Tribune libre

Démystifier le discours des islamistes sur le voile (K. Slougui)

Khaled Slougui, président de l’association Turquoise Freedom. 6 mars 2016

La décision du tribunal administratif d’Amiens annulant une directive émanant de l’inspection académique qui date de décembre 2013 et qui interdisait aux mamans de Méru portant le voile d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires [1], constitue une régression insupportable qui fera date dans l’histoire de l’école de la République.

Le voile a été sorti de l’école par la porte grâce à la loi de 2004 sur les signes religieux, le voila qui revient par la fenêtre. L’on s’attendait à ce que les islamistes réagissent en remettant la question sur le tapis, nonobstant une stratégie de victimisation bien rôdée, avec pour objectif de semer le doute et la confusion parmi les décideurs. A tout le moins, leur détermination, leur ténacité, leur acharnement à défaire l’école républicaine commenceraient-ils à payer ?

En effet, voir des responsables de l’éducation nationale céder à la revendication des mères voilées de pouvoir accompagner les sorties scolaires, les entendre louvoyer dans les médias sur le caractère intangible de la laïcité, constater la légèreté avec laquelle on jette l’anathème sur ceux qui sont d’un avis différent (intégristes, obsédés du foulard, antiarabes, antimusulmans…), a de quoi surprendre, voire inquiéter.

Et pour cause ?

M. J.-L. Bianco réaffirme la laïcité comme « un principe majeur du vivre ensemble et [qui] suppose le refus de son instrumentalisation à des fins stigmatisantes ». Outre que cet argument reprend une antienne islamiste bien connue, il ne peut être recevable sans le passage au crible de l’examen critique de la notion même du vivre ensemble.

Sans ambages, ni hésitation possible, Patrick Kessel a rappelé opportunément que le vivre ensemble n’est pas celui de communautés diverses faisant prévaloir chacune ses valeurs propres.

Cette conception est celle des islamistes dont la manœuvre est de jouer sur l’appartenance communautaire définie sur le seul critère religieux à l’exclusive de tout autre, la communauté devenant du coup le lieu idéal d’une effervescence des particularismes et de valeurs prétendument spécifiques ; elle tend ainsi à substituer la socialisation communautaire à la socialisation institutionnelle. Au lieu d’intégrer, elle désintègre, à l’image de la radicalisation grandissante d’une jeunesse en perte de repères.

Le vivre ensemble concerne des individus, des citoyens au sens des Lumières, c’est-à-dire des êtres doués d’une pensée autonome et d’une raison critique. La notion de citoyen transcende celle de croyant.

Etre républicain de nos jours, c’est aussi revenir à l’esprit de la Révolution française dont le but était d’émanciper l’individu du groupe ; sinon, quelle consistance, quel sens aurait le principe de liberté ? Aller dans le sens du communautarisme, c’est faire le jeu des obscurantistes et des ténébreux, c’est à l’évidence être antirépublicain.

N’en déplaise à Edwy Plenel pour qui ce sont les "laïcistes" qui sont antirépublicains. Son assertion, son accusation n’est carrément plus de mode. Elle est tellement galvaudée par une nouvelle catégorie d’inquisiteurs. Elle en devient désuète, obsolète et pour tout dire anachronique.

Le président de l’Observatoire développe également l’argument selon lequel la neutralité signifie que seuls l’Etat et les services publics sont concernés par cette règle, et aucunement les usagers.

A ce sujet, il convient de répondre que la sortie scolaire est un acte éminemment pédagogique et qu’elle s’inscrit de plain pied dans le service public. Il en découle logiquement que les mères voilées, dans ce cadre, deviennent des personnels éducatifs et non de simples usagers (se pose ici la question du rôle des associations de parents d’élèves).

Peut être est-il judicieux de rappeler, en l’occurrence, l’article 11 de la charte de la laïcité à l’école : « Les personnels ont un devoir de stricte neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. »

C’est donc aux usagers et aux familles, comme c’était par le passé, de respecter la discipline et les règles de l’école ; ce n’est pas à l’école de s’adapter à leurs valeurs fussent elles religieuses, et surtout si elles sont religieuses. Il serait malvenu d’inverser les choses.

Et puis, la neutralité de l’Etat ne signifie pas, loin s’en faut, l’indifférence.
La laïcité, comme principe constitutionnel, on ne le répètera jamais assez, implique également la supériorité de la loi sur la religion. Donc place à la loi, toute la loi, rien que la loi. Et ce n’est pas Averroes qui aurait apporté la contradiction, lui qui recommandait que la loi religieuse se pliât à l’examen de la raison (nous sommes au XIIe siècle, quel recul ?).

A ce sujet, convoquer le théologique pour juger de la pertinence de la raison pour laquelle ces femmes ou d’autres portent le voile n’est d’aucune utilité ; ce serait mal à propos, déplacé, voire intempestif.

Qu’une femme porte le voile pour aller au paradis, par convenance personnelle, pour faire plaisir à son mari, ou pour s’adonner au plus vieux métier du monde, personne ne peut ni n’a le droit de juger les motivations de son accoutrement, à fortiori l’état. Elle est dans la sphère privée.

En revanche, comme garant de l’ordre public qui n’est rien d’autre qu’un ensemble de lois, l’Etat a toute légitimité pour faire appliquer la loi, soit qu’elle protège, soit qu’elle sanctionne.

