Revue de presse

"Des aéroports américains testent le « délit de bonne gueule »" (H. Crié-Wiesner, rue89.com , 24 jan. 13)

27 janvier 2013

"Depuis trois semaines, deux aéroports américains expérimentent « le délit de bonne gueule » aux portails de sécurité, pour pouvoir trier les passagers sans êtres taxés de discrimination négative. Objectif : rentabiliser équipements et personnels. A côté de ça, des voyageurs prudes ont réussi à faire interdire des scanners révélant leur intimité.

Ceux qui voyagent souvent en avion à l’intérieur des Etats-Unis connaissent la musique par cœur. Papiers en main, on entre dans une file qui débouche sur un premier contrôle, puis sur les tapis. Là, on empile valise et sac, souliers, ceinture, manteau, foulard, et, en évidence, le Ziploc contenant les mini récipients de liquides et crèmes, ainsi qu’ordinateur, tablette tactile ou liseuse sortis de leur étui.

Pendant l’examen des bagages, en chaussettes et pantalon tire-bouchonnant, on traverse un portail détecteur de métal ou un scanner anatomique. Pour ma part, j’évite le premier car mon squelette est truffé de broches et agrafes métalliques déclenchant des sonneries stridentes.

Je me résigne aux rayons X du second pour éviter la fastidieuse palpation manuelle. Rien à voir avec les contrôles en France ! Les agents américains ne touchent que les voyageurs du même sexe, et ils préviennent avant chaque mouvement :

« Attention, je vais poser ma main sous votre sein... entre vos jambes… Est-ce que c’est OK ? »

Ça prend un temps fou, et on n’a même pas le droit de rigoler.

Ces opérations destinées à minimiser les risques terroristes mobilisent des milliers d’agents, la plupart du temps en nombre insuffisant aux heures de pointe. Le stress des contrôleurs et des voyageurs est d’autant plus rageant que, dans 35 aéroports du territoire américain, une file contiguë tourne presque à vide même aux pires heures de la journée : la « PreCheck lane » (file des pré-enregistrés).

Cette file a été créée en octobre 2011 par la Transportation Security Administration (TSA, l’agence nationale américaine de sécurité dans les transports) pour laisser passer en contrôle allégé certains voyageurs – les « high-frequency travelers » – sélectionnés par les grandes compagnies aériennes. Même si ces privilégiés ne sont pas à l’abri d’un contrôle complet inopiné, ils gagnent en général un temps précieux en évitant les procédures.

La TSA veut rentabiliser davantage la file PreCheck, par laquelle ne transitent aujourd’hui que 5% des passagers, sans sacrifier à la sécurité.

Elle vient donc de mettre en place un « programme de détection comportementale » : les agents vont être formés à repérer les voyageurs ne présentant aucune menace pour la sécurité, qu’ils inviteront à passer dans la file rapide.

En langage policier, on appelle ça du « profiling » (profilage), et les connotations discriminatoires sont inévitables, même s’il s’agit de choisir des bons et non des méchants.

Aux Etats-Unis, les citoyens sont chatouilleux sur le sujet : leurs institutions ne peuvent être soupçonnée de discriminer qui que soit selon sa couleur, son ethnie, son sexe – voire son orientation sexuelle –, ou sa religion. Mais dans l’avion, hein ? Qui a envie de risquer l’explosion en vol ? Le 11 septembre est toujours dans les mémoires.

Le débat avait fait rage en janvier 2010 lorsque le gouvernement avait décidé que les ressortissants de quatorze pays (dont le Pakistan, l’Arabie saoudite et le Yemen) allaient désormais être scrutés à la loupe lors de leur entrée aux Etats-Unis. Idem pour les passagers ayant transité par ces pays. Antiracistes et défenseurs des libertés individuelles avaient poussé les hauts cris :

« Cette mesure signifie que nous allons appliquer un traitement différent aux gens en fonction de leur passeport ou de leur origine. »

A cette occasion, le New York Times avait interrogé plein de spécialistes : est-ce que le profilage est plus ou moins efficace qu’une autre méthode pour estimer la dangerosité des gens ?

Deux ans plus tard, une sérieuse polémique avait éclaté lorsque des officiers de la TSA ayant participé aux sessions de formation au profilage avaient publiquement dénoncé les biais de cette méthode : selon eux, ils allaient de fait être conduits à cibler non seulement les gens du Moyen-Orient, mais aussi les Noirs, les Latinos et d’autres minorités.

La protestation des agents avait été si violente que l’administration avait ouvert une enquête en août 2012, pour évaluer les pratiques en vigueur dans les aéroports du pays. Je n’ai malheureusement pas trouvé les résultats de cette investigation.

La question de la formation des agents profileurs se repose donc pour orienter des voyageurs au bon profil vers les files PreCheck. « Good guys » contre « bad guys » potentiels, gentils et méchants… Les agents des aéroports ont rarement un master en psychologie. Le New York Times marche sur des œufs en commentant la démarche de la TSA :

« Depuis plusieurs années, celle-ci cherche d’autres méthodes que l’auscultation physique complète des passagers, mécontents du système en place. Mais l’une de ces méthodes, basée sur la science des comportements, est très critiquée pour les biais raciaux et ethniques qu’elle contient.

D’autres critiques demandent si la TSA offre un entrainement suffisant à ses agents chargés de la détection comportementale. Ceux-ci reçoivent une formation de quatre jours, mais la TSA a annoncé récemment que le programme allait être renforcé. »

Curieusement, cette initiative récente de la TSA n’a pas soulevé les passions du public. Peut-être parce que, pour l’instant, il ne s’agit que d’une expérimentation en place dans deux aéroports, Indianapolis (Indiana) et Tempa (Floride).

De fait, une actualité aéroportuaire concomitante a éclipsé ce qui aurait pu générer un intéressant débat sur le « délit de bonne gueule » : le 18 janvier, la TSA a piteusement annoncé qu’elle allait enlever tous les scanners corporels fonctionnant aux rayons X – 174 au total – parce qu’ils fournissaient une image trop précise des corps des passagers.

Depuis que ces machines sont en place, les protestations n’ont jamais cessé contre « les atteintes à l’intimité » qu’elles induisent. Il faut admettre que les images sont révélatrices ! La TSA avait beau expliquer que les photos n’étaient pas stockées, qu’elles étaient vues uniquement par un agent sans contact avec le passager, le Congrès a ordonné à la TSA d’en finir.

Quand on sait que même des faibles doses de radioactivité peuvent avoir un impact sur la santé, cette décision est sage. La TSA va devoir commander davantage de scanners à ondes milimétriques, déjà en activité, qui ne montrent pas le corps en détail mais un simple avatar de celui-ci.

Résumons : gentils ou méchants, tous les passagers continueront à passer sous des portails de sécurité ou dans des scanners. Simplement, les premiers seront exemptés de déshabillage et de déballage. Tout ça pour ça ? C’est vrai, ça ne vaut pas un débat national !"

Lire "Des aéroports américains testent le « délit de bonne gueule »".


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