Revue de presse

“Egoïsmes régionalistes” (T. Ferenczi, Le Monde, 24 août 07)

2007

"Il peut sembler étonnant que l’un des Etats les plus attachés à l’idée européenne, la Belgique, soit aussi l’un de ceux où s’affrontent avec le plus d’ardeur, au point de bloquer la formation du gouvernement, des communautarismes rivaux. Alors même qu’ils appellent à une solidarité accrue au sein de l’Union et pratiquent à l’égard de leurs partenaires européens les vertus requises d’ouverture, de tolérance, de compréhension, les dirigeants belges font preuve, entre eux, des dispositions exactement inverses, en se montrant incapables de s’entendre sur la répartition des pouvoirs entre Flamands et francophones.

Paradoxalement ils sont prêts à mettre en commun avec les responsables des pays voisins une grande partie de leurs compétences mais refusent d’appliquer ce principe à ceux de leurs compatriotes qui sont installés au-delà de la frontière linguistique. Ainsi, au moment où l’Europe tente d’harmoniser ses politiques dans des domaines aussi divers que le droit du travail, l’organisation de la justice, l’accueil des immigrés ou la circulation automobile, la Belgique, si elle écoutait sa partie flamande, choisirait à l’inverse, sur ces différents points, de donner plus de liberté à ses régions, au nom de la communautarisation.

L’acrimonie du dialogue belgo-belge est contraire à l’esprit de confiance mutuelle qui a rendu possible la construction européenne, mais elle peut aussi en expliquer l’affaiblissement. "La Belgique est à la croisée des chemins, écrivait, il y a quelques jours, le quotidien Le Soir (daté 14-15 août). L’idéal européen également. La solidarité a jusqu’ici été un ciment de l’Europe en construction. La mondialisation et les individualismes forcenés mettent ce principe à l’épreuve."

L’essor des revendications régionales n’est pas propre à la Belgique. En Grande-Bretagne, en Espagne, en Italie ou ailleurs, des provinces qui s’estiment étouffées par le carcan de l’Etat national aspirent à une plus grande autonomie par rapport au pouvoir central. Elles demandent le respect de leur identité et la reconnaissance de leurs droits. Dans certains cas, la révolte prend des formes violentes ; dans d’autres, elle s’en remet au processus démocratique.

La construction européenne a contribué à cette évolution : en mettant en cause les souverainetés nationales, elle a encouragé les dynamiques de régionalisation. Même si la perspective d’une "Europe des régions" a perdu du terrain, les logiques de décentralisation ont, dans de nombreux Etats, renforcé le poids des collectivités territoriales, au risque de favoriser les tentations autonomistes, sinon séparatistes.

On constate en particulier, dans plusieurs pays, que des régions riches rechignent désormais à payer pour les régions pauvres, en dépit de leur appartenance à une même nation. C’est le cas de la Flandre, dont la prospérité contraste avec le déclin de la Wallonie et qui n’entend pas débourser plus qu’elle ne doit pour l’entretien de la maison commune. C’est aussi le cas de la Catalogne, qui refuse d’être "exploitée" au profit des autres régions d’Espagne. En Italie, la Ligue du Nord demande que la mythique Padanie, censée rassembler les provinces de la vallée du Pô, cesse de financer les provinces du Sud. En Allemagne, la Bavière craint d’être lésée par le nouveau système d’assurance-maladie, qui prévoit un dispositif de péréquation. La partition de la Tchécoslovaquie et la sécession de la Slovénie s’expliquent aussi, en partie, par la dilution des liens de solidarité entre les régions prospères et les autres.

L’Union, par sa politique de cohésion, deuxième poste de son budget, tente d’atténuer les écarts entre les nantis et les démunis. Mais elle ne saurait empêcher la montée des égoïsmes territoriaux, dont l’effet pourrait être d’accroître les inégalités entre les citoyens européens.

Thomas Ferenczi"


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