Revue de presse

En Grèce, "un coin de charia aux marges de l’Europe" (dna.fr , 13 déc. 14)

par Angélique Kourounis. 15 décembre 2014

"En vertu du traité de Lausanne de 1923 qui régla la situation des orthodoxes de Turquie et des musulmans de Grèce, la loi islamique est appliquée en toute légalité sur la population musulmane de Thrace occidentale, à la frontière turque. Selon leur confession, les citoyennes grecques n’y ont pas les mêmes droits.

Eminé Bouroudzi est une Pomaque – d’une population slave islamisée d’origine bulgare. Cette trentenaire blonde aux yeux bleus fait partie de la minorité musulmane installée dans les montagnes des Rhodopes, dans le nord-est de la Grèce. Une sorte de république théocratique puisque la loi islamique prévaut pour les musulmans de la région. Environ 150 000 âmes, toutes turcophones mais d’origines différentes, roms turques ou pomaques.

Ici, au terme du Traité de Lausanne signé il y a 90 ans entre la Grèce et la Turquie, toutes les questions familiales – mariage, divorce, éducation… – sont régies par la charia.

Eminé s’est ainsi mariée le plus légalement du monde à 13 ans. « Tu travailles dans les champs de tabac toute la journée et ta mère, ta tante ou ta cousine te disent : “Tu sais, la mère de ce garçon est venue nous parler, elle te trouve jolie, bonne ménagère, elle te voudrait comme belle-fille. Et puis tu partiras à la ville”. J’ai pensé à ma sœur que tout le monde disait finie car à 16 ans elle n’était pas mariée, et j’ai dit oui ».

Aujourd’hui, Eminé milite pour que les mariages dans la minorité soient interdits avant 18 ans « comme pour le reste de la population grecque ». [...]

Beaucoup de femmes portent le foulard et même le manteau, longue gabardine de couleur sombre qui cache leur corps. Eminé refuse. Fatmé, musulmane grecque d’origine turque, aussi. Professeur d’anglais divorcée et mère de deux enfants, elle se bat depuis quatre ans pour la garde de ses enfants.

La bataille est inégale : en tant que musulmane, elle ne peut avoir recours aux tribunaux civils comme n’importe quelle autre citoyenne du pays mais uniquement aux tribunaux religieux. « Ils vont me prendre mes enfants car la charia dit que ceux-ci vont au père en cas de divorce. A sept ans pour le garçon et neuf pour la fille ». Elle n’a aucun recours : « J’ai demandé au mufti de ma ville qu’il me donne les textes de loi pour que je puisse les lire et me défendre. Il a refusé et tous les muftis de la région aussi ». Son avocate interroge : « Comment est-il possible que soit en vigueur ici une loi qui ne l’est même pas en Turquie ? »

Il y a trois ans, les tribunaux grecs de première instance ont remis en cause la suprématie de la charia sur les lois nationales et européennes. Mais le Conseil d’Etat a cassé ce jugement l’année dernière.

Le gouvernement grec fait la sourde oreille : cette « exception » lui permet de désigner le mufti de la communauté et de contrôler des populations qu’il ne considère pas grecques à 100 %. Jusqu’en 1996, des barrières militaires les séparaient du reste de la population ; des laissez-passer étaient nécessaires pour venir ici.

Quant à la Turquie d’Erdogan, qui chapeaute la minorité, l’exception chez le voisin pourrait devenir la règle chez elle. Si ça marche en pays européen chrétien, pourquoi pas en terre ottomane ?"

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