Comité Laïcité République Nord-Pas de Calais-Picardie

Création du CLR Nord-Pas de Calais-Picardie (20 oct. 15) : « Transformer la tristesse en colère et la colère en action »

20 octobre 2015

L’hémicycle du Conseil départemental du Pas-de-Calais, à Arras (rue Ferdinand Buisson !) était comble mardi 20 octobre 2015, pour le colloque de lancement du Comité Laïcité République de Nord - Pas-de-Calais - Picardie, sur le thème "La France a besoin de laïcité".

Michel Dagbert, président du Conseil départemental du Pas-de-Calais, alerte : « Il y a urgence ! » Car « si le danger n’apparaît pas au grand jour, il est réel, et il secoue des fondements que l’on pensait solides. » Aussi, il est urgent de « rappeler le travail accompli avant nous » pour consolider et faire partager les valeurs de la République, de rassembler femmes et hommes de bonne volonté pour les défendre. Le président de l’assemblée départementale rappelle que celle-ci compte désormais de nombreux élus qui portent des idées contraires aux principes et valeurs républicaines. Face à ceux qui « se servent de la démocratie pour mieux combattre la République », il nous revient de « faire preuve d’une vigilance de tous les instants pour, dans le cadre du débat démocratique, rétablir la vérité ». Mais il faudra faire preuve d’imagination, penser de nouveaux outils.

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République (CLR), rappelle d’abord que le CLR a été créé à la suite de la première affaire du voile à l’école (Creil, 1989), en soutien à l’appel de E. Badinter, R. Debray, A. Finkielkraut, E. de Fontenay, C. Kintzler. « Nous avions eu tort d’avoir raison trop tôt » : face à l’offensive du communautarisme, rien n’a alors été fait, ce qui a conduit à la montée en puissance de l’extrême droite. Pourtant les remèdes sont connus : une politique sociale pour éviter que les couches populaires basculent dans le camp de la haine ; la prise en compte du désarroi de ces populations face à la crise de l’identité culturelle de la collectivité nationale. « Ne laissons pas passer le vent de l’Histoire, comme en 1937-38. » Or, qu’a-t-on observé après les attentats de janvier ? D’abord, le sursaut du peuple français, le discours exemplaire du Premier ministre, les députés chantant à l’unisson la Marseillaise. Puis, au fil des semaines, la montée d’un discours mielleux, complaisant, venant notamment des milieux intellectuels. Avec l’inversion des victimes et des assassins : « Pour un peu, ce seraient les caricaturistes qui auraient tué les intégristes ! » Aujourd’hui on ne prend même plus de gants, comme Alain Minc qui proposait récemment de mettre entre parenthèses la Loi de 1905. Il est plus que temps que ceux qui à gauche et à droite ont fait défaut se ressaisissent et se ressourcent !

Marika Bret, de Charlie Hebdo , salue l’exposition en ces lieux des œuvres du dessinateur Charb, directeur de Charlie assassiné le 7 janvier : il était bien rare que les dessins de Charlie soient exposés dans les locaux des collectivités publiques. Défendre la laïcité, énumère Marika Bret, c’est « dénoncer la foi qui oblige à se soumettre », ne céder à la pression d’aucune « communauté », avoir le droit au blasphème pour pouvoir moquer tous les pouvoirs, vivre ensemble en tant que citoyennes et citoyens, bénéficier de la liberté de conscience, de croire ou ne pas croire... « Aucune misère ne pourra jamais être un moyen de justifier les menaces, la violence, le meurtre. »

