Revue de presse

"Elle est Mila" (L. Le Vaillant, liberation.fr , 21 juin 21)

Luc Le Vaillant, journaliste, chroniqueur à "Libération". 23 juin 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"J’aurais pu passer mon tour en faisant valoir que j’avais déjà donné de la voix, et bruyamment, en soutien à Mila, la lycéenne lesbienne cyber-harcelée pour avoir blasphémé [1]. J’aurais pu me rencogner dans ma déception de n’avoir pu la rencontrer pour un portrait et bouder l’actualité judiciaire qui cible quelques lampistes ahuris parmi la horde de ses persécuteurs. J’aurais pu transmettre le témoin à d’autres gens de gauche qui brillent par leur absence en défense de cette cause anticléricale fondamentale. J’aurais pu refiler le mistigri à certains de ces écolos et insoumis, féministes et gays qui se défaussent, trop occupés à cajoler barbus et voilées, pour se souvenir que toute religion est une calamité réactionnaire et que l’islam ne fait pas exception. J’aurais pu signifier à ces offusqués spasmodiques, qui font les dégoûtés devant la supposée vulgarité de Mila, qu’ils devraient plutôt se méfier des islamos radicaux qui lapident, défigurent à l’acide et décapitent. Pour une fois, j’aurais pu prendre la contre-allée et partir effeuiller le bouquet de fleurs galamment offert à Alice Coffin et à sa misandrie ou évaluer le coût des stilettos sanglants sponsorisés par Louboutin qu’aiguise désormais Assa Traoré pour piétiner les souliers à clous. Mais l’affaire Mila est cruciale et mérite qu’on y revienne, malgré le peu d’espoir qu’il me reste de convaincre.

Ce qui me plaît chez Mila, c’est qu’elle ne s’excuse pas. Elle ne se rachète pas une indulgence factice et une hypocrite tranquillité en se reniant. Elle ne souscrit pas à cet accommodement raisonnable et à cette tolérance niaiseuse dont profitent les obscurantistes pour éteindre les Lumières. Elle s’en voudrait presque d’avoir battu en retraite lors d’une ancienne apparition médiatique. Dans le témoignage qu’elle vient de publier [2], elle persiste, signe et garde le menton haut. Ses proches s’affolent de son côté tête de mule et la supplient de mettre un bémol à ses bravades parfois incontrôlées. A leur place, j’aurais sûrement les mêmes angoisses. Mais, je ne peux m’empêcher d’admirer cette tête brûlée qui n’a rien d’une tête de linotte. Son jeune âge et ses extravagances barrées ne l’empêchent pas de vertébrer son propos. Elle empoigne la religiosité et la remet à sa place, loin là-bas, au creux silencieux où s’agenouille qui veut. Elle le fait à sa façon, provocante et exaltée. Pour autant, elle ne cache pas ses coups de blues, ni ses déprimes. Mais elle fait face, trop fière pour abjurer et se mentir à elle-même. Elle est tout à fait Mila, avec ou sans hashtag #JeSuisMila.

Salman Rushdie avait 42 ans en 1989, quand l’imam Khomeiny lança une fatwa contre lui. Mila en avait 16 quand elle fut déscolarisée pour parer à la vindicte de lycéens abrutis. A l’image de l’auteur des Versets sataniques, sa mise sous protection est partie pour durer. A un âge où d’ordinaire l’on s’affronte à l’autorité, elle se surprend à soutenir les policiers qui veillent sur elle, tout en essayant de leur fausser compagnie pour vivre sa vie.

Rushdie avait contre lui l’Iran des mollahs. Les autorités françaises, elles, tentent de mettre Mila à couvert. Mais celle-ci affronte un ennemi autrement puissant car hétéroclite et incertain. La curée numérique qu’elle subit est erratique. Badine un moment, elle dérape dans l’ignoble l’instant suivant. Parfois, ses tourmenteurs ignorent avec quels loups ils hurlent. Souvent, ils s’en foutent, à moins que ça ne les émoustille. La levée de l’anonymat faciliterait les poursuites. Surtout, cela obligerait chacun à prendre conscience de sa haine grégaire et à assumer ses alliances indignes. Et cela n’entraverait ni le droit de s’exprimer à sa guise, ni celui de troller. Il reviendrait à chacun de prendre son risque, au lieu de se planquer derrière un pseudo.

La difficulté vient du fait que Mila et sa génération vivent par et pour les réseaux. En ligne, celle qui vient d’avoir 18 ans crée et s’affirme, socialise et drague. La liberté d’aller et de venir lui étant comptée, ce sont ses avatars qui permettent à la captive d’exulter. Le pire qui puisse lui arriver est que ses comptes soient à nouveau bloqués par des hébergeurs qui donnent des gages à la bienséance ambiante et cèdent aux habiletés tactiques des sales types de l’islam politique.

Mila a raison de renvoyer la France à ses lâchetés même si celles-ci découlent d’une incapacité à penser la cyber-mutation en cours. Il faut comprendre sa détresse face aux menaces recommencées de ceux qui promettent de « lui faire une Samuel Paty ». Il faut surtout saluer sa vitalité d’aventurière, sa liberté sexuelle qu’elle baigne en jacuzzi, ses photos corsées et ses maquillages outrés, ses tentatives chantantes et ses looks exagérés. Sans parler de ses amours de passage avec un transgenre d’origine musulmane, reparti comme il était venu."

Lire "Elle est Mila".

[1Libération, 3 février 2020.

[2Je suis le prix de votre liberté (Grasset).



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