Revue de presse

Éric Zemmour : « Désagrégation française » (lefigaro.fr , 8 juil. 20)

A propos de "La France en récits" d’Yves Charles Zarka (dir.), Puf. 17 août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Yves Charles Zarka (dir.), La France en récits, Puf, 840 pages, 35 €.

"CHRONIQUE - La France vue à travers d’innombrables récits sur elle. Une France à la fois une et diverse. Obsédée par son unité car toujours en danger de dislocation. Plus que jamais.

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On se souvient des Lieux de mémoire de Pierre Nora. On se souvient aussi de l’histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron. La revue Cités, pour fêter son vingtième anniversaire, a demandé à son patron, Yves Charles Zarka, et à une armada de soixante historiens, intellectuels et chercheurs, de renouveler le genre, à travers une mise en récits de la France. Pas difficile quand on aborde les thèmes classiques : vie quotidienne, langue, sensibilité, goût, etc. Plus complexe quand on aborde le sujet qui fâche : la guerre des mémoires.

C’est le thème de la troisième partie du recueil. Partie que son « coordinateur scientifique », Jacques de Saint Victor, tente de cadrer dès l’introduction en rejetant dans un même opprobre toutes les « dérives identitaires » : celle des indigénistes et décoloniaux, bien sûr, mais aussi, en face, ceux qu’il qualifie d’« ultras en appelant désormais à la défense de l’hétérosexuel catholique blanc ». Cette fallacieuse équivalence est à la mode dans les milieux autoproclamés « républicains ». On ignorait que le général de Gaulle fût un « ultra-identitaire » lorsqu’il confiait à Peyrefitte : « Nous sommes avant tout un peuple de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-romaine. » Le paradoxe est que le même Saint Victor nous donne la clé historique pour ouvrir la porte qu’il a fermée à double tour.

Dans un autre texte fort brillant, il relate la grande querelle qui a envenimé les deux derniers siècles de l’Ancien Régime : celle des germanistes et des romanistes. Pour faire court, on dira que les germanistes autour de Boulainvilliers considèrent que la noblesse descend des guerriers francs de Clovis, tandis que le tiers-état est l’héritier de ces Gallo-Romains vaincus et conquis. Ce « droit de conquête » explique les privilèges des uns sur les autres. Au début de la Révolution, Sieyès sonne la révolte des vaincus gallo-romains du tiers-état et renvoie les « Francs » dans « leurs forêts de Franconie ». Bientôt, les aristocrates devront s’exécuter, entre l’exil et la guillotine. Au XIXe siècle, les historiens bourgeois, Augustin Thierry et Guizot, ressuscitent cette grille de lecture. Karl Marx les lit et transforme la lutte des races en lutte des classes. Près de deux siècles plus tard, avoue Saint Victor, dépité, le marxisme finissant accouche à force de déconstruction universitaire d’une nouvelle guerre des races entre « Noirs » et « Blancs », entre « racisés » et « racistes », entre « descendants d’esclaves » et descendants de colonialistes. Retour à la case départ.

Les Français se sont épuisés à rejouer la scène fondatrice de la Révolution française. Michelet contre Taine. Gauche contre droite. Jaurès écrit : « Je suis avec Robespierre et c’est à côté de lui que je vais m’asseoir au club des Jacobins. » Et Tocqueville s’alarme : la France est « la plus brillante et la plus dangereuse des nations d’Europe ».

Mais, après la guerre de 1914, le peuple français, « apte à tout, mais n’excellant que dans l’art de la guerre » (Tocqueville), se convertit au pacifisme. Et du pacifisme à la couardise, il n’y a qu’un pas. Surtout quand le récit national glorieux est corrodé puis recouvert par une série de récits de « minorités » qui ressassent un passé qui ne passe pas.

Il y a d’abord les récits protestants, entre complexe victimaire (Saint-Barthélemy et dragonnades) et complexe de supériorité (« instituteurs de la nation » qui jugeront avec une joie mauvaise la défaite de 1870).

Puis les récits juifs centrés autour de l’affaire Dreyfus et surtout de la « Shoah ». Pierre Birnbaum se charge de nous rappeler la doxa paxtonienne, endossée par nos présidents depuis le fameux discours de Chirac en 1995. Récit glorifié par Birnbaum alors même qu’il a délégitimé tout à la fois la geste gaullienne et la capacité de l’État, consubstantielle de son devoir de protection de son peuple, à distinguer entre les Français et les étrangers, sans oublier l’exaltation devenue systématique de la figure de la victime, que toutes les « minorités » s’empressent d’endosser au détriment d’une majorité silencieuse « pétainisée ».

On ne tarde pas à voir cette boîte de Pandore ouverte avec les récits musulmans. Il y a d’abord un texte d’une rare platitude de Benjamin Stora, dont on ne sait jamais, à le lire, s’il est un historien français de la guerre d’Algérie, ou un historien algérien, chargé d’inculquer de gré ou de force à des « Gaulois réfractaires » le regard du FLN sur la colonisation française.

Puis, on doit subir la logorrhée larmoyante de Farhad Khosrokhavar, qui nous décrit l’« aliénation culturelle » des « classes moyennes d’origine immigrée ». Selon lui, le problème est cette maudite laïcité française qui les « fait souffrir » et les « stigmatise », alors qu’elle n’avait pas du tout fait souffrir les vagues précédentes d’immigrés polonais et italiens que les Français d’alors trouvaient « trop catholiques ».

Calimero-Khosrokhavar nous dit que la France est trop injuste, car elle a réduit les contraintes de la laïcité pour les homosexuels et les femmes, voire les malentendants, mais qu’elle s’acharne sur les pauvres musulmans. On ne savait pas que l’homosexualité ou les femmes étaient une religion.

On comprend mieux l’arrière-plan de cette complainte lorsqu’on lit le texte suivant de Bernard Rougier qui décortique le travail opiniâtre des Frères musulmans, salafistes et djihadistes, chacun avec une tâche distincte, mais un objectif commun : « l’affirmation islamique de type communautaire utilisant toutes les ressources de la démocratie libérale pour mieux en rejeter la dimension républicaine (la nation comme héritage indivis et acceptation d’un récit commun) ».

On a à peine le temps de s’apitoyer sur les mémoires ouvrières détruites par la désindustrialisation, folklorisées et muséifiées ; et les mémoires paysannes qui n’ont même pas l’honneur d’une évocation.

On est arrivé au bout du chemin. Isabelle Barberis nous décrit notre avenir programmé : « Les récits de la déconstruction sont devenus hégémoniques dans les arts, le monde intellectuel - jusqu’au point culminant de l’absorption de la transgression dans l’ordre dominant, très bien incarné par Emmanuel Macron. » Elle répond au discours de Bisounours de Thomas Branthôme, qui rêvait avant elle d’une « convergence des luttes » : « … Quoi de moins collectif que l’intersectionalité, c’est-à-dire l’allégeance à la communauté ethnique, raciale, sexuelle, sommée de passer avant les idées politiques ? »

On croit entendre le rire sarcastique de Boulainvilliers : « Il y a deux races dans ce pays. »"

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