Revue de presse

"Diocèse de Fréjus-Toulon, des dérives locales à la sanction romaine" (La Croix, 14 juin 22)

14 juin 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La suspension par le Vatican des prochaines ordinations dans le Var sanctionne l’accueil de communautés aux dérives sectaires par l’évêque, Mgr Dominique Rey. De Toulon à Rome, La Croix a enquêté pendant une semaine sur une affaire hors norme.

Mikael Corre, à Toulon (Var), avec Loup Besmond de Senneville (à Rome).

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L’affaire suscite la colère dans le diocèse de Fréjus-Toulon : l’ordination prévue de quatre prêtres et six diacres le 26 juin n’aura pas lieu. Rome en a décidé ainsi, obligeant l’évêque, Mgr Dominique Rey, à annoncer lui-même la nouvelle, le 2 juin, trois semaines avant l’échéance. « Il n’y a pas d’autres informations », précise-t-il dans un courriel envoyé à ses prêtres, les invitant à se « réfugier dans la prière » et à ne pas parler aux journalistes. Selon nos informations, le Vatican lui demande depuis des années de réviser sa gestion des vocations dans son diocèse, qui compte plus de 300 prêtres et une vingtaine de communautés nouvelles. La tradition d’accueil est ancienne à Fréjus-Toulon, où les prédécesseurs de Mgr Rey avaient déjà offert l’hospitalité aux frères de Saint-Jean, à la communauté Saint-Martin, aux sœurs de Bethléem…

À Toulon depuis 2000, l’évêque, issu de la communauté de l’Emmanuel, s’est inspiré des protestants évangéliques américains pour insuffler dans son diocèse une véritable vitalité missionnaire. Entouré de catholiques charismatiques comme traditionnels, il fait preuve d’un dynamisme qui a longtemps impressionné à Rome. Mais il lui est aujourd’hui reproché de trop accueillir, quitte ensuite à sévir, comme cela a été le cas avec Thierry de Roucy (fondateur de Points-Cœur, coupable d’abus). [...]

Candidats inconnus

Rome s’inquiète notamment de l’ordination par Mgr Rey, ces dernières années, de nombreux séminaristes formés hors du diocèse et du contrôle de l’évêque. En témoignent les profils des quatre ordinants qui devaient devenir prêtres le 26 juin : deux franciscains italiens, membres d’une communauté traditionaliste fraîchement débarquée dans le village de Figanières ; un ancien de l’institut traditionaliste du Christ-Roi, affecté à l’officialité de Toulon ; et enfin un jeune Latino-Américain très apprécié à la paroisse de Saint-Cyr-sur-Mer.

Il est le seul des quatre à avoir suivi le séminaire de la Castille, à Toulon, après avoir commencé sa formation à Ciudad del Este, dans l’est du Paraguay, où les ordinations ont elles aussi été suspendues, en 2014, sur ordre de Rome. Accusé de malversations financières et d’avoir couvert des faits de pédocriminalité, l’évêque de Ciudad del Este, issu de l’Opus Dei, avait par la suite été démis de sa charge. Son séminaire avait été fermé.

« À chaque ordination, on voit arriver des candidats qu’on n’avait jamais vus »

Aujourd’hui, au moins quatre anciens séminaristes de ce diocèse sont en service à Toulon. « À chaque ordination dans le Var, on voit arriver des candidats qu’on n’avait jamais vus, raconte un prêtre toulonnais. Ils deviennent prêtres sans qu’on sache vraiment où ils ont été formés… s’ils l’ont vraiment été. » « On ne peut pas faire de généralités, nuance un autre prêtre du diocèse. Il y a des profils baroques, c’est vrai, mais pour certains, ça se passe très bien. Les autres… leur dossier termine à Rome. »

Formation insuffisante

Parmi ces dossiers figure celui de la fraternité Eucharistein, qui propose une vie communautaire centrée sur l’adoration du Saint-Sacrement. La communauté est depuis plus de dix ans sous la responsabilité de Mgr Rey, qui a approuvé en 2008 son statut de « famille ecclésiale diocésaine de vie consacrée ». Aujourd’hui, ses 40 membres vivent sur trois sites : Epinassey-en-Valais (Suisse), Saint-Jeoire (Haute-Savoie) et Château-Rima, près de Castellane.

