Revue de presse

"Excusez-moi de vous demander pardon" (L. Le Vaillant, Libération, 9 jan. 18)

21 janvier 2018

"[...] 1) Le pilote de F1, Lewis Hamilton, se moque de la robe de princesse reçue pour Noël par son neveu. Il poste la vidéo de cette scène familiale et déclenche une forte réprobation gender. Vite, il doit passer la marche arrière et déclarer : « J’ai réalisé que mes propos étaient inappropriés. Je n’avais pas l’intention de faire du mal, ni de blesser quiconque. J’aime que mon neveu se sente libre de s’exprimer à sa guise. »

2) Le footballeur Antoine Griezmann veut rendre hommage aux basketteurs des Harlem Globetrotters. Il se déguise et se peint le visage en noir, reprenant sans le savoir la tradition américaine du « blackface », pointée comme discriminante. Devant l’impossibilité de manifester sa bonne foi, il se replie en défense et admet : « Je reconnais que c’est maladroit de ma part. Si j’ai blessé certaines personnes, je m’en excuse. » Remarquez comment le verbe « blesser » revient facilement, comme si tout désormais mordait jusqu’au dernier sang.

Entendons-nous bien ! Ce qui m’intéresse n’est pas de décider si Hamilton est machiste ou Griezmann raciste. Si vous voulez savoir, et je sais que vous voulez savoir, je pense qu’on leur fait un procès exagéré qui frise le ridicule. Ces modèles sportifs qui ne prétendent pas à l’exemplarité servent d’objets transitionnels pour des combats estimables qui parfois se dévoient dans un opportunisme vachard. Tous les moyens sont bons pour faire avancer la cause, et tant pis si ça fait du dégât. Mais c’est la rançon de la surexposition de l’intime dont les connus font désormais commerce.

Derrière ce culte de l’excuse, se cachent trois évolutions à la fois bluffantes et fatigantes, anodines et décisives.

L’hypersensibilité généralisée.

Nous sommes en train de devenir de pauvres petites choses mugissantes qui s’indignent de tout et de rien et veulent que leurs difficultés réelles ou imaginées soient de première nécessité. Nous professons un amour universel englobant l’ensemble de la création pour mieux cacher nos récriminations personnelles. L’heure est à la plainte et à l’explication. Le hautain et courageux « Never explain. Never complain », des reines d’Angleterre est tombé plus bas que terre.

La rééducation permanente.

Une nouvelle pédagogie s’impose. C’est le contrôle continu de chacun par tous. Les maîtres anciens ont définitivement chuté de l’estrade, et c’est tant mieux. Mais le peuple numérique a repris la badine. Il est multiple et convergent comme un vol de frelons, nébuleux et précipité comme une pluie d’orage. La pression sociale n’a jamais été aussi grotesque, difforme, désordonnée. Avant, c’était compression, déviation, interdiction. Maintenant, on passe à exhibition, rétorsion, fausse réconciliation. Et comme le barème de notation est aussi mal défini que l’étalonnage du buzzomètre, les élèves que nous sommes redevenus ne savent plus bien pourquoi on leur tape sur les doigts. [...]"

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