la signification morale d’un acte. Elle exclut la prise en considération de l’intentionnalité et donc de la morale. C’est ainsi que le sociologue Lahire se met du côté de l’explication quand il déclare que : « La responsabilité individuelle est une question morale ou juridique, pas une notion scientifiquement pertinente » (le Monde des livres, 8 janvier). Pour le sociologue qui « explique » et non qui « comprend », la responsabilité individuelle n’est pas pertinente. Il nous semble au contraire que la « responsabilité individuelle » est une notion qui relève tout à fait de la recherche sociologique.

La sociologie excuse chaque fois qu’elle est déterministe, affirme par exemple des vérités structurales sur la société comme « les états de domination, c’est-à-dire le produit cristallisé des relations de pouvoir et des luttes passées, se présentent comme des états de faits ». Une telle sociologie affirme qu’il y a une structure objective, déterministe et explicative des actions individuelles. Elle explique les actes par la position sociale des individus, en l’occurrence dominée ou stigmatisée. Une telle sociologie de la détermination des actes et des pensées des individus se réfute elle-même puisque défendre une sociologie de la détermination est une façon socialement déterminée de concevoir la sociologie.

Expliquer de façon déterminante exclut le fait qu’une action prend une signification pour un individu.

A l’inverse de l’explication, la compréhension d’un acte via sa signification n’exclut ni le libre arbitre, ni la morale. La valeur morale de l’acte fait partie du sens visé par l’individu : il peut vouloir faire le mal, transgresser, terroriser. Et on doit supposer qu’un individu sait ce qu’il fait. On ne fait que retrouver là ce que disait le sociologue Max Weber dans Economie et Société définissant la sociologie comme une « science qui s’occupe du sens de l’activité » pour les individus.

Oui, expliquer, c’est excuser, c’est comprendre qui n’est pas excuser. Non l’explication n’est pas toute la sociologie, il y a une sociologie qui restitue ou qualifie le sens des activités, et cette sociologie n’excuse rien du sens immoral éventuel des actions."

Lire "Expliquer, c’est excuser" :

[1Libération du 13 janvier.

[2lemonde.fr 14 décembre 2015.


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