Revue de presse

E. Zemmour : "Prêchi-prêcha Plenel" (lefigaro.fr , 1er oct. 14)

3 octobre 2014

"Quand Edwy Plenel cherche à imiter Zola, cela donne une oraison laborieuse à la gloire des musulmans. Bons sentiments et mépris de l’histoire sont au rendez-vous. Eric Zemmour est écrivain et journaliste. Il est l’un des éditorialistes du Figaro.

"Tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois (…), la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce." Edwy Plenel connaît fort bien cette célèbre ouverture de Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Il n’a pas su pourtant résister à la tentation. En pleine affaire Dreyfus, Émile Zola avait lancé un vigoureux plaidoyer « Pour les Juifs ». Plus d’un siècle plus tard, Edwy Plenel nous inflige une laborieuse oraison « Pour les musulmans ». Mais le goût de la posture a été plus fort que la crainte du ridicule ; et le prêche culpabilisateur plus fort que la réalité historique.
Car la situation des juifs de la fin du XIXe siècle n’a rien à voir avec celle des musulmans dans la France de 2014. Au-delà du fait évident que les violences antijuives d’aujourd’hui sur notre sol sont perpétrées pour la plupart par des musulmans, ils ne jouent pas du tout le même rôle dans l’imaginaire collectif français. À l’époque, le Juif incarne l’argent, la réussite indécente, la destruction par le capitalisme des solidarités traditionnelles, héritées du catholicisme. L’angoisse que suscite le musulman est tout autre, relève d’abord du nombre (« le grand remplacement »), de la violence (des islamistes) et des libertés (pour les femmes, les homosexuels, etc.).

Plenel n’a cure de ces distinctions. Le musulman qu’il défend est un être abstrait, ni soumis au Coran ni à une histoire  ; un individu qu’il imagine délié de son passé et de sa communauté. Un musulman imaginaire. L’Autre absolutisé, sanctifié, divinisé.

Plenel se réfère aux Réflexions sur la question juive pour affirmer que le musulman n’existe que dans le regard de l’islamophobe ; mais il n’a pas retenu que Sartre lui-même avait reconnu qu’il s’était trompé, que le Juif pouvait se définir par lui-même, par ses traditions, sa religion, ses héros. Le musulman aussi. Mais derrière le musulman, Plenel défend le Noir, le Rom, toutes les minorités.

Plenel, en homme de gauche à l’ancienne, veut nous faire croire que la fureur des « Français de souche » (expression à bannir) contre « les minorités » (l’inverse n’existe pas dans l’oraison de père Edwy) n’est qu’une guerre des pauvres machiavéliquement organisée par les riches pour qu’on les laisse s’engraisser en paix.

N’en déplaise à Plenel, l’idéologie de la diversité et du multiculturalisme qu’il défend n’a de succès qu’au sein de la gauche bourgeoise et morale, qui peut se protéger derrière les digicodes et les bonnes écoles. Mais Plenel s’en moque. À l’antique sagesse, « À Rome, fais comme les Romains », il a substitué une nouvelle règle : « À Rome, exige les mêmes droits que les Romains, mais ne fais surtout pas comme eux. » Demeure à jamais l’Autre, mais obtiens les droits que le Même a conquis au prix de siècles de luttes.

Plenel a l’intuition juste que les combats autour de la laïcité ne sont que des rideaux de fumée qui dissimulent la vraie question de fond, celle de l’assimilation. Confusément, une majorité de Français, de droite mais aussi de gauche, ne reprochent pas à de nombreux musulmans de ne pas respecter les règles de la laïcité (bien que l’islam ait toujours ignoré la séparation entre public et privé, entre État et religion) mais de refuser de s’assimiler, de ne pas donner des prénoms « français » (c’est-à-dire chrétiens) à leurs enfants, quand ils ne choisissent pas délibérément un vêtement qui les distinguent des occidentaux.

Plenel encourage avec véhémence les musulmans à « refuser résolument l’injonction néocoloniale d’assimilation qui entend contraindre une partie de nos compatriotes à s’effacer pour se dissoudre, à se blanchir en somme. Bref, qui ne les accepte que s’ils disparaissent ».

Plenel aura tout fait pour que les Français détestent de plus en plus les musulmans. Pour lui, cette question de l’assimilation est l’ultime trace de notre complexe de supériorité colonial. Il commet là sa plus grosse erreur.

L’assimilation est propre au génie français bien avant la colonisation. On francise les noms des artistes étrangers qui viennent à la Cour de Louis XIV ; on exige des cohortes d’Italiens, de Belges, de Polonais qui travaillent dans nos usines qu’ils fassent de même, qu’ils mangent comme nous, qu’ils traitent leurs femmes comme nous, qu’ils élèvent leurs enfants comme nous, qu’ils aiment nos grands écrivains et rient à nos blagues salaces.

Ce sont les classes populaires qui transmettent cet art de vivre à la française. Le grand historien Fernand Braudel leur rend hommage : « C’est l’assimilation qui a permis l’intégration sans douleurs de générations d’immigrés. » Non pas l’intégration à la place de l’assimilation, comme le croit Plenel. Mais l’assimilation pour réussir l’intégration. Et quand on se plaint des ratés de l’intégration, la clef est dans ce refus de l’assimilation vanté depuis des décennies par Plenel et ses amis.

Mais il faut creuser la question coloniale chère à Plenel : cela signifie que pour lui, comme pour d’autres, le Français, même sur son sol, sera toujours un colonisateur ; et le descendant des colonisés, une victime à vie. Or c’est justement l’Autre (l’immigré) refusant de devenir le Même qui a un comportement de colonisateur, tandis que le Même (le fameux « Français de souche ») fuyant sur son propre territoire, pour chercher un endroit où il se sente encore en France, éprouve la cruelle sensation d’être à son tour colonisé.

Fantastique renversement de perspective qui laisse de marbre Plenel. Lui qui entend poursuivre la lutte de Zola et des dreyfusards n’a pas lu le terrible ouvrage d’un historien franco-israélien, Simon Epstein, qui, listes de noms à l’appui, a démontré que la plupart des dreyfusards finirent leur carrière en 1940 dans la Collaboration, tandis que les anti-dreyfusards rejoignaient en rangs serrés la Résistance. C’est que les premiers, au-delà des premiers avocats du capitaine, les avaient rejoints par haine de l’armée et volonté d’abattre l’Église, internationalisme et pacifisme ; les seconds avaient été aveuglés par patriotisme et volonté de protéger l’armée. Un « paradoxe français » qui devrait faire réfléchir Edwy Plenel. S’il a le temps entre deux prêches.

« POUR LES MUSULMANS », Edwy Plenel, La Découverte, 130 p., 12 euros."

Lire "Prêchi-prêcha Plenel".


Lire aussi article 7856 (note du CLR).


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