Revue de presse

"Démolir le Sacré-Cœur ou honorer les morts de la Commune ?" (liberation.fr , 28 fév. 17)

28 février 2017

"La proposition d’un habitant de Montmartre met en lumière l’absence de la Commune dans la mémoire parisienne.

La nouvelle a suscité l’émoi : un habitant du XVIIIe arrondissement de Paris, à l’esprit aussi révolté que taquin, a proposé l’inscription de la démolition de la basilique du Sacré-Cœur au budget participatif organisé par la Mairie. Vaille que vaille, mais sous pseudonyme, le malin expliquait : « Le Sacré-Cœur est une verrue versaillaise qui insulte la mémoire de la Commune de Paris. Le projet consiste en la démolition totale de la basilique lors d’une grande fête populaire. » La Mairie a jugé l’idée « non recevable ». L’inverse nous aurait étonnés.

Vous voyez le Sacré-Cœur, à Montmartre ? Difficile de louper le deuxième monument le plus visité de France, sur le point culminant de Paris. Ce n’est pas forcément « une verrue » (quoique la question esthétique se pose), mais, sans aucun doute, l’inscription dans le paysage parisien d’une mémoire très particulière, pour ne pas dire partiale, de l’histoire de la République. Les touristes ont beau goûter avec délices ce chou à la crème criard, le Sacré-Cœur reste terriblement associé à la Semaine sanglante. La quoi ? Vous n’êtes pas le seul, lecteur, à l’avoir oubliée. Elle, et d’ailleurs tout ce qui l’a précédée : la guerre franco-allemande de 1870, la défaite puis la capitulation française, l’installation du gouvernement à Versailles, la sécession de Paris, son siège, son organisation en commune, et le massacre des communards par l’armée versaillaise, du 21 au 28 mai 1871. « Murailles rougies », écrit Rimbaud. Les historiens ne connaissent pas les chiffres exacts : entre 6 000 et 20 000 morts. Deux ans plus tard, l’Assemblée nationale ne trouve rien de mieux à voter que l’édification d’une église à Montmartre, là même où on a tué. Entre temps, les survivants ont été arrêtés et déportés. Deux guerres mondiales achèveront de faire oublier le rêve et la peine de la Commune.

Alors, démolir le Sacré-Cœur, pour ne plus célébrer les Versaillais ? A ce train-là, au risque de raviver les souvenirs de guerre civile tranquillement dilués dans le tourisme de masse, il faudrait détruire, pour être quittes, un monument de taille semblable associé aux Communards. Le problème, c’est qu’il n’y en a pas. Promenez-vous dans Paris : leurs traces sont rares, peu visibles et peu honorées. Il y a le Mur des fédérés, qui rend hommage aux soldats communards abattus le long du cimetière du Père-Lachaise ; à Belleville, deux plaques commémorent la dernière barricade ; une autre, à l’Hôtel de Ville, en hommage aux élus de la Commune. Il y a bien une petite place de la Commune de Paris, dans le XIIIe arrondissement. Mais c’est tout. Pas une statue, pas un monument, pas un Sacré-Cœur.

Au moins, aussi loufoque que sérieuse, l’idée du Parisien – qui a reçu le plus grand nombre d’approbations en ligne !– aura eu le mérite de faire reparler de la Commune et d’ouvrir un débat occulté. Elle démontre par l’absurde l’invisibilisation de ce qu’a vécu Paris : un rêve social et un massacre de masse. Pourquoi pas un métro Belleville-La Commune, comme voté au Conseil de Paris fin 2015 ? Ou une avenue Louise-Michel ? Il serait temps d’y penser. Cent-quarante-six ans après, les morts de la Commune n’ont toujours pas droit de cité.

Pierre Benetti"

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