Une visite canonique a été menée début 2021 par le dominicain Gilbert Narcisse et la laïque consacrée Mari Carmen Avila, de Regnum Christi (société de vie apostolique liée aux Légionnaires du Christ). Son rapport de 13 pages, que La Croix a pu consulter, révèle « un système pyramidal, abusif, infantilisant et qui a annulé les personnes dans les diverses dimensions de leur être, en particulier leur psychologie ». « Dès l’année prochaine, un programme de formation débutera pour nos membres afin de remédier aux déficiences constatées », explique à La Croix Cyrille Jacquot, à la tête de l’actuelle communauté. [...]

Un prêtre appartenant au Tiers-Ordre d’Eucharistein, ordonné en 2011 par Mgr Rey malgré les réserves de l’épiscopat suisse, a été formé à Fribourg (Suisse). Il a vécu seul pendant une dizaine d’années dans le Valais, à plus de 500 kilomètres de son évêque de tutelle, où il aurait pratiqué des pseudo-exorcismes assortis d’actes sexuels, selon plusieurs sources ayant eu accès au dossier. Le prêtre a ensuite été rapatrié dans le diocèse de Toulon, qui a compté jusqu’à huit exorcistes. « Des mesures conservatoires ont été prises » à son encontre par Mgr Rey, assure un bon connaisseur du dossier, qui a été transmis à Rome. « C’est une grande faiblesse de notre diocèse, soupire un prêtre varois. On laisse livrés à eux-mêmes des prêtres fragiles, issus de communautés dysfonctionnelles. Et on voit ce que ça donne. »

« Si vous dites à l’évêque qu’un séminariste est immature, il n’en tient pas compte »

Le jour de l’ordination en Suisse de ce prêtre lié à Eucharistein, Mgr Rey insistait : « Nous avons besoin de prêtres pour renouveler le monde. » Dans au moins deux situations que La Croix a pu vérifier, l’évêque de Toulon a procédé à des ordinations contre l’avis de ses proches collaborateurs. « Si vous dites à l’évêque qu’un séminariste est immature, il n’en tient pas compte, explique une source à Toulon. Il veut toujours plus de prêtres. »

D’autres dossiers toulonnais continuent d’arriver au Saint-Siège. Parmi les derniers, le procureur de la République à Toulon, Samuel Finielz, a confirmé à La Croix qu’une plainte avait été déposée pour agression sexuelle sur mineur contre un prêtre ordonné en 2010 par Mgr Rey. Ce clerc était passé par un monastère traditionaliste avant de rejoindre la communauté montante du diocèse de Toulon, symbole de la nouvelle évangélisation promue par l’évêque : « la Frat’ ». Ce dernier en a approuvé les statuts en 2018.

Cette « Fraternité missionnaire Marie mère des apôtres » a, selon son site Internet, « la vocation de bâtir ensemble des paroisses attractives, par une vie familiale et apostolique d’inspiration monastique ». Mais ces deux dernières années, plus d’une dizaine de témoignages sont remontés au diocèse. Selon quatre sources ayant eu accès au dossier, ils mettent en cause le responsable de la fraternité, le père Ludovic-Marie Margot, également à la tête de la paroisse de Solliès-Pont, où elle est implantée. Ils décrivent des situations graves, au sein de la communauté comme dans la paroisse : « dérives sectaires », « épuisement physique et psychique », « spiritualisation des problèmes » et « confusion des fors » (de l’intime et de la gestion de la communauté). Contacté, le père Margot n’a pas souhaité parler à La Croix.

Plusieurs signalements concernant le père Margot ont été transmis au procureur de la République, confirme à La Croix le parquet de Toulon, indiquant qu’une enquête préliminaire est en cours. En juin 2021, le prêtre a lui-même annoncé à ses paroissiens que des plaintes étaient remontées à son sujet. Dans sa déclaration, préparée avec les services de l’évêché, le père Margot a rendu publique sa mise sous tutelle pendant un an. [...]

Ancien commandant de police, le curé de la paroisse du Mourillon annonce la mise en place d’une meilleure « traçabilité » des prêtres venus d’ailleurs, souvent d’Amérique latine (consultation de leur casier judiciaire, échange avec leur diocèse d’origine), et le recrutement de deux juristes et d’un psychothérapeute chargés de faire le tour des nombreuses communautés nouvelles. Un protocole dans la gestion des abus sexuels et des dérives sectaires doit également être signé le 21 juin entre le diocèse et les procureurs de Toulon et Draguignan. [...]"

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