Revue de presse

"Dix ans après les émeutes, l’islam irrigue la vie sociale des cités" (Le Monde, 30 oct. 15)

29 octobre 2015

"La religion est devenue un support de mobilisation collective en banlieue

Crainte d’un islam de plus en plus visible, peur du repli communautaire, montée en puissance de la menace djihadiste, crispations autour de la notion de laïcité… Depuis dix ans, le débat public s’est focalisé sur la religion musulmane et ses transformations, réelles ou supposées. Plus que jamais, dix ans après les émeutes urbaines de 2005, les jeunes des quartiers sont appréhendés sous le spectre de leur religiosité et du danger de la radicalisation.

Déjà, au sortir des émeutes, le philosophe Alain Finkielkraut avait assuré, dans le quotidien israélien Haaretz : " Il est clair que nous avons affaire à une révolte à caractère ethnico-religieux. " Ses propos avaient suscité un tollé et rien, dans les faits ni dans les analyses ultérieures, n’est venu accréditer cette thèse. Pour autant, l’élément religieux n’a pas été totalement étranger aux événements.

" Après la mort des deux jeunes de Clichy-sous-Bois, on était dans une flambée de violence classique qui retombait déjà. La goutte d’eau a été la grenade lacrymogène lancée sur la mosquée Bilal, de Clichy-sous-Bois, le 30 octobre, rappelle Alexandre Piettre, post-doctorant rattaché au Groupe sociétés, religions, laïcités de l’Ecole pratique des hautes études. Dès lors, les émeutes se sont propagées en France. " Pour le chercheur, " ce n’était pas du tout une révolte islamiste, mais quelque chose s’est joué en termes de support de mobilisation ".

Ce rôle de l’islam comme vecteur de l’action collective est peut-être l’une des évolutions les plus notablesdans les quartiers populaires ces vingt dernières années : " Le fait de partager une religion, donc des pratiques et une temporalité, permet de recréer un support d’action collective là où il n’y en avait plus, croit Alexandre Piettre. Il ne s’agit pas de se mobiliser au nom de l’islam, mais la religion joue un rôle de liant. "

Au-delà de sa dimension spirituelle, " dans les quartiers, l’islam fonctionne comme élément fédérateur et identitaire ", corrobore Patrick Simon, sociodémographe à l’Institut national d’études démographiques (INED). Ce phénomène accompagne la multiplication, dans les années 1990 et 2000, des lieux de culte – rompant avec un islam jusque-là refoulé dans l’espace intime – et le délitement des structures d’encadrement traditionnelles.

De nombreuses associations ont vu le jour localement pour porter des projets de salles de prière et elles ont investi les espaces délaissés : " C’est un islam banal de vie sociale, poursuit Patrick Simon. Les associations œuvrent à l’insertion à travers, par exemple, des activités d’éducation populaire. "

En plus de dispenser des cours d’arabe et d’enseigner le Coran, elles peuvent être actives dans des actions de solidarité, d’aide aux devoirs, voire de thérapie conjugale. Soit " un périmètre croissant ", estime le sociologue Etienne Pingaud. Dans un contexte où la focalisation sur l’islam a pris de l’ampleur, son corollaire, la lutte contre l’islamophobie, émerge : " On voit se développer des mobilisations de quartiers avec une coloration musulmane. Contre l’interdiction d’accompagner les sorties scolaires faite aux mamans voilées ou contre la fin des repas de substitution dans les cantines… "

En 2011, le politologue Gilles Kepel avait mis en lumière la présence accrue de l’islam dans une étude, " Banlieue de la République ", réalisée à partir d’observations de terrain à Clichy-sous-Bois et Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Il y évoquait notamment une fréquentation plus régulière des mosquées, une pratique presque systématique du ramadan pour les hommes, une conception plus extensive du halal… La thèse de Kepel d’une " affirmation de valeurs islamiques de clôture communautaire ", en rupture avec la République, est contestée par une partie des chercheurs. Mais son constat d’un islam plus prégnant et visible est unanimement partagé.

" Ce qui gagne en visibilité aujourd’hui, c’est un islam qui s’attache à déterminer ce qui est licite en matière de culte et, au-delà, dans les interactions sociales ", resitue Alexandre Piettre. Ce mouvement normatif va caractériser un revival, une forme de réislamisation chez certains jeunes. Il n’existe pas d’études quantitativistes mais l’enquête " Trajectoires et Origines " de l’INED (2008) a néanmoins établi que " ce sont les plus jeunes - les moins de 26 ans - qui se montrent les plus religieux parmi les musulmans, alors que c’est l’inverse pour les catholiques ". " Il y a clairement une progression d’un islam très ritualiste, voire rigoriste ", reprend Alexandre Piettre.

" C’est vrai qu’une pratique binaire de l’islam, salafi, s’est développée chez les jeunes des quartiers depuis dix ou quinze ans. C’est une pratique rigoureuse mais pas forcément radicale ", défend le sociologue Etienne Pingaud. C’est-à-dire qu’elle n’entraîne pas nécessairement l’idée d’une rupture avec la société environnante. En outre, elle demeure minoritaire.

" Si l’on doit décrire une mobilité chez les jeunes descendants d’immigrés par rapport à leurs parents, on observe plus une désaffection du religieux qu’une radicalisation, rappelle Patrick Simon. Ce qui n’est pas contradictoire avec l’émergence de petits cercles radicalisés. "L’enquête " Trajectoires et Origines " montre que le renforcement de la religiosité concerne 15 % des jeunes musulmans, tandis que 28 % s’estiment moins investis que leurs parents. La lame de fond, qui est à l’œuvre, est bien celle de la sécularisation.

D’après Alexandre Piettre, les deux phénomènes se font écho : " Le retour du religieux n’est possible que dans un contexte de sécularisation. " En effet, " ceux qui n’ont eu que des rudiments de socialisation religieuse dans leur famille ou les convertis veulent retrouver directement l’islam des origines afin de l’inscrire dans une réalité où il a perdu son évidence ". Le salafisme peut constituer, à cet égard, une entrée facile."

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