Revue de presse

"Commissaires politiques culturels" (G. Biard, Charlie Hebdo, 8 août 18)

Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo". 11 mai 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"C ‘est le concept qu’il faut aaaaabsolument maîtriser si l’on veut briller dans les soirées non-mixtes-anticoloniales-intersectionnelles-racisées-postgenre-entre-personnes-assignées : l’ » appropriation culturelle  ». Son principe est assez simple : il permet de frapper d’infamie quiconque utilise un signe identitaire extérieur à sa communauté d’origine ou fait usage d’une culture qui n’est pas la sienne. L’idée étant qu’il serait offensant pour une personne dominée de voir ses codes culturels «  confisqués  » par un représentant ou une représentante d’une autre culture. Et c’est particulièrement insupportable quand la personne qui confisque est blanche. Mais ça marche aussi avec Beyoncé, quand elle porte, pour les besoins d’un clip du groupe Coldplay, un costume traditionnel indien…

L’accusation d’ » appropriation culturelle  » est le dernier cheval de bataille qu’il convient d’enfourcher dès lors que l’on prétend combattre le capitalisme, l’impérialisme, le néocolonialisme, l’assimilation, et d’une manière générale tous les gros mots en «  ion  » et en «  isme  » qui incarnent l’oppression de la culture dominante. Et, s’il fait son chemin en France, c’est sans surprise sur le continent nord-américain que ce discours trouve ses porte-voix les plus virulents, relayés abondamment par médias, blogs et réseaux sociaux.

Ainsi, pour la seconde fois en un mois, le metteur en scène québécois Robert Lepage a dû renoncer à représenter un de ses spectacles. Début juillet, le Festival de jazz de Montréal avait annulé Slav, spectacle musical autour des chants d’esclaves afro-américains, au motif que la plupart des chanteurs n’étaient pas noirs. Le 26 juillet, c’est sa toute dernière création, Katana, dédiée aux peuples autochtones du Canada, sur laquelle il travaillait depuis quatre ans en collaboration avec le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, qui a fait les frais des assauts répétés des associations d’Amérindiens : les producteurs nord-américains ont annoncé qu’ils se retiraient du projet, le condamnant du même coup…

L’avantage de l’ » appropriation culturelle  », c’est que ça va avec tout, y compris avec le ridicule. On a ainsi vu, en vrac, des étudiants conspués pour s’être déguisés en moines bouddhistes ou en cheikhs arabes à un bal costumé universitaire dans l’Ontario, un cours de yoga annulé à l’université d’Ottawa pour cause de néocolonialisme, des étudiants d’une école d’art de l’Ohio dénonçant le fait qu’on leur a servi des sushis à la cantine, des défilés de mode de Marc Jacobs ou de Stella McCartney déclencher la polémique pour des mannequins blancs vêtus de façon trop «  ethnique  », ou encore Scarlett Johansson renonçant à interpréter le rôle d’une icône transgenre sous la pression de militants LGBT… Seule entorse notable : jusqu’ici, curieusement, aucune femme occidentale ayant décidé de porter le voile islamique n’a eu à faire face à l’accusation d’ » appropriation culturelle  ». Même les Danoises à peau laiteuse qui ont tout récemment manifesté en niqab pour protester contre la nouvelle loi interdisant le port du voile intégral en public y ont échappé. Pourtant, selon ses plus fervents défenseurs, le voile ferait partie intégrante de la «  culture islamique  ». Moment d’étourderie  ? Incohérence  ? Allez savoir…

Ce dérivé du délit de blasphème appliqué à la culture et à l’ » identité  » participe évidemment de ce courant qui fait de l’essentialisme l’alpha et l’oméga de la vie sociale et politique. Il fige les individus dans des codes ethniques, pour ne pas dire des stéréotypes, censés les définir une fois pour toutes. Si le label AOC est une merveilleuse trouvaille pour les poulets et les camemberts, vouloir l’étendre aux sociétés humaines, qui voyagent, échangent, se mélangent, se métissent, relève du racisme pur et simple. Du temps de l’apartheid, ces dangereux abrutis auraient lynché Johnny Clegg."

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