Revue de presse

Foulard à l’école : "L’Etat doit légiférer. Clarté, fermeté, laïcité" (G. Salom, A. Seksig, Libération, 12 nov. 99)

Gaye Salom, directrice de l’association Elele ; Alain Seksig, instituteur ; directeur d’école primaire ; membres de la rédaction d’« Hommes et Migrations ». 14 novembre 1999

"Dans un point de vue publié par Libération (25 octobre 1999), Yves Sintomer nous dit qu’« une fois vérifié que le foulard islamique n’est pas imposé par les familles aux adolescentes, la répression n’a pas lieu d’être ». Comme s’il suffisait par exemple qu’un membre d’une secte s’affirme convaincu pour que le problème disparaisse. Le problème réside justement dans les convictions affichées par celles et ceux qui portent ou font porter le foulard dit islamique au sein de l’école publique. En outre, comment vérifier qu’il n’y a pas imposition quand on sait ­ notamment dans le cas de maltraitance à enfant ­ à quel point les victimes peuvent parfois faire leurs les références de leurs oppresseurs ? Au final, quelles significations donner au foulard et à l’obstination d’une petite minorité de le (faire) porter à l’école ?

1. Le foulard dit islamique ne représente pas la religion musulmane mais bien la volonté des intégristes de dicter leur loi aux musulmans de France et de s’imposer, dans les faits, comme interlocuteurs des pouvoirs publics, notamment à l’école. Si le foulard représentait l’islam, des milliers de jeunes musulmanes, de nationalité étrangère ou française, le porteraient depuis longtemps. Chacun sait que ce n’est pas le cas. Mais « il ne faut pas voir un intégriste derrière chaque musulman » nous fait-on souvent remarquer. Qui n’approuve une telle affirmation ? En réalité, le risque qu’on court à accepter le voile à l’école, c’est celui inverse, tout aussi problématique et dangereux, d’accepter de voir un acte de piété musulmane derrière chaque profession de foi intégriste.

2. Le foulard islamique est incontestablement une marque de discrimination des femmes, intolérable pour un pays de droit comme le nôtre, qui fait de l’égalité l’un des principes de base de sa République. Quoi qu’on pense par ailleurs des termes du débat, la République ne peut en même temps vouloir légiférer sur la parité et accepter, au sein de son école, l’image même de la réclusion de la femme. L’école laïque, ce lieu par excellence qui entend rassembler et élever (ce n’est pas un hasard si, dans ce lieu, l’enfant se nomme élève) ne peut tolérer, sauf à n’être plus elle-même, l’affirmation agressive d’identités religieuses extrémistes au nom desquelles on enferme ici, on tue ailleurs.

Le refus du foulard islamique c’est aussi la garantie pour chaque jeune fille de vivre sa foi dans son espace personnel sans être montrée du doigt.

3. On nous dit parfois : « On n’a pas le droit d’exclure ces jeunes filles de l’école. Prenons en compte leur intérêt d’abord ; l’école seule les émancipera sinon elles se tourneront vers les écoles coraniques. » En premier lieu, notons que, par leur attitude, ce sont d’abord ces jeunes filles qui s’excluent d’elles-mêmes ou leurs parents qui les y incitent, tandis que les enseignants ne cherchent qu’à exclure le foulard de la classe. Remarquons ensuite, qu’à notre connaissance, dans les établissements scolaires où le problème se pose, les jeunes filles ne sont pas privées d’instruction. C’est de la classe ou de l’établissement scolaire qu’elles sont exclues.

Dans le cas d’exclusion de l’établissement, proposition est faite aux intéressées de suivre des cours d’enseignement à distance. Sans doute s’agit-il d’un pis-aller mais non d’un enseignement au rabais ; le droit fondamental à l’instruction est respecté. Aux jeunes filles et à leurs parents de méditer sur les inconvénients qu’il y a à refuser de partager pleinement ce droit dans l’espace commun, stimulant et socialisant de la classe ainsi qu’à réfléchir sur l’avenir d’une femme voilée au plan de l’insertion professionnelle. Un droit qui ne peut s’exercer qu’aux risques et périls de leurs initiateurs et de leurs éventuels utilisateurs (nous ne doutons pas qu’ils resteraient infiniment minoritaires), tenus de respecter strictement les programmes scolaires officiels dans le cas d’établissements sous contrat d’association.

