Revue de presse

"Enseigner les religions, oui, mais..." (J.-P. Brighelli, lepoint.fr , 12 nov. 14)

Jean-Paul Brighelli, enseignant, essayiste, auteur notamment de "La Fabrique du crétin" (Gawsewitch, 2005) 12 novembre 2014

"Esther Benbassa, sénatrice EELV, propose aujourd’hui une augmentation notable du temps scolaire consacré à l’étude des religions. Sans arrière-pensées, bien sûr...

Esther Benbassa est turco-israélo-française. Trois nationalités, et une seule conviction : défendre les droits apparemment malmenés des minorités. Voici qu’elle plaide, avec Jean-René Lecerf (UMP), pour l’établissement d’un recensement ethnique, un renforcement significatif de l’horaire consacré en classe à l’apprentissage des religions et la possibilité, dans les affaires de discrimination raciale ou religieuse, de plaintes collectives, à l’image des class actions américaines. Telles sont les conclusions d’un rapport sur les discriminations qui a déjà fait couler beaucoup de salive, la semaine dernière, au palais du Luxembourg.

Comme le souligne le Comité laïcité république, tout cela "relève d’une logique communautariste", et s’inscrit dans la logique des rapports remis l’année dernière à Jean-Marc Ayrault. Ils avaient alors été rejetés par le Premier ministre, mais avaient cependant été diffusés via le site officiel de Matignon.

Enseigner ou non les religions à l’école ?

Cela se fait déjà, c’est inscrit dans les programmes de sixième et de cinquième, aussi bien en histoire (où l’on évoque les divers monothéismes en relation avec les faits - l’islam par rapport à la conquête des VIIe-VIIIe siècles, par exemple) qu’en français, où l’on est censé étudier des passages des grands livres.

On peut toujours modifier un programme ; encore faut-il bien voir au nom de quoi on le fait. S’il s’agit, comme pour Mme Benbassa, de transformer les enseignants en zélateurs involontaires des divers fanatismes en cours, je ne marche pas. Parce que mon souci d’enseignant, c’est d’ouvrir les élèves à la culture française - à cette culture nécessairement bourgeoise (ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est Marx, que Mme Benbassa devrait relire) - parce qu’elle est culture dominante.
Mon souci, surtout avec des élèves, comme on dit poliment, "issus de la diversité", c’est justement de les amener à comprendre cette culture si éloignée de leurs habitudes. Mon souci (voilà que je fais des anaphores, comme un vulgaire François Hollande), c’est de les amener au Louvre et de leur donner les moyens de comprendre aussi bien L’Annonciation (Léonard de Vinci ou Lorenzo di Credi) que Judith et Holopherne (Jan Metsys), Le Jugement de Pâris (Watteau) ou la Diane au bain de Boucher.
Qui donc a dit "Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne" ? De Gaulle, bien sûr - et je laisse le lecteur curieux chercher la suite de la citation. Un programme, soucieux d’enseigner à toutes et à tous (tous, y compris les musulmans, les bouddhistes, les confucianistes, et j’en passe) la culture française enseignera les mythologies grecques et latines, et l’essentiel de l’Ancien et du Nouveau Testament. Non par bigoterie ou nostalgie du catéchisme, mais parce que les références des gens qu’ils fréquenteront, leur vie durant, sortent de cette histoire-là - parfois même sans qu’ils le sachent.

Statistiques ethniques

Quant aux statistiques ethniques qui pour Mme Benbassa sont une nécessité et une urgence (pourquoi faciliter le travail des futurs miliciens ?), elles sont une horreur : mes élèves sont français - je le leur dis quand bien même ils ne le savent pas.
Et je renvoie Mme Benbassa aux paroles essentielles que le comte de Clermont-Tonnerre adressait aux Juifs pour leur signifier la fin des ghettos, à l’aube de la Révolution : "Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus." Et deux siècles durant, les Juifs français ont eu pour premier souci de s’intégrer à la nation, y compris en participant à des banquets républicains qui faisaient la part belle aux charcutailles (lire sur ce sujet La République et le Cochon, de Pierre Birnbaum, Seuil, 2013).
Il a fallu Hitler pour que le sentiment communautariste israélite remonte à la surface : ce sont au fond les nazis qui ont réinventé le Juif, par réflexe d’autodéfense. Mais, que je sache, nous ne sommes pas en guerre, et l’objectif espéré, c’est justement d’unifier, de fondre en un ensemble homogène, si possible harmonieux, les populations si diverses qui constituent la France. Bref, de les ouvrir à la culture commune de la maison commune. Le rôle de l’école est d’inciter à la paix. Et je postulerais volontiers que toutes celles et tous ceux qui plaident pour le communautarise préparent, parfois sans le savoir, sans le vouloir, la guerre."

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