Concernant l’école, la loi de 2004 est toute indiquée, elle est tout à fait appropriée, même si elle a été qualifiée de loi de la discrimination et de loi scélérate par les ténébreux islamistes et leurs soutiens. Elle le serait si d’autres signes religieux étaient admis à l’école. Or, tout le monde sait que ce n’est pas le cas. Au nom de quoi le voile ferait exception ?

Le regretté Bernard Stasi ne s’y trompait pas quand il déclarait avec insistance : « Il faut avoir conscience que les comportements sont souvent le fait de groupes qui testent la résistance de la république. »
Il ajoutait, et cela s’applique aux sorties scolaires : « Cette loi est de portée générale, et il a été prévu qu’elle pouvait être mobilisée, adaptée, appliquée à d’autres situations de même nature dans d’autres domaines. »

L’on devrait également se souvenir que cette loi a été renforcée par la circulaire Chatel (2013) qui interdisait le port du voile par les mères accompagnatrices des sorties scolaires.

L’école doit rester un sanctuaire, et aucun signe religieux n’y a sa place, point.

Cependant, il semble utile de démystifier certains éléments du discours islamiste sur le voile pour mieux aider les citoyens à comprendre un problème hautement symbolique et qui constitue le cheval de bataille des fondamentalistes.

Contrairement aux allégations des islamistes qui ont réussi le tour de force de faire croire que le voile est l’habit naturel, indiscutable de la femme musulmane depuis toujours, il faut préciser que dans l’aire méditerranéenne tout au moins, il s’agit d’une mode vestimentaire (avec une infinité de variantes) qui n’existe que depuis la révolution iranienne (1979).

Pour ma part, je puis témoigner que depuis l’indépendance (1962) de mon pays d’origine (l’Algérie) jusqu’à cette date, la fille qui étudiait ou la femme qui travaillait ne portait pas de voile. Mes étudiantes et mes collègues femmes étaient habillées à la dernière mode européenne. Le voile que portaient les femmes d’intérieur quand elles sortaient était un élément culturel et n’avait rien de religieux.

La question du voile ne peut être réduite à la revendication du port d’un habit. Elle est autrement politique et s’inscrit dans la promotion d’une idéologie de régression. En s’adressant au cœur - et non à la raison car ils en sont incapables -, les islamistes jouent sur les sentiments ; ils essaient de culpabiliser les autres à travers une question qui revient comme un leitmotiv dans leur argumentaire : mais en quoi cela dérange ? Que la lycéenne porte un voile ; que l’agent de sécurité fasse sa prière sur le lieu de travail ; qu’on supprime la viande de porc des cantines ; qu’il y ait des heures dans les piscines pour les femmes ; qu’un homme épouse plusieurs femmes (d’ailleurs cela existe au mépris de la loi via le « mariage hallal ») ; qu’une femme se fasse soigner par une femme… On peut énumérer les revendications à l’infini. Mais d’autres au nom d’autres croyances peuvent avoir d’autres revendications, et au final, que restera-t-il de la république, de ses principes, des droits de l’homme ?

Pour recruter des femmes, les islamistes usent et abusent du recours au texte sacré. Même si, par principe, on n’a pas à répondre aux islamistes sur leur registre, le drame, la tragédie des jeunes femmes radicalisées, souvent mineures ne laisse pas trop le choix et l’on se doit de démystifier leur camelote parée de religieux.

Outre une présence très précaire du voile dans le texte sacré (2 versets sur près de 6230), l’interprétation rationnelle peut conduire à les comprendre comme un conseil, une exhortation à…Et non comme la prescription avérée d’un interdit.

L’on pourrait suggérer cette parabole : Dieu a dit avant Tartuffe « Cachez ce sein que je ne saurais voir ». Pour contextualiser, Jacques Berque nous a appris qu’à l’époque existait une fête païenne où hommes et femmes tournent nus autour de la pierre noire (l’actuelle Kaaba). L’injonction a été donc de cacher la poitrine et c’est la seule partie du corps mentionnée (le mot cheveu n’existe même pas dans le fameux texte). D’ailleurs de nos jours, on ne voit aucune femme se balader seins nus, c’est dire que la pudeur et la vertu n’ont rien à voir avec le voile. Les islamistes ont en fait un tintamarre assourdissant, en l’érigeant comme la question centrale de l’islam. A la vérité, cela relève de l’obsession de toujours des obscurantistes, le statut de la femme.

Enfin, à l’inverse de ce que peuvent arguer les islamistes et leurs sympathisants, de plus en plus de jeunes filles sont descolarisées non pas au motif qu’elles ne peuvent pas porter le voile à l’école mais parce que des imams et autres pseudo théologiens leur ont suggéré que la bonne musulmane c’est celle qui n’étudie pas, ne travaille pas, fait des enfants et s’occupe de son mari.

En fait, l’on sait de toute évidence qu’elles sont destinées à alimenter une forme de prostitution et d’esclavage sexuel. C’est la hantise des familles que nous suivons dans le cadre de notre association.

A ceux qui présentent le voile comme un signe d’émancipation et de libération, je suggère de méditer la question, on ne peut plus pertinente de Jacques Berque « Ne pourrait-on pas dire que le statut de la femme et ses signes extérieurs constituent un critère majeur d’évolution pour une société ? »

Khaled SLOUGUI,
président de l’association Turquoise Freedom.



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