Enfin, lorsqu’on parle d’écoles coraniques (qui ne correspondent jamais qu’au catéchisme), c’est en réalité la perspective de création d’écoles privées musulmanes dont il est question. Or on peut ­ et c’est notre cas ­préférer l’école publique et laïque sans pour autant contester le droit à l’existence d’écoles privées telles qu’elles fonctionnent déjà pour les confessions catholique et juive.

4. Chacun sait bien que l’absence de règles livre une société ­et, partant, son école, ­à la loi de la jungle. A contrario, la volonté de faire respecter la loi empêcherait-elle toute discussion, tout dialogue ? Mais la fermeté n’est pas la fermeture ! Mieux, elle est certainement une condition de l’ouverture et du dialogue.

Au-delà des programmes scolaires qui intègrent la présentation des principales religions à travers le monde et l’histoire, il est des aspects négociables de la présence du religieux dans l’école. Ainsi, dans les cantines scolaires fréquentées par des élèves de confession musulmane ou juive, le choix est généralement possible entre viande de porc et un autre plat.

De même, le port discret d’insignes religieux discrets se conçoit : le fait de porter une petite croix, un Coran, une étoile de David au bout d’une chaîne autour du cou, entre peau et vêtement, est précisément la marque de l’intimité de la foi.

5. Soyons clairs : même si, dans la plupart des cas, nous ne pouvons pas leur donner la même signification que celle du foulard islamique, nous nous prononçons pour l’interdiction, à l’école, de tout signe religieux ostentatoire. De la kippa juive comme des autres, s’entend. Notons d’ailleurs que cet usage, pratiquement inexistant auparavant, s’est quelque peu développé depuis l’affaire des foulards, en 1989, Au demeurant, les rabbins orthodoxes du XIXe siècle, dont Samson-Raphaël Hirsch, fondateur de la première école privée juive, demandaient-ils à leurs élèves d’ôter leur kippa lors des cours d’instruction profane, expliquant que rien ne doit protéger devant le savoir et qu’il convient de se présenter à lui tête nue (1).

6. On nous dit parfois que nos positions pourraient faire le jeu de l’extrême droite. Mais les dénonciations régulières, dans la presse d’extrême droite, du travail des enseignants et des idéaux de l’école de la République d’une part, son soutien implicite, et parfois explicite, à certains mouvements ou régimes islamistes d’autre part, suffisent, s’il en était besoin, à la disqualifier définitivement sur ce terrain. N’oublions pas que Le Pen fut l’invité d’honneur de l’ambassade d’Iran à Paris lors des festivités marquant l’anniversaire de la Révolution islamique et qu’il a rencontré en Turquie le président du Parti islamiste de la Vertu. Le refus du foulard islamiste à l’école, en France est aussi solidairement lié au combat pour la démocratie, la liberté et la lutte anti-intégriste, notamment en Algérie.

7. Tout serait beaucoup plus clair, beaucoup plus simple, si une loi venait préciser la laïcité scolaire, ses exigences et ses modalités d’application. A fortiori à l’heure où tout le monde se réclame de la laïcité mais sans toujours lui donner le même sens ; jugeons-en, il n’est parfois jusqu’aux parents d’élèves voilées pour en appeler, sur les ondes, au respect de la laïcité ! La nécessité de légiférer en la matière, ­comme c’est déjà le cas en Turquie et en Tunisie, par exemple, où l’exhibition de tout signe religieux à l’école est explicitement interdit, se fait tous les jours plus nette. L’heure est venue d’entendre un discours politique de fermeté de la part de nos gouvernants, suivi d’une loi. S’appuyant sur cette loi, un travail d’information, le cas échéant de médiation, devrait être développé sur l’intégration et les valeurs républicaines, les droits et les devoirs de chacun.

C’est, nous semble-t-il, le sens général des propos tenus voici quelques mois par Mme Ségolène Royal, ministre de l’Enseignement scolaire (2). Nous voulons croire que c’est dans cette voie que persévérera le gouvernement.

(1) Cité par Alain Finkielkraut lors d’une réunion publique à la Mutualité, le 28 novembre 1989.

(2) Entretien à la Croix du 12 janvier 1999."

Lire "En acceptant le foulard à l’école, on risque de transformer chaque musulman en intégriste".



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