Revue de presse

"Déferlante de voiles à l’université" (J.-P. Brighelli, lepoint.fr , 3 oct. 14)

Jean-Paul Brighelli, enseignant, essayiste, auteur notamment de "La Fabrique du crétin" (Gawsewitch, 2005) 5 octobre 2014

"À la Sorbonne, à l’IUT de Saint-Denis, à l’IEP d’Aix-en-Provence et partout ailleurs, les voiles islamiques se multiplient, ce qui n’est pas sans créer des frictions.

[...] Un voile peut-il être un "cheval de Troie de l’islamisme", comme l’a affirmé Jean-Charles Jauffret, agrégé d’histoire et spécialiste de l’histoire militaire coloniale ? En tout cas, l’étudiante de l’IEP (Institut d’études politiques) d’Aix à qui il s’adressait l’a mal pris, ainsi qu’un certain nombre de ses camarades (mais pas tous, et j’y reviendrai). "Porter ce voile, c’est aussi ma liberté", a-t-elle lancé avec un sens évident de la contradiction interne - personne n’arrivera jamais à me faire comprendre qu’un enfermement puisse être en quelque manière une liberté, sauf à faire l’hypothèse d’un syndrome de Stockholm généralisé, ou d’une dépendance à l’opium du peuple, comme disait un barbu célèbre du XIXe siècle.

Et la véhémence de ces jeunes filles à affirmer leur "liberté" est le signe même de leur aliénation. "Elle est totalement manipulée", précise d’ailleurs l’enseignant interviewé par France Télévisions, qui a soigneusement trié les élèves passant à l’antenne. "Elle me fait pitié." La Provence, qui doit tenir compte de son lectorat, a immédiatement déploré "l’amère expérience" de l’étudiante "issue de la diversité", comme on dit euphémistiquement. La direction de l’IEP, bien obligée de suivre la lettre de la loi, joue l’apaisement.

J’essaie d’en sourire, mais le coeur n’y est pas. La loi de 2004 qui interdisait les signes religieux ostensibles dans les collèges et les lycées s’est arrêtée à la porte des universités - alors même qu’elle s’applique aux classés prépas, qui sont par définition dans l’enceinte d’un lycée, bien que les élèves soient généralement aussi majeurs que leurs homologues de fac.

Une loi pleine de bonnes intentions, mais la droite alors au pouvoir n’a pas osé en tirer les conséquences ultimes : l’enseignement ne fait qu’un, la laïcité ne se divise pas, de la maternelle à l’université. J’irai même plus loin : les hôpitaux ont-ils vocation à soigner des fantômes, et les maires à marier des silhouettes ?

Deux mois après la loi Jospin qui, en 1989, autorisait fort imprudemment le droit des élèves à la libre expression éclatait à Creil la première affaire de voile. Depuis, Fatima, Leïla et Samira ont fait des émules, à Creil et ailleurs. La loi de 2004 a ralenti le processus, sans oser y mettre un terme. Toute demi-mesure est une mesure pour rien.

[...] Depuis mon retour à Marseille (2008), je marche dans une ville où les voiles volent à chaque coin de rue, où les filles non couvertes, surtout si elles sont européennes et qu’elles s’habillent court, sont injuriées et parfois agressées par des jeunes gens élevés dans l’impunité de leurs désirs et de leurs certitudes.
Il est loin le temps où les poètes arabes développaient dans Les Mille et Une Nuits et ailleurs des modèles raffinés de séduction, au point d’influencer les chantres de la fine amor médiévale. Où les sorties scolaires, grâce aux suggestions imbéciles de Benoît Hamon (le diable nous préserve des bonnes consciences qui croient bien faire !), sont des casse-tête de plus en plus complexes. Où chaque reculade d’un gouvernement de bons apôtres qui ont cru se concilier le vote immigré (stratégie développée par Terra Nova en 2012 et mise à mal par des mesures ultérieures, comme l’a souligné Christophe Guilluy dans son livre sur la France qui gronde) devient l’occasion d’une avancée de la cinquième colonne des vrais croyants...

Les frictions désormais se multiplient. À l’IUT de Saint-Denis, le directeur Samuel Mayol se fait menacer sévèrement parce qu’il a mis fin aux agissements d’un escroc, et qu’il a demandé à une organisation islamiste de bien vouloir partager le local mis à la disposition des associations, où elle entreposait des tapis de prière.
À la Sorbonne, une enseignante explique-t-elle à une étudiante voilée que l’ostentation de sa foi risque de gêner son insertion professionnelle ? La voici accusée d’islamophobie, et la présidence de l’université est obligée de faire des excuses.
À la fac d’Aix, c’est par dizaines que les jeunes femmes voilées investissent les cours, et manifestent lorsque le contenu ne leur paraît pas conforme à leurs rites.

Montée générale du communautarisme, dénoncent Malika Sorel et les autres membres du Haut Conseil à l’intégration interviewés ici même. Et il faut l’angélisme de Jean-Louis Bianco pour dire que parler de ces questions fait aux intégristes une "incroyable publicité" : la publicité de la superstition, c’est chaque jour, à chaque coin de rue.

Je ne me fais aucune illusion : ce n’est pas Najat Vallaud-Belkacem (qui, en tant que ministre chargée aussi des universités, a tout pouvoir pour le faire) qui lèvera l’ambiguïté d’une loi qui autorise des jeunes filles manipulées à imposer partout leurs étranges certitudes. Mais il faut savoir : soit nous sommes une République laïque et nous nous donnons les moyens de faire respecter cette laïcité, n’en déplaise aux idiots utiles (et inutiles...) des commissions bruxelloises, alors même que divers arrêts rendus par la Cour de justice européenne et commentés par la Cour de cassation rendent parfaitement licite l’application stricte par la France d’une laïcité sans concession. [...]"

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