Eric Conan, de Marianne , pointe un « piège ». Beaucoup ont abandonné la laïcité, et le FN tente de la récupérer. Nous serions donc contraints soit de s’associer avec ceux qui disent qu’il n’y a pas de problème, soit de désigner et d’affronter les problèmes et d’être accusés de s’aligner sur l’extrême droite. Or, d’un côté les antilaïques communautaristes prétendent que la laïcité est discriminatoire car elle ne s’en prendrait qu’à l’islam, de l’autre le FN clame que le seul problème est l’islam. Or, par définition la laïcité n’admet aucune discrimination. Si beaucoup de difficultés sont posées par l’islam, c’est que cette religion est récemment implantée, qu’elle n’a pas connu l’épreuve de 1905. « S’il y a des problèmes, ils ne viennent pas des immigrés mais des accueillants, de la France et de ses institutions, qui n’ont pas expliqué les règles et ont renoncé à les appliquer. » Pourquoi donc la laïcité n’est plus une des grandes valeurs de la gauche ?
Le journaliste complète le rappel historique de Patrick Kessel. Avant l’ « affaire » médiatisée de Creil en 1989, la première affaire du voile s’est réglée sans problème. En 1985 à Créteil, face à l’arrivée à l’école de jeunes filles voilées, la direction de l’établissement décide de modifier le règlement intérieur pour interdire tout signe d’appartenance religieuse, philosophique ou politique ; elle est soutenue par le ministère (occupé alors par Jean-Pierre Chevènement). Quatre ans plus tard, « Lionel Jospin fait l’inverse, il botte en touche en saisissant le Conseil d’Etat qui désavoue le principal de Creil. » D’ailleurs, depuis la juridiction administrative suprême s’est à plusieurs reprises illustrée par des décisions antilaïques.
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? D’abord à cause de « l’importation à gauche du relativisme culturel » contre l’universalisme républicain. C’est la mise en avant dans les années 1980 du « droit à la différence » - qui conduit non seulement à la différence des droits mais aussi des devoirs. On prétend que la laïcité ne peut pas concerner ceux qui sont « différents ». Cela rappelle, curieusement de la part de gens qui se prétendent antiracistes, le discours colonial avec le « statut personnel » des « indigènes ». On lit alors dans les colonnes de journaux de gauche des justifications de l’excision, de la polygamie ou de la lapidation des femmes adultères... La gauche abandonnant la laïcité, la droite reprend la main : ses gouvernements interdisent la polygamie en 1992, les signes religieux à l’école en 2004, le voile intégral dans la rue en 2010. « La gauche semble paralysée », comme l’a si bien diagnostiqué Elisabeth Badinter [1], dénonçant l’abandon des valeurs universalistes et les pratiques clientélistes confortant le communautarisme. D’ailleurs, au même moment , la gauche abandonne aussi, à la droite et à l’extrême droite, la nation. C’est à gauche le droitdelhommisme qui prévaut : d’abord l’individu, fût-ce au détriment de la société. Tariq Ramadan a fixé la ligne : « ringardiser la laïcité au nom des droits de l’homme ».
Aujourd’hui le séparatisme culturel a le vent en poupe. Un intellectuel libéral comme Pierre Manent, dans son dernier livre, prend acte des difficultés de la France laïque avec l’islam, mais c’est pour proposer de passer un compromis [2], ce qui nous rappelle certains écrits de la fondation Terra Nova, très écoutée au PS, proposant une « citoyenneté musulmane » [3], .
Dans la pratique, on constate, comme le recense le CLR [4], que sur le terrain nombre d’élus s’attachent surtout à étouffer les incidents et à trouver des « accommodements ». Au sommet de l’Etat, le président Hollande a déclaré que « la République française reconnaît tous les cultes » [5] ce qui est mot pour mot le contraire de ce que dit la Loi de 1905. La déception est à la mesure de l’espoir qu’avait suscité la campagne du candidat socialiste. Une des premières décisions du nouveau pouvoir, rappelle Eric Conan, a été de supprimer le Haut Conseil à l’Intégration, créé par Michel Rocard, dont la mission Laïcité était le « conservatoire d’une laïcité oubliée ». Pourquoi ? Pour le remplacer par l’Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco. A peine installé, celui-ci déclarait que « la France n’a pas de problème avec sa laïcité » [6]... Il y eut ensuite le rapport Tuot, les rapports "Refondation de la politique d’intégration", qui proposaient notamment l’abolition de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Heureusement, Manuel Valls les a enterrés, mais ainsi, le débat n’a pas eu lieu. En effet on observe une difficulté de la gauche à débattre sur ces sujets. Car il y a « une gauche Badinter et une gauche Bianco, une gauche Comité laïcité République et une gauche Terra Nova » [7]... Quand, dans l’affaire Baby-Loup, les laïques demandaient une loi, Bianco a fait une déclaration ahurissante : « Un débat législatif risque d’être très dangereux » car « ce que l’on constate, c’est un développement du communautarisme » [8]... Eric Conan mentionne aussi un texte du PS qui appelle au développement de l’enseignement privé musulman [9].
Au final, tout cela revient à accréditer l’idée que le « vrai » islam est celui que prônent les intégristes. Ceux qui clament « padamalgam » sont ceux qui font l’amalgame ! Alors qu’il faudrait plutôt mettre en avant l’islam des musulmans laïques. Rappelons nous la phrase de Charb « J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent. » C’est la priorité : ne plus se taire.

Michel Dagbert, président du Conseil départemental du Pas-de-Calais, reprend la parole. « J’ai écrit à Jean-Louis Bianco », président de l’Observatoire de la Laïcité. « Il ne m’a pas répondu. » L’élu s’étonnait que dans le cadre de l’ « appel citoyen », les jeunes se retrouvent à la Maison dicocésaine... Alors que le département était prêt à mettre à disposition les locaux de la centaine de collèges du Pas-de-Calais.

Charles Coutel, universitaire, vice-président du Comité Laïcité République, tranche : « L’esprit munichois souffle sur la France. » Comme celle du CLR, l’action du CLR Nord consistera à : commémorer, résister, proposer. Souvenons-nous d’abord de nos martyrs. On oublie souvent que la France fut la proie d’un fanatisme religieux, de décennies de guerres de religion. Célébrons la Loi de 1905 qui y a mis un terme. « L’ennemi n’est pas la religion mais le cléricalisme, c’est-à-dire la volonté de parler à la place du peuple. » Plutôt que d’aller aux abris, il faut expliquer pourquoi la laïcité a été possible et est encore la solution, contre les professionnels du déni qui refusent de voir la situation. Vive la France métissée, qui est le contraire de la France multiculturelle ! Charles Coutel dénonce un « discours angélique » quand le « fanatisme frappe à la porte ». Et l’universitaire donne pour exemple la « réforme des collèges », qui « livre les parents et les élèves aux idéologies ». Cessons de voir « dans le présent social des parents le futur scolaire des élèves » car l’éducation, « c’est déjà une chance ».
Que faire ? « Transformer la tristesse en colère et la colère en action. »

José Gulino met la création du comité régional sous le signe de l’émotion. « Il ne suffit pas de détecter, il faut éteindre le feu. » C’est le moment d’agir : « entre l’esprit de Munich et l’esprit de Londres » il faut choisir ! Toute la population doit se mobiliser, dans les villages, dans les quartiers, tous les territoires des cinq départements. C’est un nouveau réseau de résistants qui est à construire. Rappelant l’Histoire de la région, meurtrie par les guerres, fécondée par les immigrations, héroïque aussi dans la mine et l’industrie, José Gulino clame : « Les gueules noires ne vont pas laisser la place aux chemises noires ! »

E.M.



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